Nathalie Minatchy : «Développer la production agricole, nourrir le peuple et réduire la consommation des produits importés»

Nathalie Minatchy,militante de KAP (Koudmen pour une Agriculture Paysanne en Guadeloupe) après l’opération «Manjé an nou» organisée conjointement par KAP et l’Union des Producteurs Guadeloupéens les 26 no vem- bre et 3 décembre dans les écoles de Ferry à Deshaies revient sur la nécessité de sensibiliser aux produits du pays et aux personnes (agriculteurs oupêcheurs) qui les produisent pour arriver à une autosuffisance dans le pays.

Nathalie Minatchy :Nous espé - rons, clairement, le développe - ment de la production agricole, de l’agro-transformation afin d’a - voir une agriculture qui puisse nourrir la population de la Guadeloupe et permettre à l’agri - culteur de vivre décemment de son travail.

Q : L ’opération de ces der niers temps sera-t-elle r eprise dans d'autr es écoles ? N.M :Nous sommes prêts à reprendre c ette opération dans toutes les écoles qui nous en feront la demande. Elle pourra aussi être com plétée avec d’aut - res intervenants pour sensibiliser les enfants sur d’autres aspects, notamment avec Henry Joseph qui est membre de Kap Gwadloup.

Q : Comment les mair es et r esponsables des cantines réagis - sent-ils à vos pr opositions ? N.M :L ’accord du 4 mars signé par le LKP (dont fait partie Kap Gwadloup) prévoit dans son arti - cle 1, une revalorisation de 20% de la P ARS (Prestation de Restauration Scolaire) en contre - partie d’un engagement des can - tines à of frir aux élèves plus de 50 % de produits issus de notre agri - culture. Nous savons que c’est un objectif qui ne sera pas simple à atteindre car il faut organiser les producteurs, planifier la produc - tion pour avoir une régularité, organiser l’agro-transformation car les restaurants scolaires ne pourront pas recevoir des produits bruts. Il y a également des problèmes d’ordre juridique concernant le respect de la législation lors de la rédaction des appels d’offre. C’est un grand chantier et parallèlement, il faut aussi que les enfants aient envie de manger les produits du pays, c’est pour cela que nous avons voulu mettre en place cette opération de sensibilisation. Les responsables de cantine que nous avons rencontrés, à l’initiative de l’UPG, nous ont fait part de toutes ces difficul- tés et sont contents de pouvoir travailler avec nous. À nous donc de faire le liyannaj pour que les choses avancent.

Q : KFC, Fast food, les jeunes guadeloupéens ont-ils encore l'envie de «manjé gwadloup» ? N.M : La mondialisation, l’accul- turation font que nos jeunes (enfants et même étudiants) sont très attirés par ces nourritures «modernes» qui ne lésinent pas sur le marketing. Cependant, nous connaissons les effets d’une hygiène alimentaire désastreuse : 16 % d’obésité infantile en Guadeloupe, une prévalence importante de maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle pour lesquelles une mauvai - se alimentation, trop riche en sucres et en graisses, est un facteur de risque aggravant. Pouvons-nous, au nom de la soi- disant modernité et de la mondialisation, laisser nos enfants se détruire. Nous devons réagir si nous les aimons et nous devons les amener petit à petit à redécouvrir les goûts, les saveurs de leur pays ainsi que le plaisir du partage et de la convivialité. Les bienfaits des aliments made in Gwadloup sont de plus en plus connus et reconnus, les méfaits de la société de consommation aussi. Nous sommes confiants et décidés à travailler sur ces axes.

Q : D'une manière générale, la Guadeloupe est-elle déjà en mesure de s'auto-suffire en matière alimentaire ? N.M : Il y a encore des efforts à faire quand on voit les chiffres de l’importation des denrées alimentaires en Guadeloupe, mais les 44 jours ont montré que nous avions de la ressource, contraire- ment à la Martinique où les cho- ses étaient plus difficiles. À nous de me ttre en valeur nos res - sources et de diminuer les consommations de produits importés et raf finés qui ne font de bien, ni à nous, ni à nos agriculteurs, ni à notre développement économique.

Q : La Guadeloupe, est-elle en mesur e d'exporter une partie de sa pr oduction ? N.M : De quelles productions parle-t-on ? La Guadeloupe exporte déjà une partie de sa production, constituée par la banane, les produits issus de la canne, le melon. Mais quel avenir pour ces cultures qui sont soumi- ses aux cours des marchés mon- diaux et dans le contexte d’abaissement et de suppression des barrières douanières (voir ce qui se passe encore actuellement pour la banane). Si ces cultures d’exportation, à cause notamment du volet d’emplois qu’elles représentent, doivent être main- tenues, elles doivent l’être suivant des modalités et objectifs à redéfinir (viser des marchés de niche, de qualité …et aussi se tourner vers le marché intérieur…), mais en aucun cas elles ne pourront être des filières d’a- venir, dans le cadre actuel de la compétition mondiale et du libreéchange. La Guadeloupe, si elle veut exporter durablement, doit se tourner vers des productions de qualité et haut de gamme, fai- sant appel à la créativité et à l’innovation. Elle doit parallèlement développer sa production pour être beaucoup plus of fensive sur le marché intérieur afin de rédui- re les importations de biens courants pouvant être fabriqués sur place. Cela passe aussi par le choix de nouvelles façons de consommer.

Q : Ces expériences sont-elles comprises (et suivies) par des agriculteurs qui ne sont pas à l'UPG ? N.M : Il faudra qu’elles le soient et nous y travaillerons. Il faut repenser l’agriculture en Guadeloupe, de manière globale et créer une agriculture à la dimen- sion de notre pays, pourvoyeuse de nourriture, mais aussi de santé, de bien être et de développement économique. Il ne faut pas se figer non plus sur des concepts, mais voir comment nous pouvons, tous ensemble, répondre au mieux aux besoins de la population, aux besoins de respect de l’en- vironnement, au rôle social, d’équilibre et d’émancipation que doit jouer l’agriculture.

Q : Est-ce que l'agriculteur gua- deloupéen, vit bien de SA terre ? N.M : Celadépend de ses condi- tions d’installation (s‘il est à la tête d’un véritable outil de travail avec irrigation, électricité etc ou don senp mòso tè). Cela dépend de la superficie, mais aussi du choix de laculture. Un agriculteur avec 2 ha de fleurs vit mieux qu’un agriculteur qui travaille 15 ha de canne dans les conditions actuelles de valorisation de la canne. Mais d’une manière générale, ne nous faisons pas d’illusion, il y a de nombreux agriculteurs qui souffrent, qui ont des conditions de travail très difficiles (exemple des agriculteurs installés dans les régions montagneuses à Matouba), des situations précaires (agri - culteurs qui louent des terres et qui so nt parfois menacés d’ex - pulsion par le propriétaire du jour au lendemain). Parmi eux, il y a des résistants dans l’âme qui forcent l’admiration. Il faut aussique l’agriculture redevienne un métier attractif et valori - sant pour tous les jeunes for - més au L ycée Agricole notam - ment et qui embrassent ensui - te d’autres carrières.