ENTRETIEN AVEC SALAH ADLI, SECRÉTAIRE-GÉNÉRAL DU PARTI COMMUNISTE EGYPTIEN«On est entré dans la seconde phase de la révolution» (2)

Une des tâches de la révolution démocratique est aussi de garan- tir la liberté de former des syndi- cats, partis politiques et associa- tions sans ingérence gouvernementale, en rejetant la formation de partis politiques sur une base religieuse et communautaire, la pleine égalité entre hommes et femmes en droits comme en devoirs, l'égalité devant la loi et la criminalisation des discriminations, religieuses ou autres. Parmi les tâches sociales : il y a l'élaboration d'un vaste plan de développement social reposant sur le soutien aux secteurs productifs avec la nécessité d'une répartition équitable des richesses produits au profit des pauvres et des travailleurs, en répondant à quelques exigences sociales immédiates. La priorité numéro un, c'est la mise en place d'un salaire minimum et maximum et de le fixer sur l'évolution des prix, annuler la dette des petits pay - sans, revoir le budget pour donner plus d'argent à la santé et à l'éducation, la construction de logements pour les personnes à bas revenus, augmenter les taxes sur les riches, reprendre possession des grandes entreprises qui ont été privatisées et lutter cont - re la corruption. Les tâches nationales sont : s'opposer à la dépendance envers les États-Unis, refuser de succomber à l'hégémonie sioniste, revoir l'accord de Camp David, rétablir le rôle national de l'Égypte à l'é - chelle arabe, africaine, régionale et internationale, et approfondir les relations avec les pays et les peuples du Tiers-monde.

Q4 - Est-ce que les événe - ments actuels en Egypte signifient le rejet par les Égyptiens de l' «Islam poli - tique» ou seulement le rejet des «Frèr es musulmans» ? Salah Adly :

Les Frères Musulmans sont l'organisation la plus efficace et la plus influente de toutes celles que compte l'Islam politique. Toutes les autres organisations, y compris les groupes djihadistes et salafistes, étaient des alliés des Frères musulmans et sont sortis dans la dernière bataille pour défendre leur régime car ils savent que leur défaite signifierait un revers cui- sant pour le projet communautaire islamiste qui est soutenu par l'administration américaine comme une alternative à l'effondrement des régimes autoritaires. Seul le parti salafiste Al-Nour a été exclu de l'alliance lors de la dernière bataille pour des considérations liées à ses relations avec l'Arabie saoudite, bien que nous sachions qu'il s'agit d'un parti réactionnaire et communautaire, opposé aux droits de l'Homme et à ceux des femmes et des minorités, y compris des autres sectes islamistes. C'était mani - feste quand ils incitaient les gens à commettre des crimes, à tuer les Chiites et à traîner leurs corps dans le massacre horri- ble qui s'est produit dans un villa - ge le mois dernier. Nous croyons que la bataille n'est pas terminée, et on a besoin d'une lutte politique, sociale et culturelle pour écraser la résistance et changer le climat général de ces dernières décennies. Mais ce sur quoi nous aimerions attirer votre attention, c'est que ce qui se produit en Égypte actuellement n'est pas seulement un affrontement entre les Frères musulmans et leurs alliés de la droite religieuse, et l'appareil de sécurité de l'État. Ils se retrouvent confrontés à l'ensemble du peuple égyptien, toute religion et courants confondus, ainsi qu'à l'ensemble des institutions éta - tiques, y compris la justice, les médias et la culture. Dans les quartiers et dans les villages, les Frères musulmans se retrouvent face aux masses égyp - tiennes, ayant perdu le soutien de larges couches de la population au cours des deux dernières années. Mais l'ar - mée et les forces de sécurité auront un rôle important à jouer dans leur af frontement contre les milices terroristes armées. En bref, nous voyons que ce qui s'est passé constitue un revers majeur pour les desseins de la droite religieuse en général, et pas seulement pour le projet des Frères musulmans. Cela aura des implications majeures pour la région, dans la période à venir.

Q5- Quelle est votre opinion sur les arguments selon lesquels le renvoi de Morsi n'est pas démo- cratique car il a été élu légale- ment et qu'une nouvelle consti- tution a été ratifiée par référen- dum. Morsi a-t-il été renversé par l'armée égyptienne ? Salah Adly :

Ceux qui ont viré Morsi, ce sont les 22 millions de citoyens égyptiens qui ont signé un document contenant leur signature, leur nom, leur numéro de carte d'identité et le nom de leur province, écrits à la main plutôt que sur Internet, dans un référendum inédit qui a culminé dans une «grande sortie» sur toutes les places et dans toutes les rues du pays, avec 27 millions de manifestants le 30 juin, pour quatre jours consécutifs. C'est Morsi qui a lui-même perdu toute légi- timité lorsqu'il a publié sa décla- ration constitutionnelle dictatoriale en novembre 2011. C'est Morsi qui a piétiné les droits de l'Homme lorsque ses partisans terroristes ont assiégé la Cour constitutionnelle, quand ses milices ont torturé des manifestants devant le palais présidentiel al- Ittihadyah Palace comme le mon - tre l'enquête menée par le bureau du procureur, et quand ses hommes ont tué des manifes - tants devant le QG du Parti de la Justice et de la liberté (la branche politique des Frères musulmans) sous les ordres explicites du leader du groupe et de son bras droit, comme les tueurs l'ont admis devant le procureur. C'est Morsi qui a renié ses promesseslors qu'il avait annoncé qu'il amenderait la constitution et formerait un gouvernement de coalition. Lui et son groupe se sont soumis avec zèle aux conditions du Fonds monétaire international, et ont aussi déclaré le Djihad contre la Syrie, lors d'une conférence de forces djihadistes terroristes, sans en faire référence ni à l'armée ni au Conseil de défense national. Par conséquent, toutes les for - ces politiques et tous les par- tis, même les Salafistes du parti Al-Nour, qui ont quitté le navire avant qu'il ne coule, ont soutenu l'idée d'élections présidentielles anticipées. Cet appel n'est pas un coup d'État contre la démocratie, au contraire, il émane du cœur de la démocratie populaire quand tout président trahit ses engagements envers le peuple et le programme sur lequel le peuple l'a élu. Limiter la cause de la démocratie juste au «bulletin de vote» est un détournement total de l'essence de la démocratie et un rejet explicite du droit des peuples à se révolte contre leurs dirigeants autocratiques et les régimes fas- cistes qui instrumentalisent la région pour masquer leur nature réactionnaire et leur orientation capitaliste et de droite. La défense de Morsi par les Etats-unis et les États capitalistes occidentaux, le fait de réduire la question à un « coup militaire » contre une « légitimité constitu- tionnelle » est une position for- melle qui cache le fait que l'impérialisme mondial est terrifié par les révolutions populaires et leur incapacité à dépasser les frontières étroites de la démo - cratie bourgeoise qui dans le fond ne représente que la forme optimale de défense des intérêts des grands monopoles et de leurs agents locaux, dans le contrôle de la destinée des peu- ples du Tiers-monde. Ce qui s'est passé n'est aucune - ment un coup militaire, mais plutôt un coup révolutionnaire du peuple égyptien pour se débarrasser d'un régime fasciste. Ce que l'armée a fait, c'est exécuter la volonté du peuple et le protéger des complots des Frères musulmans et de leurs alliés ter roristes armés qui veu- lent attiser les conflits commu- nautaires et les gu erres civiles, diviser l'armée égyptienne et détruire les institutions de l'État égyptien afin de servir les intérêts de l'impérialisme et du sionisme dans la région. A quel genre de coup militaire assiste-t-on lorsque des dizaines de millions de personnes se trouvent dans les rues ?!! Quel genre de coup militaire quand le responsable de la Cour constitu - tionnelle a déjà pris le pouvoir, ce qui était demandé par le Front de salut, qui comprend toutes les forces d'opposition dans leur diversité et par le mou- vement de jeunesse « Tamarud », et ce qui avait été adopté par les masses égyptiennes ?! Quel genre de coup militaire quand un gouvernement est constitué de civils compétents sera formé et aura pleins-pouvoirs pendant une période transitoire qui n'ex- cédera pas un an et se conclura par la promulgation d'une constitution civile démocratique, et des élections présidentielles et législatives que tout le monde voulait ? Quel genre de coup mili- taire autorise le droit à des manifestations pacifiques, même de ses opposants, et n'impose pas un état d'urgence ? La déclaration d'Al-Sisi, chef de l'armée égyp- tienne, dans laquelle il affirme que la feuille de route pour la phase de transition, n'a été annoncée qu'après un dialo - gue et un consensus avec les représentants du peuple égyptien, y compris la jeunesse du mouvement «Tamarud» (Rébellion), les représentants du Front de salut, le cheikhd'Al-Azhar , le pape copte et un représentant des femmes. Le peuple égyptien a fêté sur les places, dans les quartiers, les villages cette grande victoi - re pour le peuple égyptien et la coopération de l'armée à ses aspirations. Nous devons, comme nous l'enseigne le marxisme, analyser la situation concrète et ne pas limiter notre vision à des préjugés rigides ou à des formules toutes prêtes. N'est-il pas intéressant de noter que les médias occidentaux ont fermé les yeux face à tout cela, refusant de voir la réalité et insistant à décrire ce qui se passait comme un coup militaire ?! Néanmoins, nous tenons à rester vigilant dans la phase qui s'an - nonce, pour s'assurer que le rôle de l'Armée dans cette phase se limite à la protection du peuple et de la sécurité nationale égyp - tienne, qu'elle respecte ses pro - messes de ne pas s'ingérer direc- tement dans les affaires politiques, pour enfin s'assurer que lepe uple reste dans la rue pour gagner la mise en œuvre de leurs revendic ations dans la phase de transition.

A suivre