SOUS-PRÉFECTURE : Rupture du service public !

D epuis plus d’un an, la Place de la Victoire est étrangement calme ! Devant la sous-préfecture : plus d’agitation, plus de bousculades, plus de files d’attente qui s’allongent en cours de nuit pour devenir interminables dès l’aube, composées d’étrangers espérant qu’un jour ils pourront déposer en sous- préfecture une première demande ou un renouvellement de titre de séjour, comme le veut la loi du pays. Grâce au miracle de la dématérialisa- tion, la sous-préfecture a mis en place «les rendez-vous en ligne». Le site de l’administration vous invite à prendre rendez-vous en un click. Ainsi, en apparence, tout va pour le mieux, et les passants ou promeneurs de la Place de la Victoire ne sont plus impor- tunés par ces étrangers encombrants et bruyants. On oublie même qu’ils existent sauf lorsqu’on a un peu de jardinage ou quelques travaux à faire chez soi au moin- dre coût, ou qu’on veut louer en douce un logement minable. La procédure mise en place par la sous-pré- fecture est si simple qu’il n’existe plus aucun autre moyen de déposer une demande. Inutile de se présenter sur place : vous êtes renvoyé sur le site internet de la préfecture, ou même d’adresser un courrier avec un dossier complet à Monsieur le sous-préfet : votre envoi vous sera retourné en vous priant de prendre un rendez-vous en ligne ! Malheureusement, tout cela n’est qu’une fable imaginée par le ministère de l’Intérieur. Pour les premières demandes de titre de séjour, le site de la préfecture vous répond à chaque consultation : «il n’existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement».Après de nombreux mois de vaines tenta- tives, certains usagers, avec l’aide de leur avocat, ont saisi le tribunal administratif et celui-ci a enjoint la préfecture de convoquer les demandeurs dans un délai de deux semaines. C’est ubuesque de passer par le tribunal pour obtenir un simple rendez-vous. La sous-préfecture se met ainsi hors la loi en niant aux étrangers l’accès à un service public et à la reconnaissance de leurs droits. En attendant un hypothétique ren- dez-vous, les exilés vivent dans la préca- rité, rasent les murs, dans la peur d’un contrôle et d’une expulsion. Des cybercafés ou guichets de secréta- riat-services promettent, et parfois obtiennent un rendez-vous pour un coût de plusieurs dizaines d’euros à des étran- gers désespérés de ne pouvoir accéder au service de la préfecture. Cette situation dure depuis de nombreux mois sans que la sous-préfecture n’ait réagi. La dématérialisation, comme seul moyen d’entrer en contact avec l’administration a en outre déjà été dénoncée par le Défenseur des droits dans un rapport de janvier der- nier. Il s’agit d’un obstacle qui rend les étran- gers particulièrement vulnérables (difficul- tés, notamment pour les personnes qui ne maîtrisent pas l’usage d’internet, ne com- prennent pas le langage administratif ou ne parlent pas très bien le Français, ou encore qui ne disposent pas d’une connexion inter- net de qualité, ne sont pas équipés d’ordina- teur et de scanner etc.). Le sous-préfet s’était vanté d’avoir «moder- nisé» ses services. La Place de la Victoire est calme en effet, mais on a caché la poussière sous le tapis ! Les files d’attentes ne se voient plus la nuit ; elles sont pourtant au moins aussi longues mais invisibles. De là à sup- poser que la procédure de dématérialisa- tion mise en place est une façon de com- penser le manque de moyens humains et de limiter l’accès des étrangers au dépôt d’un dossier, il n’y a qu’un pas qu’il est dif- ficile de ne pas franchir.

La Cimade, Pointe-à-Pitre, le 10 mai 2019