La vérité sur la réforme des retraites

Le rapport Delevoye a jeté les bases du projet gouvernemen- tal. Loin de l’égalité prétendue, il prépare une régression des droits jamais vue.

Ce que le gouvernement vous raconte :«La comptabilisation en points favorisera l’égalité de trai- tement de tous» D É SINTOX .C’était le grand argument de campagne présidentielle d’Em-manuel Macron : demain, dans le système uni- versel à points, un euro cotisé donnera les «mêmes droits pour tous». Le slo- gan était censé répondre à l’injustice des règles différentes en vigueur dans les 42 régimes existants, selon le recen- sement de Jean-Paul Delevoye. Mais, derrière cette apparente «égalité de traitement», il y a la réalité des inégali- tés de parcours professionnels et de salaires qui, si elles ne sont pas en partie corrigées par des droits plus avanta- geux accordés aux plus faibles, se reproduisent à la retraite. Le principe de la réforme par points est en effet de bâtir des retraites qui soient le «reflet» des carrières, or celles-ci sont très dis- parates d’un individu à l’autre. Certes, des mécanismes de solidarité pour compenser les périodes de chômage, maladie ou maternité sont prévus, mais le rapport Delevoye est peu explicite sur ce volet. Et de toute façon, le contrat de «l’égalité de traitement» est rompu d’emblée : en effet, du fait du projet d’instaurer une «décote» et une «surcote» (bonus-malus) autour d’un «âge pivot», deux personnes ayant une carrière et des cotisations identiques, mais un âge différent au moment de partir en retraite, n’auront pas les mêmes droits.

Ce que le gouvernement vous raconte :«Un système plus avanta- geux pour les petites rémunérations et les carrières heurtées» D ÉSINTOX .Le rapport Delevoye part d’un postulat de départ qu’il n’entend pas discuter : par nature, en quelque sorte, un système qui permet d’accu- muler des droit à la retraite (les points) sur tous les salaires serait plus avantageux que le système actuel, qui ne prend en compte qu’une par- tie des salaires. Dans le système par trimestres cotisés, il faut en effet cumuler 150 heures travaillées pour valider un trimestre ; en dessous de ce seuil, les cotisations ne se transforment pas en droits pour la retraite. Mais la pension, elle, s’établit sur la moyenne des 25 meilleures années de salaires, et non sur tous les salaires : en neutralisant les plus faibles, la retraite doit donc s’en trouver théoriquementaugmentée. Dans les faits, pour les carrières longues et ascendantes, c’est le cas. C’est moins vrai pour les carrières hachées et courtes, qui ne laissent pas le «choix» des années de salaires à prendre en compte. C’est ce qui fait dire au Conseil d’orientation des retraites (COR) -et à Jean-Paul Delevoye- que cette règle agit «en défaveur des assu- rés à carrière courte». Cela rend-il le système Delevoye forcément meilleur ? Non, car, ajoute le COR : «L’idée de prendre en compte l’intégralité des salaires de la carrière (...) serait globa- lement moins favorable aux assurés». En clair, les inégalités seraient réduites... par le nivellement des pen- sions vers le bas ! Mais, cela, Jean-Paul Delevoye se garde bien de le dire.

Ce que le gouvernement vous raconte : «La valeur du point ne pourra baisser» D ÉSINTOX .Le haut-commissaire aux retraites le répète partout, tout le temps : il n’y a aucune inquiétude à avoir pour le niveau de sa retraite, car la valeur du point ne baissera pas. Un bel engagement... que les concepteurs du système sont en réalité incapables de tenir. Primo, parce que la valeur du point sera amenée à être revalorisée chaque année, étant l’un des «leviers», avec l’âge de départ, à la disposition du conseil d’administration de la future caisse de retraite universelle pour gérer le régime. Si la revalorisation «par défaut tiendra compte de l’évolution du revenu moyen», une autre règle pourra s’y substituer au regard de «la situation du système», et notamment des objec- tifs budgétaires fixés par le Parlement. Mais, au-delà de ce flou entretenu, Jean-Paul Delevoye joue sur la confu- sion qui entoure la «valeur du point» : l’indexation promise sur les salaires concerne en premier lieu la valeur accu- mulée des cotisations transformées en un «capital» de points durant toute la carrière. Mais si la pension s’appuie sur ce stock de points, elle dépend aussi d’une autre valeur : le «rendement» attribué à chaque point. Par exemple, au démarrage, il est proposé que le point coûte 10 euros à l’achat et rap- porte 0,55 euro de pension annuelle, soit 5,5% de son «prix» d’achat. Or ce rendement ne sera réellement arrêté que l’année précédant le départ en retraite. Si la valeur d’achat des points monte, mais pas la pension qui lui est associée, le rendement chute... et les retraites avec. C’est ce qui pourrait arriver avec ce système en cas de crise, comme l’a explicitement admis Jean-Paul Delevoye.

Ce que le gouvernement vous raconte : «Des points attribués en cas de chômage, maternité, invalidité»

D ÉSINTOX .Dans le système actuel, les salariés peuvent, sous certaines condi- tions, valider des trimestres qui comp- tent pour leur future retraite en cas de chômage, de maternité, d’invalidité ou de maladie. Dans le futur système uni- versel, ces politiques de solidarité seraient «harmonisées» et transfor- mées en points de retraite supplémen- taires. Le rapport Delevoye y voit «une avancée par rapport au système actuel», dans la mesure où le gain de trimestres est sans effet pour les sala- riés ayant travaillé suffisamment d’an- n ées pour prétendre au taux plein. Ce raisonnement ne tient pas compte de l’allongement des durées de cotisation à la retraite introduit par les réformes successives : avec bientôt 42, et même 4 3 années exigées pour le taux plein, impossible d’obtenir le compte si l’on ne bénéficie pas de trimestres en cas de maladie, de chômage ou de mater- nité. Surtout, le rapport Delevoye p romet l’acquisition de points «sur la base» des revenus du travail, mais ne les chiffre pas : impossible de savoir si le niveau de la solidarité, essentielle dans la réduction des inégalités, sera é quivalent ou non à l’existant. Enfin, il prévoit de financer ces dispositifs «par l’impôt» et non par la cotisation, ce qui les rend entièrement dépen- dants des ajustements budgétaires des gouvernements.

Ce que le gouvernement vous raconte : «Un âge légal de départ maintenu à 62 ans» D É SINTOX .C’est l’une des grandes pro- messes du candidat Macron de 2017 : l’âge légal de la retraite «restera fixé à 62 ans»... sur le papier. Le rapport Delevoye reprend la proposition sans même faire semblant d’y croire : s’il sera toujours formellement possible de partir à 62 ans, «le système universel incitera au prolongement de l’activité», affirme le projet. Pour cela, il est pro- posé de fixer un «âge pivot», sur le modèle de ce qui existe pour les retraites complémentaires à points Agirc-Arrco. Dans un premier temps, cet «âge pivot» serait fixé à 64 ans : un malus de 5% par an (une «décote») serait appliqué à ceux qui partent avant cet âge, un bonus équivalent (une «surcote») récompenserait ceux qui partent plus tard. En frappant les futurs retraités au portefeuille, beaucoup n’auront d’autre choix que d’attendre les 64 ans pour partir, même en cas de chômage, fréquent chez les seniors... La tendance est, il est vrai, déjà pré- sente dans le système actuel, depuis l’introduction des réformes qui allon- gent la durée de cotisation. Mais il est encore possible, pour ceux qui ont validé tous leurs trimestres, de partir à 62 ans à taux plein. Demain, ce sera impossible dans tous les cas avant 64 ans. Et cet «âge pivot» progressera avec l’espérance de vie : selon les prévi- sions du rapport, il serait repoussé à 66,25 ans pour la génération 1990 !

Ce que le gouvernement vous raconte : «Un minimum de retraite fixé à 85%» D ÉSINTOX .Cette avancée sociale... est inscrite dans la loi depuis plus de dix ans ! La loi sur les retraites de 2003 avait en effet fixé l’objectif pour 2008 d’un mini- mum de retraite à 85% du Smic net pour une carrière complète... En vain. Attention à la méprise : il ne s’agit pas du minimum vieillesse (qui est un mini-mum social versé à toute personne âgée sans ressources, et sans condition d e périodes cotisées), mais du «mini- mum contributif», c’est-à-dire de la retraite plancher acquise au bout d’une vie de cotisation. Ces 85% du Smic -soit environ 1 000 euros actuels- seraient d onc conditionnés à la réalisation d’une carrière complète : 43 années d’assu- rance pour la génération 1973, durée qui pourra se prolonger dans le futur -le rapport pose l’hypothèse de 44,25 ans p our la génération 1990... Versé à l’«âge pivot» (64 ans en 2025, et jusqu’à 66,25 ans pour la génération 1990 selon le rapport), ce minimum sera «proratisé» en cas de carrière i ncomplète : les 1 000 euros sont un montant maximal théorique. Enfin, ce progrès pour les plus modestes a un revers : il est en quelque sorte la «contrepartie» que lâche le gouverne- ment à l’écrasement programmé de l’ensemble des pensions pour les conte- nir dans les 14% du PIB, en dépit de l’augmentation du nombre de retraités. Cela signifie que demain, le minimum serait certes (un peu) relevé, mais beaucoup plus de retraités seraient réduits à ce niveau de pension. Et ça, c’est une régression.

Ce que le gouvernement vous raconte : «Une majoration de 5% par enfant» D ÉSINTOX . Une «avancée majeure pour les femmes», proclame le rapport Delevoye à propos de la réforme des droits familiaux proposée à l’occasion du passage à la retraite par points. La majoration de 5% par enfant accordée à l’un des parents dès la première nais- sance -contre une majoration unique de10% à partir de trois enfants dans le régime de base actuel, mais attribuée à chaque parent-, une avancée, vraiment ? Pour qu’on y croie, les services du haut commissaire passent rapidement sur le vrai recul majeur qui se cache dans le dispositif : la disparition du gain de tri- mestres comptant pour la retraite. En plus des majorations de pension déjà existantes, le système par annuités pré- voit l’octroi de huit trimestres d’assu- rance pour chaque enfant (dont quatre trimestres obligatoirement accordés à la mère) dans le régime général des salariés du privé, et deux trimestres à la mère dans la fonction publique (avec possibilité d’interruption d’activité comptabilisée dans la durée d’assu- rance). Dans un système à points, ces droits sont supprimés. Et il n’est pas prévu, en l’état du rapport, de les compenser par l’attribution de points supplémentaires. De toute façon, pour le haut-commissaire, ces trimestres n’étaient «pas toujours utiles», les parents pouvant acquérir toutes leurs annuités par le travail... Les femmes aux «carrières courtes et hachées», censées bénéficier de la réforme, apprécieront. La nouvelle majoration de pension de 5% dès le premier enfant ne compensera pas toujours cette perte. Avec trois enfants, les familles perdront même sur les deux tableaux : majoration de pension (15% à répartir entre les parents, contre 10% à chaque parent) et de trimestres (jusqu’à six annuités pour la mère).

POUR AMÉLIORER LES RETRAITES, DE NOUVELLES PISTES DE FINANCEMENT SONT SUR LA TABLE

Des forces de gauche ouvrent le débat sur les moyens à débloquer pour une réforme de jus- tice et d’efficacité économique pour les retraites. Un débat que le gouvernement ne v eut pas conduire.

• Faire cotiser les revenus financiers comme les salairesAlors que les salaires sont soumis à l’impôt et aux cotisations, les dividendes, touchés par les actionnaires et entreprises, sont unique- ment soumis à la flat tax. Pourtant, en leur appliquant le même taux de prélèvement q ue la cotisation employeur, 10,45%, cela rapporterait, dans un premier temps, 31 mil- liards d’euros à la branche vieillesse de la Sécurité sociale, car, selon l’Insee, les reve- nus financiers se sont élevés en 2018 à près de 300 milliards d’euros. Cette proposition portée par le PCF aurait le double intérêt de financer de manière pérenne le système de retraite, mais aussi de dissuader les entreprises de placer leurs pro- fits sur les marchés financiers, et à les pous- ser à les investir pour créer des emplois et pour former les salariés. Une mesure parti- culièrement pertinente pour le CAC 40, qui verse, chaque année, environ 50 milliards de dividendes. Ainsi, selon Oxfam, pour 100 euros de profit dans ces entreprises, 67,40 sont reversés aux actionnaires.

• Débloquer de nouvelles ressources tout de suite Le gouvernement se focalise sur l’horizon 2025 et assure que si rien ne bouge, le régime des retraites sera déficitaire d’au moins 0,3 point de PIB. Bien que cela soit un artifice comptable tout à fait discutable, si on prend le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) au mot, des solutions simples existent pour passer ce cap. Le régime des retraites dispose ainsi de réserves, autour de 130 milliards d’euros stockés, soit 5,6 points de PIB, amplement suffisants pour passer 2025. «A`cette date, on aura fini de rembourser la dette sociale, soit 16 milliards d’euros par an, qu’on pourra allouer aux retraites», propose aussi Pierre Khalfa, co-président de la Fondation Copernic. Troisième possibilité, il suffirait d’augmenter d’un point les cotisations patronales sur cinq ans, soit seulement 0,2% par an.

• Miser sur les salaires, la solution pour le long terme Augmenter les salaires, comme faire baisser le chômage, entraîne mécaniquement une hausse des cotisations, donc un régime des retraites en bonne santé. Réaliser l’égalité salariale femmes-hommes -déséquilibre d’environ 20% (soit 450 euros par mois) malgré des promesses répétées- permet- trait de générer une hausse des cotisations de 11 milliards d’euros, selon les projections de Christiane Marty, qui travaille sur le dos- sier depuis des années. Autre piste, réduire le chômage de masse à 7,4% permettrait de dégager 10 milliards d’euros en hausse de cotisations. Alors qu’Attac a calculé qu’inves- tir fortement dans la transition énergétique permettrait de créer 1 million d’emplois, les prévisions du COR préfèrent tabler sur la suppression de 80 000 postes de fonction- naires et le gel du point d’indice. «Une reva- lorisation du salaire minimum entraînerait une remontée mécanique de l’ensemble des cotisations, assure aussi Aurélie Trouvé porte-parole d’Attac. Tout cela relève sim- plement d’une volonté politique».

S ource : Numéro spécial de l"Humanité (décembre 2019)