Construction du nouveau CHU de Guadeloupe

Depuis le lancement de ce projet, on a beaucoup parlé de l"investissement financier de l"Etat qui serait exceptionnel aux dires du chef de l"Etat, de ses ministres et fonctionnaires en Guadeloupe, voire même des élus guadeloupéens. C"est vite oublier les errements, choix contestables et autres gabegies qui ont conduit sous la responsa- bilité de ce même Etat à la situation dans laquelle se consume l"actuel centre hospitalier. Comme toujours, la parole des dignitaires a éclipsé celle de ceux qui font, créent et construisent : les acteurs de terrain. Nouvelles- Étincelles fait le choix de publier un article paru en octobre 2019 sous la plume de Geneviève De Lacour dans la revue TecHopital et qui met en exergue le travail réalisé par l"équipe projet du nouveau CHU, sous le titre…

«Nous avons fait économiser beaucoup au projet, plus que ce que nous avons coûté» P our suivre au plus près la construction du nouveau CHU de Guadeloupe, l"éta- blissement a formé une équipe pro- jet de huit personnes comprenant des ingénieurs en logistique, génie civil, biomédical, sous la houlette du directeur adjoint, Cédric Zolezzi, et avec pour mission d"optimiser les choix et les dépenses.

L"équipe projet a été mise en place en 2011 à la demande du ministère qui en a fait une condition obliga- toire du projet. La direction géné- rale de l"offre de soins (DGOS) «voulait un intermédiaire» parce que le financement est entièrement assuré par l"Etat (580 M€).

«C"est pour cette raison que nous avons monté cette cellule en prenant bien soin d"avoir une équipe régio- nale», a expliqué à TecHopital Guy Daninthe, ingénieur génie civil, res- ponsable du suivi des travaux.«Cette équipe est constituée de gens ayant une grande expérience hospi- talière». «Nous sommes persuadés que nous avons fait économiser beaucoup plus largement que ce que nous avons coûté. En fait, nous avons obtenu plus dans le cadre du budget initial», a indiqué à TecHopital l"équipe rencontrée au CHU de Pointe-à-Pitre.

«On pensait dans un premier temps reconstruire sur site occupé. Nous entendions parler à l"époque de confortement parasismique de l"éta- blissement. Mais il y a eu uncoup d"accélérateur, après le tremblement de terre en Haïti en janvier 2010».

Le projet a été programmé en 2008, avant le virage ambulatoire. Nous avons dû le modifier pour faire moins de lits froids et plus de lits chauds. L"hôtel hospitalier s"est aussi imposé à nous, car nous vivons dans un archipel et beaucoup de patients ne peuvent rentrer chez eux le soir. Cet hôtel n"était pas prévu à l"origine. Actuellement nous réfléchissons à son financement, nous cherchons un promoteur. On se garde un foncier pour prévoir cette structure, avec une capacité qui serait entre 50 et 80 lits. L"objectif serait qu"il soit terminé fin 2022, début 2023, en même temps que le CHU, idem pour la partie hébergement de l"internat.

L"équipe projet a adopté une méthode originale et intéressante,«nous avons essayé de faire partici- per tous les hospitaliers via de nom- breux groupes de travail. C"était notre rôle de faire l"interface entre les utilisateurs et toutes les parties pre- nantes du projet», a souligné Christine Toribio, attachée d"admi- nistration et adjointe au chef de projet. Pour ce faire, «il a fallu faire venir les hospitaliers, les faire partici- per car ils restaient avec certaines craintes, et notamment celle que l"Etat renonce à son financement».

Quant au maître d"oeuvre, «il joue une partition que nous avons écrite. C"est notre programme qu"il met en musique», a souligné Guy Daninthe. Une partition écrite en concertation avec les hospitaliers. Ainsi, nous avons souhaité un hôpital humain avec un maximum de 3 ou 4 niveaux, un hôpital qui ressemble à la Caraïbe. Nous nous sommes atta- chés à sa fonctionnalité avec, à chaque étage, 2 unités. La salle de soin a été positionnée en partie cen- trale. Nous nous sommes efforcés de prendre en compte la fonction- nalité avant l"architecture.

Il nous a fallu souvent rappeler à la maîtrise d"oeuvre notre souhait ini- tial, rappeler à l"architecte tout ce qui est de l"ordre de la fonctionnalité et de la sécurité avant l"architecture. En matière de sécurité, «l"idée est d"avoir un système modulaire, varia- ble et adapté aux périodes et aux per- sonnes», a expliqué François Bisch, ingénieur logistique et en organisa- tion. D"ailleurs, «nous n’avons pas encore fini de le traiter mais il reste très important», a-t-il souligné.

“NE PAS FAIRE DE L"INNOVATION POUR DE L"INNOVATION”

L"Etat nous a totalement laissé libres de nos choix techniques et techno- logiques. Nous sommes un archipel situé à 8.000 km de la métropole, très loin des grands centres. On parle d"hôpital aimant, magnétique, d"hôpital de tous les extrêmes mais avec des solutions les plus simples possibles : simple à organiser, simple à maintenir et le plus fiable possible. Le but n"était pas d"aller vers de la haute technologie, mais d"em- ployer des solutions facilement réparables, de faire des choix pragmatiques. Pas question pour nous de faire de l"innovation pour de l"innovation.

«Ce n"est pas la peine d"avoir quelque chose qui à la première secousse tombe en panne, surtout à 8.000 km de la métropole. Il faut imaginer un hôpital qui puisse fonctionner en autarcie pendant au moins 72 heures, en cas de séisme. D"où l"importance de la formation de nos techniciens», a rappelé Guy Daninthe.

Côté innovation donc, des études de micro-implantation des équipe- ments ont été menées. Un cabinet d"architecte a fait le tour de tous les services avec Sébastien Teilhaud, ingénieur biomédical, membre de l"équipe projet. Nous savons, quasi- ment au meuble près, ce que l"on va avoir dans les futurs locaux. Peu de projets ont ce niveau de connaissance.

Autre nouveauté, un distributeur automatique de vêtements va être mis en place «nous allons passer d"une culture de vêtements person- nalisés à celle de vêtements banali- sés. C"est un changement de para- digme», rappelle François Bisch.

Un système de pneumatiques avec codes couleur sera égale- ment installé dans les salles de soins pour les prélèvements biolo- giques. Prochai-ne étape, imagi- ner le futur fonctionnement.

Maintenant, nous réfléchissions à l"organisation à l"intérieur et sur la manière de fonctionner avec de nouvelles installations. «C"est la seconde phase et pas forcément la plus simple», a indiqué Guy Danin- the. Il faut réinventer un nouveau fonctionnement, étage par étage, service par service, avec les parcours patients et les parcours soignants.«Nous avons commencé à réfléchir à la signalétique», a précisé François Bisch. Nous avons en tête les grandes lignes du fonctionnement, mais il faut maintenant l"affiner avec les futurs utilisateurs, pour qu"ils se l"approprient. Nous n"avons pas d"innovations en tant que telles, non n"allons rien inventer, mais nous avons pris exemple sur les innovations intéressantes mises en place dans tous les hôpitaux depuis 10 ans.

Ainsi un salon de sortie est prévu ainsi qu"une centrale de prélève- ments pour les professionnels de santé externes. Un bâtiment témoin a été construit avec une salle de soin, un bloc opératoire, une chambre à un lit, un office alimentaire, tous équipés, d"abord pour les entre- prises, pour faire des choix d"équipe- ment mais aussi pour le personnel, pour qu"il puisse donner son avis.

Le nouvel hôpital sera numérique avec une pharmacie à usage interne (PUI) qui sera automatisée pour les dotations individuelles nominatives. Un travail qui n"incombera plus aux soignants. Une couverture wifi sys- tématique des bâtiments est prévue et nous envisageons des outils par- tagés, des terminaux multimédias sur le lit des patients.

Enfin, le nouveau bâtiment s"inscrit dans une démarche de haute qua- lité environnementale (HQE) «sans aller jusqu"à la certification», a indi- qué Guy Daninthe avec des cibles précises en matière d"économie d"énergie, de traitement des ré- seaux aérauliques, de chantier vert, etc., autant de critères sur lesquels l"équipe projet a travaillé.

“UNE OPTIMISATION DU MOINDRE MÈTRE CARRÉ”

Nous avons dû faire avec les con- traintes surfaciques imposées par la tutelle puisque nous ne pouvions pas aller au-delà des 85.000 m². Il a donc fallu optimiser le moindre mètre carré. C"était une demande forte de la DGOS. D"ailleurs nous n"avons pas beaucoup de m² en rabe. Ainsi, nous aurons des locaux partagés pour les médecins et nous avons quelques inquiétudes à ce sujet car c"est un changement de paradigme pour eux. Le chef de ser- vice aura son bureau à l"étage, alors que les autres médecins seront dans des espaces partagés.

L"équipe projet doit être la plus neu- tre possible dans les choix et ne pas empêcher un autre chef de service d"occuper les locaux. «Nous ne fai- sons pas des choix à la place des autres, nous nous battons pour garder un potentiel, pour que ceux qui prennent les décisions finales aient le plus de choix possibles», a-t- elle fait remarquer. Geneviève De Lacour