MÉMOIRES DE EUVREMONT GÈNE«Racisme et lutte de classes»

P ar Euvremont Gène, Secrétaire généralParu dans Etincelles, n° 942 du samedi 22 avril 1967 «L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes». (Le Manifeste Communiste)

LE COLONIALISME RESPONSABLE DES CLOISONS RACIALES A LA GUADELOUPE

A) SOUS L’ESCLAVAGELa discrimination raciale naît à la Guadeloupe, colonie de peuple- ment, avec les méthodes emplo- yées par l’Etat monarchique pour l’occupation du sol. Des blancs venus de France colons libres ou engagés sont les maîtres du territoire après l’extermination des Caraïbes. Des noirs raflés sur les côtes d’Afrique leur sont livrés comme esclaves. Au dire du Père Dutertre, les planteurs traitaient «ces pauvres misérables ni plus ni moins que nous traitons les chevaux en France».Cependant, le mélange des races s’opéra rapidement car selon le Père Labat missionnaire et planteur lui-même «il est des besoins phy- siques qui se font sentir dans les cli- mats chauds plus que partout ail- leurs».Ainsi les bâtards des escla- vagistes : les mulâtres libres fai- saient leur apparition supplantant les noirs bon teint dans l’ordre social. Tel est le peuplement fonda- mental du pays.

B) APRES L’ESCLAVEAprès l’abolition de l’esclavage une immigration cosmopolite fut ou- verte. Tout d’abord arrivèrent des asiatiques (Indiens, Chinois anna- mites) engagés pour suppléer aux noirs qui désertaient les plantations.L’esclave d’hier manifesta un senti- ment de supériorité à l’égard des nouveaux engagés.Enfin d’autres Français, des Espa- gnols, des Italiens, des Libanais et des Syriens complétèrent l’immi- gration en se fondant dans la popu- lation blanche déjà existante ou en formant des groupes fermés. Mais les uns et les autres occupèrent rapidement des situations écono- miques enviables.C) AUJOURD’HUILe Guadeloupéen est le produit de tout ce brassage de races provoqué par l’expansion coloniale française.D’ailleurs, quelle que soit la couleur de la peau du Guadeloupéen, le pouvoir gaulliste par sa politique raciste (maintien du sous-dévelop- pement économique et social du pays - Application discriminatoire des allocations familiales et frustra- tion des prestations sociales - Organisation de l’expatriation de la jeunesse - Tentative de repeuple- ment du pays - Privilèges aux rois de l’export-import - Renforcement des pouvoirs des préfets - Pérennisation de la candidature officielle aux élec- tions politiques et sociales - Violence etc.) le traite en homme diminué, en colonisé.

La contradiction que notre géné- ration doit résoudre et que nous résoudrons certainement est celle qui oppose notre peuple opprimé aux monopoles français désignés communément sous le vocable :impérialisme.

Pour être efficace ce combat décisif contre le colonialisme exige doncl’union et la cohésion de tous les exploités de la Guadeloupe blancs et noirs contre les monopoles, son pouvoir (le Gaullisme) et leurs alliés guadeloupéens blancs et noirs, une poignée forte heureuse- ment. Le planteur du Moule sait parfaitement que son ennemi de classe n’est pas le blanc matignon, paysan pauvre des Grands-Fonds. Comme le travailleur guadeloupéen préfère le blanc Regnier, technicien de Radio Guadeloupe, qui au cours de la récente campagne des législa- tives se plaça sur ses positions de classe au noir Gabriel Lisette béni oui-oui des monopoles. Comme l’électeur guadeloupéen estime Robert Ballanger, député communiste français, qui dénon- ça devant le gouvernement les préparatifs de la fraude aux légis- latives, et méprise le nègre Paul Valentino qui bénéficia des irré- gularités électorales.

De sorte qu’il est aussi stupide aujourd’hui de parler ici de «Pouvoir noir» de «Combat nègre» que hier certains exhortaient «d’aller aux urnes pour la victoire de la race noire» et que d’autres avaient cru pouvoir maintenir dans le pays des cercles pour blancs, des sociétés de mulâtres et fixer les indiens sur les habitations sucrières. Le pouvoir colonial qu’il fut à ses débuts, l’absolutisme royal protégeant la bourgeoisie commerçante fran- çaise (négriers, riches arma- teurs, colons) ou aujourd’hui le gaullisme au service des mono- poles français est le responsable, au 1 er chef, de la discrimination raciale à la Guadeloupe fondée sur les différences sociales.

SAVOIR DE QUOI L’ON PARLE

Nous sommes pour l’égalité racialeIl s’ensuit que pour nous le racisme qui voudrait assurer l’hégémonie de la nation française sur la nation gua- deloupéenne en formation doit être combattu en fonction des condi- tions sociales, de son rôle au service de la classe dominante oppres- seuse, c’est-à-dire, au service de l’impérialisme et de son système qui nous régit : Le colonialisme.

En effet, le colonialisme sous cou- vert d’une mystification : - la France, la mère-patrie ne fait pas de diffé- rence entre ses enfants - maintient bel et bien une cloison entre le Français et le Guadeloupéen. Or, les nationalistes chauvins guadelou- péens, les gauchistes irresponsables qui versent dans le travers raciste, qui ont affirmé et réaffirmé pouvoir se passer de la gauche française pour accéder à l’indépendance, oui à l’indépendance de la Guadeloupe, rejoignent donc les colonialistes, les impérialistes. Ils font le jeu du gaul- lisme en menant une campagne pour une revendication qui ne cor- r espond ni aux aspirations ni aux intérêts des masses, en créant la confusion, en faisant diversion, en e ssayant de dénaturer le clivage de la situation actuelle tout en tentant d’isoler notre peuple.

Nous ne pouvons que condamner a u plus fort cette orientation pro- fondément fausse axée sur l’aven- ture. Notre lutte anti-colonialiste passe forcément par l’unité d’ac- tion de tous les anti-colonialistes guadeloupéens alliés à toutes les forces de progrès sans distinction de couleur de peau, d’apparte- nance nationale ou géographique et naturellement avec la gauche française en premier lieu.

En conclusion, nous le disons haute- ment : de quelque côté qu’il se manifeste, le racisme est contraire à l’esprit humain. L’anti-racisme fait partie intégrante de la lutte de classe. Nous sommes contre toute xénophobie, tout mouvement strictement négritisé non pas par simple tactique ou souplesse mais par fidélité au rigoureux esprit de principe de l’internationalisme pro- létarien. Aux actes racistes commis à son encontre, notre peuple doit réagir immédiatement avec la der- nière rigueur, comme il doit soute- nir toute action anti raciste, mais il doit se garder de verser lui-même dans le racisme.

Le combat pour un meilleur devenir du pays est la lutte unitaire de tous les exploités de la Guadeloupe (ouvriers, paysans et classes moyennes), originaires et adop- tés sans exception pour la recon- naissance, le respect et la dignité de la personnalité guadelou- péenne devant aboutir la liquida- tion du système colonial par : - une Assemblée législative locale ; - un Exécutif local ; - un Organisme de coopération avec la France.

Car le statut nouveau réclamé n’est pas l’indépendance mais bien l’au- tonomie de la Guadeloupe dans l’ensemble français.

Nous sommes sincèrement pour l’autonomie de la Guadeloupe dans le cadre d’une véritable union avec la France. Car, cette revendication politique qui est à la portée des masses guadeloupéennes s’inscrit dans le processus du progrès social. Et les masses en ont conscience. Nous nous y tiendrons fermement !