Le préfet est toujours un gouverneur !

D epuis quelque temps, surpris ou mécontents de la façon dont le préfet Philippe Gustin assure sa préfectorale, des médias ou des acteurs du mou- v ement social et politique le qualifient de «préfet-gouverneur». Ce n’est pas seulement un fake news, mais une dangereuse méconnaissance de l’histoire qui ne peut que conduire dans des voies de garage.

L’histoire des sociétés nous enseigne que, de tout temps, les détenteurs du pouvoir central ont toujours délégué tout ou partie de ce pouvoir à des repré- sentants pour administrer des régions de leur propre pays, pour garder et gérer pacifiquement ou par la violence des territoires éloignés qu’ils mainte- naient sous leur domination.

En France, ces représentants ont pris, dans le temps, le nom de gouverneurs, de commissaires de la République, de préfets, mais les fonctions n’ont jamais changé : la défense du drapeau national français (la Guadeloupe c’est la France …), faire respecter les lois de la République française, une et indivisible, organiser la vie du territoire selon les directives de l’Etat central, exercer la tutelle sur les élus locaux, garantir la sécurité. Les illusions nées de la décentralisation en 1982 se sont depuis longtemps noyées dans les eaux de la mangrove.

En Guadeloupe, le préfet a plus de pouvoirs depuis la décentralisation, ce qui va à l’encontre de ce qui était annoncé : rapprocher le pouvoir des citoyens. Nous avons hérité, avec les différentes réformes, d’un «super préfet» parce qu’il est à la fois : préfet de Région, préfet de Département, avec sous son autorité les sous-préfets d’arrondissements.

Par le mouvement de déconcentration qui a contourné la décentralisation, il dispose d’un pouvoir immense, avec tous les services de l’Etat placés sous son autorité et qui interviennent sur le territoire. C’est à ce niveau que l’on peut parler de «préfet-gouverneur» parce qu’on est revenu, quasiment, à la même concentration de pouvoirs qu’avant 1946.

Mais, ce qu’il faut comprendre par-delà le mode d’exercice du pouvoir par le pré- fet Philippe Gustin, c’est que la feuille de route immuable fixée aux gouverneurs et préfets depuis le début de la colonisation, qui comporte les fonctions que nous avons listées, n’a guère changé. En fonction des périodes et des enjeux et aussi de la personnalité des hommes, la façon de conduire les actions peuvent changer.

Au cours de la période d’après-guerre et jusqu’aux années 1970, les préfets étaient investis d’une mission de lutte pour endiguer l’influence communiste à la Guadeloupe. La confrontation était ouverte et tous les moyens ont été utilisés par les préfets qui se sont succédés : fraude électorale, assassinat des ouvriers, expul- sion des fonctionnaires communistes ou autonomistes, poursuite des dirigeants communistes par la Cour de sûreté de l’Etat, liquidation de l’industrie sucrière, massacres de 1952 et 1967 à Pointe à Pitre, etc. La liste n’est pas exhaustive.

Pour mener ces opérations, les préfets fermaient les yeux, parfois encourageaient la corruption des élus étiquetés alliés de la France, favorisaient la bourgeoisie locale, agitaient un chantage permanent sur l’attribution des droits sociaux pour gagner au moins la neutralité d’une grande fraction de la population.

Pendant longtemps, les préfets ont construit le rapport de force avec ces éléments pour remplir leur mission : maintenir la domination française sur cet archipel de la Caraïbe. Aujourd’hui, l’objectif n’a pas changé. Il s’affiche même très clairement.

Le gouvernement, confronté à une crise systémique qui est à la fois éco- nomique, politique, démocratique, dans un ensemble capitaliste qui se fissure, a choisi d’une manière masquée la «recentralité». C’est-à-dire, la direction des affaires du pays par le pouvoir central en prenant appui sur son appareil implanté dans les régions et les territoires.

C’est exactement avec cette visée que le préfet Philippe Gustin exerce ses fonc- tions en Guadeloupe. Il a déjà sous son contrôle pratiquement tous les secteurs stratégiques sur le territoire. Contrairement à ces prédécesseurs, il ne recherche pas le soutien des élus qu’il considère pour la plus part comme incompétents et corrompus, ni du monde des affaires. Il a choisi de les invalider en les livrant à la vindicte populaire. Il fait le ménage pour laisser la place aux services de l’Etat.

Philippe Gustin partira, mais un autre viendra avec les mêmes ou plus de pouvoirs. Le style changera peut-être, mais l’objectif restera toujours le même : assurer la présence de l’Etat colonial français en Guadeloupe. Si les Guadeloupéens ne veu- lent pas de ça, ils savent ce qu’ils ont à faire.