A propos de la question nationale dans notre pays
Le colonialisme, qu’il soit fran- çais, anglais ou autres, reste le colonialisme avec les mêmes rapports de domination, le même mépris des peuples colo- niaux, leur même oppression, le même pillage colonial de leurs ressources et autres richesses.
Ces modes de fonction- nement fondamen- taux de ce système étant énoncés, il nous faut cepen- dant concernant la réalité de ses pratiques dans notre région Caraïbe constater de réelles nuances entre le colonialisme anglais et le fait colonial français chez nous en Guadeloupe ainsi qu’en Martinique. Quand nous affirmons ceci, il ne faut absolu- ment pas voir là, une quelque volonté de choix ou de préférence de l’un ou de l’autre. Un ex-dirigeant d’une organisation progressiste de la Dominique voi- sine nous disait, il y a une trentaine d’années : «Camarade, chez nous en Dominique, c’est par le ventre (domination économique) que les Anglais nous ont asservis, tandis que pour vous en Guadeloupe c’est nette- ment plus pernicieux, car c’est par la tête (l’aliénation) que les Français continuent de le faire». Cette phrase qui explique les nuances dont nous parlons, nous n’est jamais sortie de l’esprit. En vérité, c’est sur le terreau de l’as- similation que dès le lendemain de l’abolition de l’esclavage que se développent toutes les luttes sociales et politiques des nouveaux citoyens qui rêvent de ressembler à l’ancien maître par l’accession à la propriété et ou à l’instruction, par le fait de pouvoir voter et de devenir élus. Le nouveau prolétariat qui émerge dans cette société appelée «post-esclavagiste» dont la réalité sociale n’est pas très loin de la condition inhumaines qu’il vient de quitter se bat avec ardeur. Sous la direction de Hégésippe Légitimus et de ses camarades qui socialistes zambos - un socialisme guesdiste teinté de négrisme et de mysti- cisme (il est prêté à ce leader des capacités de mofwazé) il mène une lutte âpre qui malheureusement s’étiole par l’alliance capital/travail. Ce n’est qu’avec Achile René- Boisneuf que la lutte des travail- leurs guadeloupéens prend pour la première fois un tour antico- lonialiste. Juste une parenthèse malheureusement puisqu’au len- demain de la deuxième guerre mondiale la loi de la départemen- talisation vient rendre officielle une situation datant d’un siècle et qui perdure encore aujourd’hui. S’il est vrai que le nouveau mou- vement communiste, ait été départementaliste, le mérite principal de ses dirigeants de l’époque fut précisément dès 1955, lors de sa 9ème Conférence fédérale, de parve- nir à la compréhension que la Guadeloupe n’était pas la France, que le peuple guadelou- péen était différent du peuple français et qu’un peuple ne pou- vait assimiler un autre. Les communistes guadeloupéens inscrivaient désormais leur lutte dans le cadre de la décolonisation, érigeaient leur Parti en organisa- tion indépendante et réclamaient un statut d’autonomie pour la Guadeloupe lors de leur Congrès constitutif en 1958. La revendication de l’autonomie lancée au pays correspondait à la réalité du moment. La principale difficulté qui fait obstacle à sa pro- pagation dans les masses tient dans le fait que son lancement correspond à l’arrivée du gaul- lisme en France comme un pou- voir fort. Le développement socio-historique du peuple guade- loupéen en tant que produit du colonialisme en absence de toute conscience nationale ne permet- tait pas la superposition de la question coloniale avec celle de la question nationale.
Celle de l’indépendance nationale venue extra muros, s’appuyant sur la division au sein du mouvement communiste international avec le PC chinois, sans aucune prise en compte de «l’attachement» à la citoyenneté française d’une grande partie de notre peuple apparaît alors comme une surenchère et entraîne une division pérenne des forces anticolonialistes. En fait, même si quelques éléments les plus avancés de notre peuple peuvent considérer notre pays comme une nation sans état, même si notre peuple a toutes les caractéristiques et attributions d’une nation, c’est bien vrai que la majorité de nos compatriotes ne sont pas encore parvenus à cette compréhension. Le sentiment national n’est pas la conscience nationale qu’il y a encore à affermir et élargir. Même si le gwo-ka au tra- vers de ses expressions de musique et de danse fonctionne avec la langue (le créole guadeloupéen) en tant que facteurs identitaires, cela reste, sans parcelle de souveraineté, insuffisant pour promouvoir une authentique conscience nationale. Les communistes ici et ailleurs sont par principe pour le droit à l’autodé- termination des peuples ainsi que pour le droit à leur indépendance. C’est pourquoi nous avons com- battu à l’intérieur du parti pour affir- mer ce principe et emmener non plus à dénommer «indépendan- tistes» avec une connotation néga- tive les nationalistes. Cependant pour débloquer la situa- tion, pour aller de l’avant, il convient 60 ans après le lancement de la revendication de l’autonomie com- prise comme une étape vers la totale souveraineté, de mettre tout en oeuvre pour y parvenir dans les meilleurs délais. La question de la véritable respon- sabilité des affaires guadelou- péennes par les Guadeloupéens eux-mêmes reste celle la plus cen- trale pour apporter les réponses les plus appropriées aux nombreux problèmes de société qui assaillent notre peuple depuis tantôt.