Le néo-libéralisme, c'est quoi ? (Suite)

Depuis la disparition du “camp socialiste”,le système capitaliste a pu,grâce aux moyens colossaux dont il dispose,profiter de cet avantage pour avancer ses pions.Aucun domaine ne lui a échappé ! Les idéologues bourgeois, notamment les plus talentueux ont été mis à contribution,du haut de leur prestige, de leur morgue pour obtenirl'appar ente soumission,cette résignation des peuples, devant tant d'injustices,de cynisme et de brutalités quirègnent par tout dans le monde d'aujourd'hui.C'est pour aider à la prise deconscience de ces phénomè - nes,pour mettre en mouvement les personnes censéesêtr e résignées,endormies que nous publions ce te xte. Dunières Talis

L es formes de la destitution subjective qui envahissent nos sociétés se révèlent par de multiples symptômes : l'apparition de défaillances psy - chiques, l'éclosion d'un malaise dans la culture, la multiplication des actes de violence et l'émer - gence de forme d'exploitation à grande échelle. Tous ces élé- ments sont vecteurs de nouvel- les formes d'aliénation et d'inégalité. La fameuse “perte de repères chez les jeunes” n'a alors rien d'étonnant : ceux-ci expérimentent une nouvelle condition subjective dont per - sonne, et sûrement pas les responsables de leur éducation, ne possède les clefs. Et il est illusoire de croire que quelques leçons de morale à l'ancienne pourraient suffire à enrayer les dommages. En ce sens, l'état apparent de liberté promu par le néo-libéralisme est un leurre. La liberté comme telle n'existe pas : il existe seulement des libé - rations. La condition subjective issue de la modernité est menacée.Pouvons-nous laisser l'espa - ce critique, si difficilement cons- truit au cours des siècles précédents, se volatiliser en une ou deux générations ?

Mieux encore le néo-libéralisme fait de l'homme bionique un jeu de mécano et de pièces déta - chées. Un “homme nouveau” voilà ce que le marché est en train de fabriquer sous nos yeux. En détruisant toute forme de loi qui représenterait une contrainte sur la marchandise, la dérégu - lation néolibérale provoque des effets dans tous les domaines. Dépressions, troubles de l'identi- té, suicides et perversions se multiplient. Au point que le marché ne veut plus de l'être humain tel qu'il est. A l'aide du clonage et de l'ingénierie génétique, il exige désormais carrément la transformation biologique de l'humanité. La démonstration était relativement simple : le marché récuse toute considération (morale, traditionnelle, transcendante, transcendantale, culturelle, environnementale...) qui pourrait faire entrave à la libre circulation de la marchandi- se dans le monde. C'est pourquoi le nouveau capitalisme cherche à démanteler toute valeur symbolique au profit de la seule valeur monétaire neutre de la marchandise. Puisqu'il n'y a plus qu'un ensemble de produits qui s'échangent à leur stricte valeur marchande, les hommes doivent se débarrasser de toutes ces surcharges culturelles et sym - boliques qui garantissaient naguère leurs échanges. On peut voir un bon exemple de cette désymbolisation produite par l'extension du règne de la marchandise en examinant les billets de banque établis en euros. Il n'y a plus sur les euros que des ponts et des portes ou des fenêtres exaltant une fluidité déculturée.

La valeur symbolique, est ainsi démantelée au profit de la simple et neutre valeur monétaire de la marchandise de sorte que plus rien d'autre, aucune autre considération (1). Sous les coups de boutoir de la post-modernité, la civilisation telle que nous l'avons connu risque de disparaître rapidement. On ne devrait cependant jamais oublier que des civilisations millénaires peu - vent s'éteindre en quelques lust - res. Le néolibéralisme est en train de se défaire de toutes les formes d'échanges qui subsistaient par référence à un garant absolu ou métasocial des échan- ges. Pouvons-nous laisser l'espa- ce critique, si difficilement cons- truit au cours des siècles précédents, se volatiliser en une ou deux générations ?

Le formatage de l'individu sujet consommateur sous influence, commence très tôt : la télévision généralise dès l'enfance la confusion entre le réel et l'ima- ginaire, le moi et l'autre, la pré- sence et l'absence. Le néolibéralisme ne vise pas seulement la destruction des instances collectives construites de longue date (famille, syndicats, parti, et plus généralement culture), mais aussi celle de la forme individu- sujet apparue au cours de la lon- gue période moderne. Le laminage des enfants par la télévi - sion commence très tôt. Ceux qui arrivent aujourd'hui à l'école sont souvent gavés de petit écran dès leur plus jeune âge. Tout d'abord, avec la télévision, c'est la famille, comme lieu de transmission générationnelle et culturelle, qui se trouve réduite à la portion congrue. Les institu - tions scolaires, université incluse, accueillent donc des populations flottantes, dont le rapport au savoir est devenue une préoccupation très accessoire. Un type nouveau d'institution molle, dont la post-modernité a le secret, à mi-chemin entre maison des jeunes et de la culture, hôpital de jour et sillage social, assimilable à des sortes de parcs d'attraction scolaire, est en train de se mettre en place. La fabrique d'un individu soustrait à la fonction critique et susceptible d'une identité flottante ne doit donc rien au hasard : elle est parfaitement prise en charge par la télévision et l'école actuel- le. Le rêve du capitalisme n'est pas seulement de repousser le territoire de la marchandise aux limites du monde où tout serait marchandisable (droit sur l'eau, le génome, les espèces vivantes, achat et vente d'enfants, d'organes...), mais aussi de faire ren - trer les vieilles affaires privées, laissées jusqu'alors à la disposition de chacun dans le cadre de la marchandise. Plus rien alors ne pourra endiguer un capitalis - me total où tout, sans excep- tion, fera partie de l'univers marchand : la nature, le vivant et l'imaginaire.

D'où viendrait le salut ? Il ne s'a - git pas de concevoir un “modèle de société”, voire de chercher quelque oxygène dans l'idée d'utopie. Il nous faut élaborer une Voie, qui ne pourra se former que de la confluence de multiples voies réformatrices, et qui amènerait la décomposition de la course folle et suicidaire qui nous conduit aux abîmes. La voie nouvelle conduirait à une métamorphose de l'humanité : l'accession à une société-monde de type absolument nouveau. Elle permettrait d'associer la progressivité du réformisme et la radicalité de la révolution. Il serait également utile de multiplier les universités populaires qui of friraient aux citoyens des initiations aux sciences poli - tiques, sociologiques, écono- miques. Il faudrait également adopter et adapter une sorte de conception néo-confucéenne, dans les carrières d'administration publique et les professions comportant une mission civique (enseignants, médecins), c'est-à- dire promouvoir un mode de recrutement tenant compte des valeurs morales du candidat, de ses aptitudes à la “bienveillance” attention à autrui), à la compassion, de son dévouement au bien public, de son souci de justice et d'équité. La résistance à tout ce qui dégrade l'homme par l'homme, aux asservissements, aux mépris, aux humiliations, se nourrit de l'aspiration, non pas au meilleur des mondes, mais à un monde meilleur. Cette aspira- tion, qui n'a cessé de naître et renaître au cours de l'histoire humaine, renaîtra encore...

Chems Eddine Chitour

Source : Conscience citoyenne

(1) Déjà dans le “Manifeste”, Marx écrivait : “La bourgeoisie a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises l'u - nique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, bru - tale.” (Souligné par la rédaction des N. E.)