Gérard César : «On est plus Européen que Caribéen» (FIN)

Lors du colloque international organisé par le journal «Nouvelles-Etincelles»,sur le thème :«Les médias,outils d’intégration et de développement dans la Caraïbe»,nous avions tenu à interroger Gérard César sur son expérience médiatique.

J’ai besoin de découvrir les gens, de discuter avec eux, de savoir ce qu’ils ont dans la tête et comment ils en sont arrivés là où ils sont.

Qu’est-ce que j’appelle la cari- béanité ? Je vous donne un petit exemple. En 1966, mon entraîneur à l’époque, Jacques Lolo m’avait inscrit sur le 100 m international pour les jeux deT rinidad. Je su is sorti 3e derriè - re un Américain Johnny Moon et un Bahaméen, Tom Robinson, finaliste aux jeux olympiques de Tokyo en 1964. En 1976, on m’a envoyé, aux Bahamas, en reportage, pour le 1er Carifta Games. Je n’étais plus athlète, mais journaliste. Je retrouve comme ministre des sports aux Bahamas, T om Robinson. Nous étions sur le même podium. Nous nous sommes reconnus. Il m’a déménagé de l’hôtel où nous étions pour me mettre à la Résidence. J’ai rencontré des gens comme John Carlos, 3e du 200 m des Jeux olympiques de Mexico. John Carlos est celui qui lève le poing avec le gang noir. Il était du Black Power. Quand je me promenais à 18 ans dans Trinidad avec lui, avec une garde rapprochée, on faisait du foo- ting, on riait car, il se montrait très ouvert et avec beaucoup d’humour. Nous sommes restés amis définitivement. Je peux citer d’autres qui sont devenus ministres des sports àT rinidad, de qui j’ai battu le record sur 100 m des Jeux de Trinidad. Je m’étais rendu compte que dans le sport, beaucoup de finalistes olympiques, beaucoup de médaillés d’or , d’argent ou de bronze étaient devenusministres des sports chez eux. C’est le cas à la Jamaïque, à Cuba et d’autres pays. Ces Caribéens-là de pays indépendants, en devenir , avaient utilisé leur potentiel sportif pour combattre la délin- quance ou beaucoup de choses. Et c’est grâce à ces ministres de sports que le sport est devenu un phénomène social chez eux.

La Caraïbe, pour moi, c’est des rencontres avec des gens qui mer essemblent, avec qui je peux discuter , partager ; c’est aussi des choses qui sont difficiles comme, parfois, certains régimes.

Je pense à celui qui est sous embargo, à Cuba. Je me demande pourquoi, en 2010, à quelques kilomètres de chez nous, on est encore sous embargo. Ce qui «me prend la tête», c’est de ne pas pouvoir se déplacer comme on veut. On va plus vite à Bruxelles que l’on va dans un pays de la Caraïbe. Je me demande à quoi cela sert ? Pourquoi on n’a pas plus de marchés dans cet espace ? Pourquoi on n’arrive pas à communiquer plus sur le plan commercial, sur le plan culturel , si ce n’est que dans quelques festivals où l’on va montrer de la musique, quelques compétitions sportives. Prenons l’exemple de Panama où j’ai trouvé, au cours de mon reportage, une communauté antillaise, certes de presque 40 000 personnes, alors que les gens sontpartis depuis 1905 ; des gens qui parlent encore le créole comme nous. Oui, je peux dire passion caribéenne et, en 40 ans de journalisme, ce qu’il y a de plus important dans ma vie, c’est de découvrir la Caraïbe. Ce qui me choque le plus -et je ne prétends pas avoir la science infuse- c’est souvent d’entendre ou dans des émissions ou dans des discours des gens qui, pratiquement, ne sont jamais allés dans la Caraïbe, tenir des discours comme s’ils habitaient là.

Nous avons, entre nous, pays Caribéens, un mur pour tout ce que j’ai cité précédemment dans la mesure où les distances sont beaucoup plus difficiles à franchir qu’elles ne sont longues. Quand j’étais dans le Pacifique, j’allais facilement à Hawaï ou à Djakarta. Quand j’étais à Wallis et Futuna, j’allais facilement aux îles Fidji. Mais, pour aller par exemple aux Bahamas ou à Caracas, cela devient une expé - dition. Pourquoi ? Il faut trouver la solution et c’est ce qui me bloque. On est plus Européen que Caribéen. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas l’ê- tre. Ce n’est pas mon affaire. Ce qui est mon affaire, c’est de mieux connaître les frères caribéens, de pouvoir discuter avec eux. Des frères caribéens parce qu’ils viennent du même moule, sortis des mêmes endroits. Nous avons tous été des pays nés dans la violence, mais, nous ne sommes pas des pays de violences. Nous sommes des pays qu’on n’a pas encore tout à fait compris. Il ne faut pas qu’on nous prenne simplement comme des sportifs ou des musiciens. On a aussi ce que l’on appelle la même cervelle que les autres. Une cervelle caribéenne. Elle sait aussi multiplier les prix Nobel. Elle sait aussi multiplier les recherches. Quand je regarde le calendrier des inventeurs noirs, beaucoup de noirs sont des Caribéens qui sont souvent partis chercher fortune aux Etats-Unis ou tout juste travailler. Beaucoup de Caribéens sont de grands inventeurs. Qu’on ne pense pas que nous sommes capables de faire de la petite musique car je peux citer de très nombreuses célébrités en ce domaine, issues de la Caraïbe. Je pense que nous avons suffisamment de neuro- nes pour être un grand peuple. Je ne parle pas du peuple de Guadeloupe mais du peuple caribéen même s’il y a des différences, eu égard à la colonisation. Quand je me retrouve avec des amis, tels que Roben Blades, le Salcero, d’origine Sainte-Lucienne, chacune de ces chansons a unmessage. Dans ce monde de mondialisa- tion où l’on va nous bouffer, il devient primordial que les Caribéens puissent se retrouver quelque part et qu’on arrête aussi d’ostraciser les gens. On n’est pas plus Caribéen qu’eux, ils ne le sont pas plus que nous, nous le sommes tous. Quand on les ostracise, cela fait plaisir aux autres et les autres, je ne sais même pas qui c’est. Il y en a qui doivent se marrer dans l’ombre. Voilà ce que je voulais dire.