Les fondements historiques et idéologiques du racisme «respectable» de la «gauche» française (2e partie)

L'ABSOLUTISATION DE LA PENSÉE DES LUMIÈRES ET DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

Les Lumières désignent un courant d'idées philosophiques en Europe qui a connu son apogée au dix-huitième siècle. Ce courant se caractérise par un appel à la rationalité et le combat contre l'obscurantisme. En libérant l'homme de l'ignorance et de la superstition, il s'agit de le faire penser par lui-même, et ainsi, de le faire devenir adulte. Ces dimensions communes aux différents philosophes des Lumièr es n'empêchent pas son hétérogénéité. La philosophie des Lumières est parcourue de «courants» correspondant aux intérêts sociaux divers de l'époque.

L'absolutisation de la pensée des Lumières commence ainsi par l'homogénéisation d'une pensée contradictoire. Mais la philosophie des Lumières est également bornée historiquement. Elle se déploie, non pas comme logique pure, mais comme logique de pensée inscrite dans une époque précise. C'est d'ailleurs la premièr e critique qui lui est faite par Marx et Engels qui veillent à la mettr e en correspondance avec les intérêts sociaux qui la suscitent et la portent : «Les philosophes français du XVIIIesiècle, eux qui préparaient la Révolution, en appelaient à la raison comme juge unique de tout ce qui existait. On devait instituer un État raisonnable, une société raisonnable ; tout ce qui contredisait la raison éternelle devait être éliminé sans pitié. Nous avons vu également que cette raison éternelle n'était en réalité rien d'autre que l'entendement idéalisé du citoyen de la classe moyenne, dont son évolution faisait justement alors unbour geois.

Or, lorsque la Révolution française eut réalisé cette société de raison et cet État de raison, les nouvelles institutions, si rationnelles qu'elles fussent par rapport aux conditions antérieures, n'apparurent pas du tout comme absolument raisonnables. L'État de raison avait fait complète faillite». Les droits de l'Homme pour leur part sont caractérisés comme les droits d'un homme abstrait, d'un homme bourgeois, d'un homme égoïste : «L'homme réel n'est reconnu que sous l'aspect de l'individu égoïste et l'homme vrai que sous l'aspect du citoyen abstrait». Depuis cette première critique de l'universalisme des Lumières, d'autr es sont venues la compléter : la critique féministe a souligné «les présupposés androcentriques, racistes, économiques et anthropologiques de la philosophie européenne du siècle desLumièr es» ; le caractèr e ethnocentrique de la pensée des Lumières a également été dénoncé en soulignant que «là où nous lisons «homme», «humanité», «citoyenneté», c'est de l'humanité blanche et eur opéenne que nous parlent les Lumières.

Certes, dans les Lumières pourtant les premières lueurs de nos valeurs. À condition d'ignor er la traite, la négritude, l'esclavage». L'universalisme des lumières apparaît ainsi très peu universel que ce soit à l'inter ne (universalisme masculin du dr oit de vote jusqu'à l'après seconde guerre mondiale, universalisme excluant les ouvriers du droit de vote jusqu'en 1848) et à l'exter ne (code noir , code de l'indigénat, etc.). Au travers de l'absolutisation de la pensée des Lumières et de la Révolution française, la classe dominante vise à présenter l'histoire française comme n'étant pas le résultat des af frontements sociaux mais comme résultat du déploiement d'un «génie» et/ou d'une «spécificité» française transversal aux différentes classes sociales. Il y aurait ainsi des caractéristiques pr opr ement françaises qui situeraient cette nation au dessus des autres, en avance sur les autres, en avant-garde de l'émancipation et de la civilisation. Bref il s'agit de produire un complexe chauvin pour canaliser les luttes sociales à un moment où se déployait la colonisation violente du monde. L'offensive idéologique visant à ancrer l'idée d'une exceptionnalité/supériorité française est tout azimut et a malheureusement en grande partie réussie. Voici comment par exemple Karl Marx raille la prétention de la «gauche française» à l'exceptionnalité linguistique et républicaine : «Les r eprésentants (non ouvriers) de la «Jeune France» soutenaient que toutes les nationalités et les nations étaient des «préjugés surannés». Stirnérianisme proudhonisé : on répartit tout en petits«gr oupes» ou «communes» qui forment ensuite une «association» et non pas un état. Et tandis que se produit cette individualisation de l'humanité et que se développe le «mutualisme» adéquat, l'histoire des autr es pays doit suspendr e son cours et le monde entier attendra que les Français soient mûrs pour faire une révolution sociale. Alors ils ef fectuer ont sous nos yeux cette expérience, et le reste du monde, subjugué par lafor ce de l'exemple, fera de même.

(…) Les Anglais ont bien ri quand j'ai commencé mon discours en disant que notre ami Lafargue et ceux qui avec lui supprimaient les nationalités, s'adr essaient à nous en français, c'est-à-dire une langue que les 9/10e de l'assistance ne compr enaient pas. Ensuite, j'ai signalé que Lafargue, sans s'en r endr e compte, entendait apparemment par négation des nationalités leur absorption par la nation française modèle». L'universalisme des Lumièr es apparaît ainsi très peu universel que ce soit à l'interne : universalisme masculin du droit de vote, etc. code de l'indigénat, etc.

A suivr e…

Saïd Bouamama