France 2 : “Fais-moi peur” de la Guadeloupe !

“En juin dernier , l'Institut national de l'audiovisuel (IN A) a fourni les données chiffréespermettant de mesur er a v ec précision une évolution quin'étonner a personne :le nombre de sujets consacrés à des faits divers dans les journaux télévisés (JT) du soir a augmenté de 73% depuis dix ans.“TF1 et F r ance 2 dans leur joyeuse concurrence,font à peu près jeu égal.” “L es faits divers préférés des rédacteurs en chef sont natur ellement les plus sanglants, les plus violents : plus de la moitié des faits divers mis en vedette concernent les atteintes aux personnes (agr essions, meurtres,enlèvements, viols...).“Et toujours,une nette préférence pour les faits divers impliquant des enfants ou des adolescents. C'est tou- jours plus intér essant !” Source : Médiacritiques (1)

Règlement de compte

La semaine dernière, la très lon- gue séquence consacrée à la Guadeloupe, le jeudi 3 octobre 2013, sur une chaîne nationale française, en l'occurrence France 2, au motif que la Guadeloupe serait devenue le “département de France, de Navarre et des colonies, le plus violent, le plus dangereux, relève tout simplement du fantasme, de la mau - vaise foi, de la philosophie du “faire peur”, de la volonté de stigmatiser, de mettre à l'index. Cela fait longtemps que notre pays, l'entité nationale guadeloupéenne, est dans le colli - mateur de la bourgeoisie française, qui ne rate aucune occasion de la traiter comme indésirable, turbulente, paresseuse, assistée, frontiste. France 2 qui, ce soir-là, se livrait à un règlement de compte avec notre pays et son peuple, a tout simplement, oublié de rappeler que la Guadeloupe d'octobre 2013 n'était qu'une colonie départementale de consommation, où la très grande majorité de son peuple, de ceux qui y vivent, en particulier sa jeunesse, étaient livrés pieds et mains liés, sans protection aux ravages du colonialisme, de la mondialisa - tion et de leurs avatars que sont notamment : le chômage, l'oisiveté, la violence, les tentations de la société de consommation, la drogue, l'absence de perspectives

... Il est tentant de n'en percevoir que les aspects négatifs, de les mettre en avant, de charger la jeunesse, sans rechercher les causes de ces dérives, et tenter avec le peuple guadeloupéen de les éliminer. La Guadeloupe, notre pays, n'est pas plus dangereuse, plus violente que Grenoble, Marseille, Mulhouse, la Seine Saint-Denis, la Corse, ou Mayotte. Sitôt après avoir accédé au statut de 101e département français, l'île de Mayotte, pendant plus d'un mois d'affilée, découvrant les outrances, les injustices de la colonisation départementale de consommation, a été secouée par de violents soubresautsrevendicatifs. Ces villes, ces régions sont tou - tes confrontées aux mêmes maux que sont le chômage, la misère, l'absence de perspecti - ves, additionnées d'un très fort supplément colonial pour la Guadeloupe ou Mayotte. Avant la diffusion du reportage assassin de France 2, le 3 octobre 2013, voilà ce que dis - ait déjà de nous la bourgeoi - sie française à l'occasion des événements de février 2009 (2).

Extraits

“Historiquement frondeuse depuis la Révolution française où elle fut le seul territoire de la région pendant la T erreur à assassiner ses anciens maîtres esclavagistes. Depuis cette époque elle a toujours été à la pointe de la contestation et des récriminations financières de tous ordres sous couvert de menaces indépendantistes ! Ce département français a dépassé les bornes de la raison par une arrogance constante et a fini par tuer la poule aux œufs d'or du T ourisme par la médiocrité de son accueil et son orgueil mal placé !” “... Les maigres productions agricoles, bananes, canne à sucre sont portées à bout de bras par l'Etat français !” “... Le pourcentage de chômeurs et de Rmistes y est le plus fort de toute la France, ils sont donc par là même les plus assistés de tous les Français !” “... L'argent “braguette” (les allo- cations familiales) y a encouragé leur nonchalance antillaise.” “Il faudrait travailler un peu plus par eux-mêmes pour sortir leur île du marasme.”

Une infamie sans borne

Après deux siècles d'esclavage, de maltraitance, de participation gratuite à la colossale accu - mulation du capital français pour le développement de ce pays, voilà comment sa bourgeoisie nous perçoit, nous décrit. Racisme, mépris, insultes, men - songes, dénigrements, confu- sion volontaire des rôles, nous attribuant l'entière responsabilité de la crise multiforme qui sévit ici, rien n'a été épargné au peuple guadeloupéen dans ce texte d'une infamie sans borne, publié dans un média représentatif d'une bonne partie de l'éli - te “bien pensante” française...

Et nous écrivions ce commentai- re : “Ces propos ne nous étonnent pas. Ils sont l'exact reflet de la pensée de la France raciste et colonialiste à notre égard.” “Seul aspect positif, et sans levouloir , l'auteur de ce texte a mis en exergue, les traditions profondément révolutionnai - res du peuple guadeloupéen. La mobilisation actuelle est conforme à cette tradition, et nous en sommes fiers !”

Nos ancêtres esclaves à l'origine de la civilisation moderne occidentale

Dans un courrier adressé à Pavel Annekov, en décembre 1846, deux ans avant l'abolition, Marx avait une toute autre vision de l'apport de nos ancêtres à la civilisation moderne occidentale. Il écrivait : “L'esclavage direct est le pivot de notre industrialisme actuel, aussi bien que les machi- nes, le crédit, etc. Sans esclave, vous n'avez pas de coton, sans coton, vous n'avez pas d'industrie moderne. C'est l'esclavage qui a donné de la valeur aux colonies, ce sont les colonies qui ont créé le commerce du monde, c'est le commerce du monde qui est la condition nécessaire de la grande industrie machinelle. Aussi, avant la traite des nègres, les colonies ne donnaient à l'ancien monde que très peu de produits. Ainsi, l'esclavage est une catégorie économique de la plus haute impor - tance. Sans l'esclavage, l'Amérique du Nord se transfor- merait en pays patriarcal. Rayer seulement l'Amérique du Nord de la carte des peuples et vous aurez l'anarchie, la décadence complète du commerce et de la civilisation moderne. Les Noirs esclaves, le système esclavagiste, ont été directement à l'origine de la civilisation moderne occi - dentale, de la richesse des Etats- Unis d'Amérique du Nord et de toute l'Europe occidentale (3)”.

Conclusion

Enfin, dernière remarque, n'est- ce pas avec de tels reportages biaisés, orientés, diffusés à une heure de grande écoute sur une chaîne nationale, que la bourgeoisie française peut mieux contribuer à tuer le tourisme chez nous ? N'est-ce pas ce qu'elle recherche ? Nous créer , chaque jour , le plus possible de difficultés ! Après la liquidation de l'industrie sucrière, en matière de tentative d'assassinat d'un autre secteur économique vital pour le pays, on ne saurait mieux faire !

1 ° ) - Médiacritiques/Magazine trimestriel d'Acrimed n°9

2°) - Le “Figaro.fr”, dans sa livraison du 02/02/2009

3 ° ) - Marx/Engels, œuvres choisies, Les Editions du progrès, p. 695