TRIBUNE LIBRE : Devons-nous sombrer dans la résignation ?

Il est une évidence que l’on ne peut récuser. Les peuples d’outre-mer, plus précisément, les Antillo-Guyanais ont une relation avec la France marquée du sceau d’un néo-colonialisme pour le moins artificieux, non perceptible à tout un chacun, mais qui n’en continue pas moins son action délétère avec l’Europe ; Situation confortée par la mondialisation sous la forme d’une ambigüité sous-jacente.

En effet, en tant que dépar- tement français ayant opté pour l’identité légis- lative et son corollaire le droit com- munautaire européen, notre affilia- tion inconditionnelle et unilatérale à l’Union Européenne constitue pour notre développement un obstacle majeur; sous réserve d’une modifi- cation de nos rapports avec l’UE, rapports entendus non plus seule- ment en termes de subordination mais fondés sur une véritable coo- pération, moyennant l’arbitrage du Parlement ou une initiative du pou- voir règlementaire.

Effectivement, la nécessité d’une refonte de nos institutions s’impose d’autant plus urgemment que les dysfonctionnements liés au mode de gouvernance actuel s’accrois- sent au gré de l’arbitraire colonial. Et de fait, on peut multiplier à l’infini les innovations d’ordre institution- nel dans le cadre des articles 73 et 74, rien n’y fait. On aboutit au même résultat : inefficacité, inadé- quation entre les actions de l’Etat et la réalité guadeloupéenne.

Nous en avons quotidiennement la preuve lorsque les partisans eux- mêmes, les propres alliés du pou- voir sont pris dans leurs contradic- tions. Alors, à quoi sert-il de se déchirer entre assimilationnistes, de persister dans l’illogique, lorsqu’il eût été éminemment pro- fitable de faire montre d’un effort d’imagination ou de réalisme poli- tique tout simplement ?

Nous déplorons le fait qu’il n’y ait pas à l’heure actuelle de politiciens d’une envergure différente ; Sinon ils pourraient par leur sens des res- ponsabilités créer les conditions d’une consultation populaire en vue de contraindre le gouvernement à se prononcer sur l’éventualité d’un changement de statut.

Perspective inenvisageable pour l’heure ! Pourtant, le mouvement de l’histoire nous invite à nous ins- crire dans un processus de trans- formation. L’existence des gilets jaunes illustre en France de façon significative l’acuité des rapports de classes antagonistes et que la notion de lutte de classes à la lumière du marxisme est toujours actuelle ; à fortiori chez nous en Guadeloupe où nous subissons les affres d’un capitalisme débridé et une forme d’exploitation de type spécial : le colonialisme qui revêt des aspects changeants au gré de ceux qui nous gouvernent. Face à cette situation nos politiciens se contem- plent eux-mêmes et se disent satis- faits en abdiquant tout simplement leur fierté, leur dignité.

Ils se distinguent tous par une com- mune incapacité ou une complicité coupable. Aucun d’entre eux n’est capable d’un projet politique, ils n’ont pas le cran d’interpeller le pou- voir, de se poser en interlocuteur valable auprès du gouvernement. Il n’est pas jusqu’à ceux qui ont détenu un portefeuille ministériel qui ne fasse montre d’incapacité. Sinon, ils pourraient inverser le cours des choses. Curieusement, ils ont tous un amour immodéré pour la Guadeloupe ; surtout lorsqu’il s’agit de sacrifier les terres agricoles de notre pays, d’attenter à notre patrimoine foncier sur l’autel de leurs intérêts particuliers... Voilà qui justifie les contradictions indissocia- bles de la départementalisation !

En outre, nous ne le soulignerons jamais assez, l’hostilité qu’affiche le gouvernement à la domicilia- tion du pouvoir, cautionnée, forti- fiée par la représentation élue, contribue dans une large mesure à notre immobilisme. Ainsi, le Parti Communiste Guadeloupéen dès sa création en 1958 en guide éclairé de notre peuple avait revendiqué un statut d’autonomie qui est plus que jamais d’actualité.

La déclaration de Basse-Terre du 1 er décembre 1999 aura été l’ébauche d’une abolition du sys- tème départemental; si tant est qu’elle eût été suivie d’effet. Main- tenant, l’exemple de la Nouvelle Calédonie ou de la Polynésie peut nous ouvrir des perspectives dans la mesure où nous nous décide- rions à faire bouger les choses ; c’est-à-dire prétendre à un pou- voir réel de décision local, le sta- tut d’autonomie, pour y parvenir, apparaissant à notre sens comme l’impératif du moment.

En définitive, le système tel qu’il est appliqué dans une optique d’intégration n’est pas sans cau- ser un préjudice réel à notre société. Alors, pourquoi avons- nous peur ? Devons-nous donc sombrer dans la résignation face à un paternalisme interminable comme des enfants gâtés ?

Une fraction de l’opinion guade- loupéenne s’accorde à reconnaî- tre que les structures départe- mentales sont dépassées, inadap- tées. C’est une constatation qui ne souffre d’aucune contestation. Mais alors que reste-t-il à faire ? Le pouvoir colonial non content de spéculer sur notre léthargie accentue son emprise sur le fonc- tionnement des institutions.

Ce n’est pas en nous abimant dans un délire verbal que nous émerge- rons du précipice. Les éléments sains de notre peuple qui résistent à la mystification, à la manipula- tion, toutes les bonnes volontés, les organisations anticolonialistes décidées à se débarrasser de tout esprit hégémonique, tout secta- risme, toutes oppositions stériles qui arrangent le colonisateur mais qui repoussent aux calendes grecques la nécessaire unité dont nous avons besoin, doivent se regrouper, s’unir pour emprunter dans un élan de fraternité les che- mins conduisant à l’émancipation de notre pays. En somme, il s’agit de prendre le contre-pied du vieil adage : «konplo a nèg, sé konplo a chyen».C’est le défi que nous lance la période historique actuelle.