INAUGURATION DU MÉMORIAL ACTE Discours du maire de Pointe-à-Pitre

Parmi les interventions des per sonnalités qui sont interv enues l or s de l'ina ugur ation du Mémor ial A CT e , le dimanche 10 mai 2015, celle du ma ir e de Pointe-à-Pitre, Jacques Bangou, a été remarquée.A près avoir rappelé ce qu'ont été l'existence des esclaves, en terre guadeloupéenne plus pa r ticulièr ement, et les conditions des travailleurs sur ce site de l'usine Darboussier, il aexpr imé ses attentes pour le Mémorial ACTe, pour le peuple guadeloupéen et enpa rticulier pour la ville de Pointe-à-Pitre. P our information, nous pub lions cette interv ention.

Monsieur le président de la République, Messieurs les chefs d'Etat duSénégal, du Mali et du Bénin etd'HaïtiMesdames, messieurs les chefset r eprésentants de gouvernements de la Caraïbe Monsieur le président del'Assemblée Nationale, Mesdames les ministres, Madame la Secrétaire général de l'Organisation internationale de laFrancophonie, Messieurs les présidents des Régions Martinique et GuyaneMonsieur le président de laRégion GuadeloupeMadame la présidente del'Assemblée Départementale dela GuadeloupeMesdames, messieurs, cher peu ple de Guadeloupe

Devant ce Mémorial ACT e, magnifique outil pour notre mémoire collective, dans cette rade de Pointe-à-Pitre épicentre de notre archipel guadeloupéen, je veux vous dire à tous mon profond sentiment de fierté.

Monsieur le président de la République, votr e présence aujourd'hui est un honneur. Elle nous dit que la nation toute entière que vous représentez, par-delà la reconnaissance du crime de l'esclavage, nous apporte son soutien dans la constitution d'une société guadeloupéenne résolument tournée vers l'avenir

. Messieurs les chefs d'Etat du Sénégal, du Mali et du Bénin, votre participation à cette cérémonie marquera notre histoire. Prolongeant la démarche initiée ici, à Pointe-à-Pitre, par Léopold Sédar Senghor en 1973, vous refondez la symbolique du voyage imposé à nos ancêtres communs. Soyez les bienvenus.

Monsieur le chef de l'Etat haïtien, Mesdames et Messieurs les chefs de gouvernements des pays de la Caraïbe, votre présence témoigne de l'impact du mémorial pour nos peuples unis par l'Histoire. Soyez en fraternellement remerciés.

Mesdames et messieurs, c'est un peuple debout, c'est la Guadeloupe toute entière et c'est une ville vaillante qui vous accueillent sur ce site historique de Darboussier. Ici, sur ce sol, a été arrachée la première abolition de l'esclavage en 1794 offrant 8 ans de liberté inédite que beaucoup ignorent. Là, à quelques encablures, Ignace et des centaines de combattants martyrs de notre histoire, ne purent, pas plus que Delgres à Basse Terre et Saint Claude, empêcher son rétablissement en 1802 et moururent tous en héros. A cet emplacement, peu après l'abolition, et pendant 111 ans ont fumé les cheminées de la principale usine de transformation de la canne à sucre de la Caraïbe.

Sur le sol que vous foulez, il y a de la sueur, il y a du sang, il y a des plaies et des mutilations, il y a des vies. Enormément de vies et souffrances qui ont contribuées à produire des richesses au seul bénéfice des pays de la lointaine Eur ope.

Monsieur le président de la République, dans votr e récent déplacement au camp de concentration de Struthof, vous avez rappelé que la connaissance de l'Histoire ne nous préserve pas du pire. Ici, le pire a eu pour nom l'esclavage, avec sa tentative de déshumanisation des êtr es noirs et son sinistr e cortège de brutalité et d'oppression. L'esclavage est un crime dont la mémoire nous engage et la première vertu du Mémorial ACTe est d'en témoigner avec for ce. Mais l'esclavage s'impose également sur cette partie du monde comme un élément fondateur de nos identités.

L'extraordinaire force des esclaves en effet, arrachés de leurs terres

africaines et livrés sur nos terres d'Amérique aura été d'avoir fait peuple partout et d'avoir partout reconstruit des cultures fortes et for gées de solides identités. Et sur ce site, la for ce des travailleurs de Darboussier, comme celle de leurs ancêtr es, aura été d'avoir transcendé l'exploitation dont ils ont été l'objet pour ne retenir et n'être riches que de la solidarité et la fraternité des classes laborieuses. Nous sommes dans un faubour g fait d'ouvriers, d'immigrés de toute la Caraïbe, de Guadeloupéens venus de toutes les îles de notre archipel. Nous sommes dansun lieu né de la rencontre entre les petits planteurs venus de leur lointaine campagne à dos de char à bœufs livrer la canne à sucre, et le monde urbain naissant fait d'artisans et de boutiques, nos «lolos», alimentées par les maigres et volatiles payes des ouvriers.

La nostalgie de ce laboratoire humain demeure tout aussi vivace dans notre conscience collective que le souvenir des dures conditions d'exploitation des hommes et des femmes sur ce lieu de douleur. Le Mémorial ACTe sera assurément le moteur de la reconstruction humaine et physique de ce quartier.

Mesdames et Messieurs, ce Mémorial ACTe est le fruit de toutes les énergies de la Guadeloupe, et je veux rendre hommage à celles et à ceux qui l'ont pensé, qui l'ont porté politiquement, qui l'ont conçu et qui l'ont construit.

Nous sommes fiers, à Pointe-àPitre, d'avoir apporté notre contribution à cette réalisation ambitieuse et nous continuer ons autour du Mémorial ACTE la reconstruction d'une ville nouvelle fidèle à ses racines mais résolument moder ne et tournée vers la Caraïbe, l'Eur ope et le r este du monde.

Nous y cultiverons tous les ferments de la mémoire : - Pour notre peuple chaque jour plus divers, plus métis, plus proche du «tout monde». - Pour une ville de noirs, de blancs, d'indiens, de chinois, de Libanais, d'européens et de caribéens. Une ville d'«horizontale plénitude» dirait Glissant.

Et parce que notre histoire ne se résume pas à la seule relation entr e blancs et noirs et ne s'arrête pas au jour de l'abolition, nous baptiserons l'un des quais de ce quartier «L'Aurélie», du nom du bateau qui a porté en terre Guadeloupéenne les premiers travailleurs indiens, ces « engagés » dont l'histoire douloureuse prolonge celle de l'esclavage.

V oilà à l'aune de notre histoire douloureuse mais belle les motifs de la fierté qui m'anime en ce jour et le sentiment de reconnaissance que je ressens pour notre pays et pour notre ville.

Bienvenue à tous !

Docteur Jacques Bangou maire de Pointe-à-Pitre