Le Curé Meslier, athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV

C uré de campagne né en 1664, neuf ans après l’accaparement et les débuts de la colonisation de la Guadeloupe par la France, Meslier observe attentivement la société dans laquelle il vit. Ses observations, ses conclusions et la prise de conscience qu’il en fait, l’éloignent définitivement des tendances à la mode à savoir : la soumission intellectuelle, l’effroyable hypocrisie, la lâcheté, renforcent ses doutes sur les “valeurs” de cette société. Il y découvre une société infestée de courtisans sans moralité, exploiteuse à outrance, vivant dans la luxure, aux crochets des paysans et des gens de la campagne, indifférente au phénomène de l’esclavage, pratique odieuse tolérée, soutenue par l’église catholique qui la justifie. Il constate, en dépit des fêtes somptueuses données à V ersailles, vitrine d’une société qui se voudrait prospère, la grande misère dans laquelle se débat le peuple de son pays pour survivre. Il en prend conscience, et trouve en lui les ressources suffisantes pour ne pas sombrer dans la résignation, l’indifférence, pour ne pas subir les orgies intellectuelles fallacieuses imposées, les mensonges, l’immoralité de cette société. Homme au caractère bien trempé, il décide de faire front, de faire un sort à tous les faux dévots, aux “T artuffe”, aux puissants dans un livre : “Mémoire” qui sera publié après sa mort. De “Mémoire” le livre s’intitulera “Testament” définitivement.

SES CIBLES, SES CITATIONS

- La religion catholique : Dieu, prêtres, moines, prophètes, églises, Saintes écritures... - Gens de pouvoir : princes, rois,empereur , tyrans, nobles ... - Parasites divers : gens de robe, notaires, “gens d’injustice”, procureurs, greffiers, juges, contrôleurs, “gens d’impôts”, intendants de police, percepteurs, fermiers généraux, riches propriétaires... - Qui veut-il sauver ? Pauvres, miséreux, victimes, paysans, travailleurs, exploités femmes... Il affirmera que “l’athéisme n’est pas une fin mais un moyen”, et aspire à une politique communaliste et internationale. Voici quelques citations du “Mémoire” de Meslier écrit 160 ans avant la révolution française.

1°) Inégalités dans la société

“Un autre abus est cette énorme disproportion que l’on voit partout dans les dif férents états et conditions des hommes, dont les uns semblent n’être nés que pour dominer tyranniquement sur les autres et pour avoir toujours leurs plaisirs et leurs contentements dans la vie, et les autres au contraire, semblent n’être nés que pour être des êtres vils, des misérables et malheureux esclaves, et pour gémir toute leur vie dans la peine et la misère.”

2°) Abattre le régime féodal

Pour rétablir une justice sociale, il faut abattre la féodalité donc la religion catholique, qui est le soutien du pouvoir et s’en nourrit par une démonstration purement matérialiste qui prouve que Dieu n’existe pas. “Tout ce qu’il y a de plus beau et de plus admirable dans la nature ne démontre pas tant l’existence d’un Dieu tout-puissant et infiniment parfait, comme le moindre mal démontre qu’il n’y en a point.” “Rien ne peut mouvoir la matière que la matière elle-même et, par conséquent, il ne faut point chercher d’autre premier moteur de la matière même qui se meut d’elle-même.” “L’être ne peut avoir été créé, le temps ne peut avoir été créé, pareillement l’étendue ni le lieu ou l’espace ne peuvent avoir été créés et, par conséquent, point de créateur.”

3°) Appeler les peuples opprimés à se révolter

“Votre salut est entre vos mains, votre délivrance ne dépendrait que de vous si vous saviez bien vous entendre tous ; vous avez tous les moyens et toutes les forces nécessaires pour vous mettre en liberté.”“V ous serez misérables et malheureux, vous et vos descendants, tant que vous ne posséderez et que vous ne jouirez pas tous en commun des biens de laterre.” “Unissez-vous donc, peuples, si vous êtes sages, unissez-vous tous, si vous avez du cœur, pour vous délivrer de toutes vos misères communes, excitez-vous, et encouragez-vous les uns les autres à une si noble, si généreuse, si importante et si glorieuse entreprise que celle-là.”

4°) L’Eglise et le pouvoir

“La religion chrétienne souffre, approuve et autorise plusieurs abus qui sont contraires à la justice, à la droite raison et au bon gouvernement des hommes.” “Toutes les religions qui sont ou qui ont été dans le monde ne sont et n’ont jamais été que des inventions humaines.” “Toutes les religions ne sont qu’erreur et imposture... inventées par de fins et rusés politiques... pour tenir facilement le commun des hommes en bride, et faire d’eux tout ce qu’ils voudront.” “La religion est une vraie pépinière de fanatiques : c’est véritablement le théâtre où ils jouent le mieux leurs personnages.”

5 °) Construire un régime politique de conception égalitaire etcommuniste

“T ous les hommes sont égaux par la nature, ils ont tous également le droit de vivre et de marcher sur la terre, également le droit d’y jouir de leur liberté naturelle et d’avoir part aux biens de la terre en travaillant les uns et les autres pour avoir les choses nécessaires et utiles à lavie.” “Et aussi point d’autre religion parmi vous que celle de la véritable sagesse, et de la probité des mœurs, point d’autre que celle de l’honneur, et de la bienséance, point d’autre que celle de la franchise, et de la générosité du cœur... point d’autre que celle de maintenir la justice, la vérité et l’égalité partout.”

LE “SIÈCLE DES LUMIÈRES” IGNORE MESLIER

Le “Siècle des Lumières” ignorera superbement les écrits, la portée, le caractère profondément avant-gardiste, révolutionnaire de la philosophie et de la pensée de Meslier.

Pour ce mouvement littéraire, la notion “d’homme” ne se circonscrivait qu’à “l’homme blanc européen.”

Un exemple, réflexe culturel oblige, la “Révolution française” de 1789 n’a pas mis fin,n’a pas tenté de mettre fin à l’esclavage des Noirs. Aux Noirs comme au Chevalier de Saint-George, abolitionniste, embastillé, qui ont cru comprendre que leur race était concernée par les “Droits de l’Homme”, on leur a bien fait comprendre que seul “l’homme blanc européen” était visé par les dispositions de la Révolution française. Plongé, noyé, englué dans la querelle des “Anciens et des Modernes”, ce courant littéraire ira chercher ses inspirateurs, ses maîtres, ses précurseurs partout ailleurs: Rabelais, Montaigne, Bayle, Fontenelle, etc, sauf chez Meslier, relégué aux armoires à antiquités. Placé volontairement dans l’oubli, à cause d’une démarche intellectuelle. philosophique qui gênait, qui imposait aux élites, aux intellectuels de l’époque de jeter un regard nouveau sur la société, ses ressorts, ses “valeurs”, ses dérives, sa finalité, Meslier restera ignoré du grand public.

La philosophie de Meslier plonge ses racines au cœur même de la société dont il faisait une critique sans complaisance. Pas du bout des lèvres comme les “Lumières.” Il dénonçait de manière véhémente, convaincue, les privilèges exorbitants de la noblesse et du clergé. Sa philosophie invitant ses compatriotes à dépasser le cadre étroit européen, de s’investir dans le combat pour la libération des “peuples pauvres”, en les appelant à se révolter, n’intéressait pas grand monde. Deux cent quarante cinq ans après sa disparition, les écrits, la philosophie du “Curé Meslier, athée, communiste et révolutionnaire sous Louis XIV”, se révèlent être toujours d’une implacable actualité.

(1) Maurice Dommanget est un ancien instituteur et syndicaliste. Historien du mouvement ouvrier, spécialiste de Graccus Babœuf et de Auguste Blanqui. Il a été membre du Parti communiste français de 1920 à 1930.