Un climat politique et social qui interpelle
Depuis l’installation du gouvernement Macron, nous assistons à une série d’affaires qui prennent naissance ou qui émergent après de nombreuses années de silence. Il y a de quoi s’interroger sur le sens de ces résurgences, souvent pestilentielles qui impactent très souvent un large public.
Les faits révélés sont souvent très graves et on peut légiti- mement être surpris qu’ils n’aient pas été sanctionnés bien plus tôt. Cepen-dant, il convient d’analyser cette situation avec circonspection. D’abord, essayons de compren- dre ce que le pouvoir en place veut faire. S’il s’agit d’assainir une situation malsaine qui dure depuis trop longtemps, ce serait à première vue une bonne inten- tion. Mais, quand on considère les déficits chroniques de l’en- semble des collectivités qui font l’actualité, on doit tout de même s’interroger. Nos élus sont-ils tous incompé- tents ou malhonnêtes ? Ont-ils géré en fonction de la situation à laquelle ils étaient confron- tés, en prenant, ce faisant, de la distance avec les règles de la gestion publique ? Ont-ils choisi d’écouter leur conscience plutôt que les exigences légales ? Ont- ils dilapidé à leur profit les biens publics, ou les ont-ils utilisés au profit des populations ? Il faut donc inventorier cette «mau- vaise gestion» pour apporter un jugement mesuré, car rien n’est ni tout blanc ni tout noir. Autant qu’il faille punir et dégager ceux qui se sont enrichis par l’ar- gent public et au détriment de la collectivité, autant qu’il faille recon- naître que souvent, les collectivités ont suppléé aux graves carences et insuffisances de l’Etat Ce dernier ayant choisi de sacrifier le secteur productif de notre pays sur l’autel du profit capitaliste, au lieu de l’aider à se développer, pour offrir du travail aux Guadeloupéens. Après avoir organisé méthodique- ment l’exode de ceux qui voulaient avant tout travailler pour gagner leur vie, installer l’assistanat et enterrer la valeur «travail», il s’en prend aux édiles qui ont eu la naï- veté ou la faiblesse de répondre à des situations particulières. Loin de moi l’idée d’absoudre ceux qui ont fauté, mais dans bien des cas, il y a des circonstances atté- nuantes qu’il faut considérer. Quand la Chambre régionale des comptes demande aux collectivités en grandes difficultés budgétaires de réduire de façon drastique leurs dépenses, d’augmenter leurs recet- tes pour réduire leur déficit, ces pré- conisations ne sont pas réalistes. On ne saurait les suivre sans causer des situations particulièrement difficiles dans la population.
Quand on se réfère au poids finan- cier du personnel dans les budgets communaux et quand on constate que les impôts locaux ont atteint déjà un niveau préoccupant, on voit bien que l’Etat prépare une situation de crise dans le pays. Une crise qui porte en germe d’autres frustrations, elles-mêmes por- teuses de violences, de délin- quance, de mal vivre, et fatale- ment, de fuites vers des horizons censés être plus prometteurs. Il y a donc des trajectoires à corri- ger, mais cela doit se faire en tenant compte de la situation des familles déjà fragilisées par le chômage et la précarité. L’Etat doit donc accom- pagner le redressement financier qu’il a ordonné, pour amortir le choc qui risque d’être brutal. Il faut aussi que le citoyen guadelou- péen ne se contente pas seulement de répéter les chiffres que les ser- vices de l’Etat veulent rendre publics à certains moments. Il doit exercer son droit d’inventaire et de contrôle en permanence, afin d’être un véritable aiguillon pour ceux à qui il a donné mandat pour le repré- senter. Aujourd’hui, nous arrivons au stade où le colonialisme nous a appris à aimer et estimer ce qui venait de France. Il nous a fait croire que la France serait toujours là pour nous aider et nous protéger. Il a cultivé chez nous, l’idée que notre pays avait surtout des handicaps à cause de ses caractéristiques naturelles. L’aliénation culturelle combinée à la destruction systé- matique de notre économie de base a fait de nous des êtres déra- cinés, fragilisés déboussolés. Pendant longtemps l’argent public qui devait aider la Guadeloupe à se développer a surtout servi à nous illusionner. Il a servi à nous donner le sentiment que notre pays était un petit morceau de France (avec quelques particularités qui pou- vaient pimenter les relations). Que nous devions être une vitrine de la France aux portes de l’Amérique ; que la France, «notre mère patrie» nous adulait à en juger par les réali-sations qui se mettaient en place et q ui nous hissaient au-dessus des autres caribéens. Certes, cela ne s’est pas passé avec la bénédiction de tous les Guade- l oupéens. Il y a eu de la résistance culturelle, des revendications poli- tiques étudiées, des luttes poli- t iques organisées. Mais l’Etat colo- nial n’a pas lésiné sur les moyens pour aliéner notre peuple. Avec ses institutions déconcen- trées, son système de corruption, il a mis en place tout un dispositif pour déguiser sa domination et se servir de notre pays pour réaliser des transactions au profit de ses soutiens. La Guadeloupe est deve- nue une plate-forme pour trans- former l’argent public en argent privé par le simple et innocent jeu des transferts sociaux et de l’im- port-substitution. Pour la réussite de ses plans, l’Etat avait besoin d’élus dociles, aliénés, peu formés, et pour les faire élire par le peuple, il a cau- tionné, voire organisé les fraudes électorales les plus abjectes. Aujourd’hui, l’idée de l’indispen- sable responsabilité des Gua- deloupéens chez eux à résister à l’assimilation a fait du chemin. Des guadeloupéens de tous hori- zons ont fait des études et engrangé des compétences dans de très nombreux domaines. Ils sont en mesure de raisonner sur des bases nouvelles et mieux éclairées, même si une majorité d’élus s’apprête à cautionner le nouveau stratagème de la «diffé- renciation» avancé par Macron. Il faut cependant noter que l’Etat, aux prises avec ses pro- blèmes internes fait feu de tous bois. Ses représentants sur place bafouent le principe de décentralisation. Il y a de l’ingé- rence dans les responsabilités des élus locaux et l’on parle à juste titre, de «gouverneur en Guadeloupe». En somme, il existe un climat poli- tique et social qui inquiète, déçoit, et prête le flanc à tous les déra- pages. Il est donc nécessaire, que nous Guadeloupéens, réalisions que le temps est venu de regar- der le pays dans les yeux, de ne plus se bercer d’illusions, et de se préparer à assumer courageuse- ment nos responsabilités, dans une Guadeloupe qui a des potentiali- tés réelles, mais qui tarde à se fixer un cap pour aller à la conquête d’un avenir meilleur.