Commémoration du 50 ème anniversaire de la disparition d’Euvremont Gene dans le crash du vol AF 212 à Caracas

Ce soir-là, la salle Georges Tarer était trop petite pour accueillir tous les Guadeloupéens venus de par- tout du pays pour rendre un hommage à l’homme qui a perdu tragiquement sa vie dans ce crash du vol de l’avion d’Air France après son décollage de l’aéroport de Caracas au Venezuela.

62 personnes de diffé- rents coins du monde, dont 21 membres d’équipage ont trouvé la mort dans cet «accident».

Dans cette salle, ce soir-là il y avait, réunis dans la même douleur, les enfants de trois victimes de ce crash : les enfants d’Euvremont Gene, deux enfants du commu- niste martiniquais Banidol Dolor, la fille du mécanicien-naviguant Yrissou Maurice.

Les Guadeloupéens ont répondu à l’invitation du Comité Euvremont Gene pour la vérité (ComEG) pour au moins trois raisons :

- Par reconnaissance parce que Euvremont Gene, contrairement aux élucubrations d’un historien atteint du syndrome de l’anticom- munisme, était un acteur de pre- mier plan de la lutte politique et social, connu pour son engagement et sa combativité sur tout le terri- toire guadeloupéen et un dirigeant reconnu du mouvement commu- niste international.

- Par solidarité envers sa famille et son Parti qui continuent de vivre avec cette blessure ouverte depuis le 3 décembre 1969

.

- Par l’exigence d’agir ensemble pour connaître la vérité sur ce qui s’est passé avec cet avion. Ceux qui ont participé à cette soirée n’ont pas été déçus.

Admirablement conduite par Ca- mille, fille cadette de Gene, cette soirée qui s’est déroulée dans une ambiance à la fois culturelle, poli- tique, technique et familiale, a per- mis de restituer Euvremont Gene dans l’histoire de la Guadeloupe et du Parti Communiste.

La question qui devait trotter dans la tête des participants était à coup sûr : Pourquoi cet homme dans la fleur de l’âge, il n’avait que 49 ans, qui revenait d’une mission de solida- rité au Chili, a trouvé la mort ce soir- là dans le ciel de Caracas ?

L’intervention de Christian Salinière, un cadre du Parti, historien, sur le contexte géopolitique de l’époque, a ouvert quelques pistes pour la recherche de la vérité.

Christian Celeste, qui a été élu Secrétaire Général du PCG, 19 ans après la disparition tragique de l’homme, a parlé des qualités excep- tionnelles du dirigeant communiste, de sa maîtrise incontestée de la théorie Marxiste-Léniniste, de son sens de l’organisation et de son com- bat pour l’unité du Parti et du mou- vement anticolonialiste. Le Parti et le pays ont perdu un grand leader a-t-il dit, mais il nous a laissé un héritage politique impressionnant pas encore suffisamment exploité.

Mais, incontestablement, c’est Alain Andréa, pilote instructeur de renom qui avait la lourde charge de présenter à des néo- phytes l’aspect technique de ce drame. Il a réussi son challenge.

Sur grand écran, il a présenté ce fameux Boeing 707-328B qui assurait le 3 décembre 1969 le vol Santiago du Chili/Paris en passant par Pointe-à-Pitre. Dans un lan- gage accessible à tous, il a montré les caractéristiques de cet avion, son organisation spatiale, son comportement en vol. Toutes les investigations qu’il a pu mener jusqu’à maintenant plaident pour une explosion en vol à cause d’un engin explosif placé dans le puit du train d’atterrissage.

La décision prise par le pouvoir français de classer cet accident sous le sceau du secret défense jusqu’à 2028 ne peut que crédi- biliser cette thèse.

Le long chemin pour la vérité… combien de temps encore s’écrie Odette Gene, fille aînée d’Euvre- mont Gene. Nous publions son intervention-témoignage cette semaine qui parle de souffrance, mais surtout de la détermination des enfants qui veulent savoir la vérité sur la mort de leur père.

Enfin, pour conclure cette soirée forte en émotion, mais aussi de colère, c’est l’avocat et porte- parole du ComEG, Ernest Daninthe qui est intervenu sur l’aspect judi- ciaire de ce combat engagé pour faire lever le secret défense.

Il a informé avoir déposé plainte entre les mains du procureur de la République.

Après cette année de commé- moration, les actions vont continuerpour faire jaillir la vérité.

C’est la détermination qu’expri- ment ces phrases écrites par les enfants Gene, dans la brochure remise aux participants à cette soi- rée : «60 ans de secret-défense n’atteindront pas notre espé- rance d’accéder aux informations et de trouver les réponses à nos questions. La mémoire est entre- tenue, le combat continue».

L’INTERVENTION TEMOIGNAGE D’ODETTE GENE Le 3 décembre 1969, selon les témoignages de Cécilia et Marcia, l eur père Fernando Ostornol accompagne à l’aéroport de Santiago un homme heureux de s on séjour mais aussi pressé de retrouver les siens. Les derniers jours passés à Santiago dans l’atmo- sphère euphorique du congrès avaient forcément grisé notre père. Ce qui était en train de se construire au Chili correspondait à son idéal.

Quelques jours plus tôt, papa infor- mait de son arrivée pour le 3 par le télégramme qu’il adressa à son beau- frère Maxime Chipotel.

Ainsi, c’est avec tonton Maxime que maman se rendit à l’aéroport du Raizet ce fameux 3 décembre. Le vol fut annoncé retardé. Ils décidè- rent finalement d’attendre jusqu’à ce qu’on leur précise que l’avion n’arriverait pas ce soir-là. Ils décidè- rent de rentrer et reprirent la route vers Sainte-Anne.

Et c’est au pied de Salines, par le bul- letin d’information diffusé en radio que maman apprit qu’elle ne rever- rait plus papa. Arrivés à destination, la maison était déjà remplie par la famille, les voisins, les camarades et amis. Certains avaient entendu la funeste nouvelle et le bouche à oreille avait fait le reste.

C’est ainsi que le 3 décembre 1969 à 19h02 à l’âge de 49 ans notre père fut arraché à la vie lais- sant un Parti sous le choc, une famille désemparée, une épouse accablée et des enfants orphelins qui ne comprendraient son absence que bien plus tard.

«Sur le chemin du ciel, tu as laissé ta vie. Chaque étoile là-haut, fait reflé- ter ton âme. La lune pâlotte, de lan- gueur se pâme. Pendant que sur terre on t’appelle à l’envie»(extrait du poème de Lucie Julia, l’Immortel dédié à notre papa)

Certains ont décidé que nous n’avions pas besoin de notre père pour nous construire. Maman nous a gardé précieusement des docu- ments ayant trait à la mort de papa, elle savait surement que tôt ou tard nous en aurions besoin. Malgré le deuil profond dans lequel maman était, elle s’efforçait pour nous de garder le sourire. Et entourée de l’affection des siens, la vie a su reprendre le dessus. Nous avons grandi. Chacun a fait sa route .

3 décembre 1969 - 3 décembre 2019 : 50 ans. 50 ans que papa est mort. 50 ans que nous sommes orphelins. 50 ans que certains ont décidé que l’accès aux archives doit rester fermé. 50 ans que la vérité nous est interdite.

L’accès à la vérité peut prendre du temps mais quand elle est en marche rien ne peut l’arrêter. Ce long chemin vers la vérité par- semé d’embuches commence à s’éclaircir grâce au travail formi- dable réalisé par un certain nom- bre de personnes. Ici je voudrais leur témoigner toute ma recon- naissance. 50 ans avec au fond de nous un doute devenant au fil des années une certitude.

Ils avaient misé sur le temps avec qui tout passe et s’oublie. Seulement, ils ne savaient pas que nous étions des graines et loin de nous avoir enterrés leurs méfaits sont comme du terreau qui fait croitre notre volonté inébranlable de connaître la vérité. Ce flam- beau de l’espoir nous l’avons déjà transmis à nos enfants qui savent qu’ils ne doivent rien lâcher tant que la vérité ne fera pas jour.

C’est Camille la plus petite de nous qui s’est mise en quête de la vérité. Ses recherches inlassables depuis quelques années nous ont permis de rencontrer des per- sonnes formidables animées de la même détermination que nous. Sylvie Yrissou à qui nous devons u ne reconnaissance infinie, les Ostornol notre famille du Chili, Thierry Baux auteur de la pétition e n ligne, les Banidol dont le père périt avec le nôtre.

Comme des briques chaque élé- ment s’emboite avec le suivant. Après la publication du communi- qué de presse de l’ensemble des syndicats de pilotes de ligne, c’est Ernest Daninthe qui n’eut cesse de nous convaincre. Nous quatre, enfants d’Euvremont Gène en présence de nos conjoints, d’Ernest Daninthe et de Claudy Chipotel décidons de convoquer en la mairie de Port-Louis, la famille, les amis proches et le parti de notre père.

En cette année du cinquantième anniversaire, le Comité Euvre- mont Gene pour la vérité sur la catastrophe aérienne du 3 décembre 1969 (Le ComEG) nait le 2 mars 2019 avec comme objectifs assignés :

• informer une plus grande par- tie de la population guadelou- péenne sur cette catastrophe aérienne par le biais de confé- rences et d’expositions

• Accéder à la vérité le plus tôt possible

Parallèlement aux actions de communication vers le public, le ComEG a écrit au Président de la République et aux parlementaires de Guade-loupe pour qu’ils fas- sent aboutir notre demande de déclassification des dossiers.

Mme Justine Benin par retour de courrier nous a fait savoir qu’elle a interpellé les services compé- tents de l’Elysée.

Puis le cabinet du Président nous renvoie vers le préfet de Guade- loupe. Cette partie sera dévelop- pée par maître Daninthe.

Cette année du cinquantenaire nous l’avons voulu forte. Merci à vous tous d’y avoir répondu, merci d’avoir été à nos côtés.

Et comme le dit si bien Sylvie, ils ont voulu nous enterrer ils ne savaient pas que nous étions des graines. La vérité est en marche et rien ne l’ar- rêtera a écrit Emile Zola.