LA PROCÉDURE DE DESTITUTION DE TRUMPUn révélateur de la vie politique américaine

Le 18 décembre de l’année 2019 restera dans l’histoire américaine comme celui qui a vu le troisième vote d’impeach- ment d’un président américain par le Congrès, en plus de deux cent ans de vie politique. Ce vote de deux articles, l’un pour «abus de pouvoir», l’autre pour «entrave à la bonne marche du Congrès», ont été obtenus à la majorité des représentants (par 230 voix contre 197 pour le premier et 229 voix contre 198 pour le second).

Cependant, la destitution effective de Trump ne peut être prononcée que si ce premier vote est suivi d’un second, au Senat et à la majorité des deux tiers, cette fois, après un procès public (impeachment trial). Il est certain que Trump sera jugé inno- cent, car la majorité du Sénat lui est acquise et, à moins d’une révélation de dernière minute, il est peu proba- ble que les Républicains l’abandon- nent. Le Président des Républi-cains au Sénat, le sénateur Mitchell, a même récemment déclaré que la conduite du procès se ferait en concertation avec la Maison Blan- che ! Propos étonnants, contraire à toute éthique, que de juger une affaire en demandant conseil à l’accusé ! Cela en dit long sur la tranquille assurance des Républi- cains de sortir sans dommage de cette procédure.

L’impeachment de Trump repose sur des faits précis que l’on a pu voir exposé lors de l’enquête publique qui a été menée en amont. Elle a révélé que Trump a délibérément utilisé sa fonction pour faire pres- sion sur le gouvernement ukrainien afin d’obtenir des informations compromettantes sur son rival potentiel de la campagne électorale de 2020, Joe Biden. En effet son propre fils, Hunter, est suspecté d’avoir bénéficié de la position du père (alors vice-président de Barack Obama) pour l’obtention d’un emploi très lucratif en Ukraine (50 000 dollars par mois) dans un domaine où il n’a aucune compé- tence connue (le gaz) et dans un pays qu’il ne connaissait pas. Si l’on ajoute à cela, la pression supposée de Joe Biden sur l’Ukraine pour faire renvoyer un procureur trop curieux dans son enquête sur la société de son fils on aura tous les ingrédients d’un scandale d’Etat mettant en cause… Joe Biden.

C’est l’habileté des Démocrates d’avoir réussi à retourner cette situation plutôt dangereuse pour eux en mettant en accusation Trump lui-même. En fait, des deux côtés (Trump comme Biden) les comportements sont très révéla- teurs de l’utilisation des plus hautes fonctions pour des intérêts person- nels. Les démocrates ont beau avancer qu’aucune charge n’a été retenue contre Hunter Biden, on voit bien que l’on est dans un autre monde, celui des très puissants, dans lequel on peut vous nommer à un poste où votre salaire mensuel est supérieur à bien des salaires annuels, sans que vous ayez aucune compétence pour le poste !

En réalité ce que révèle cette his- toire d’impeachment, c’est plus le conflit entre élites d’un même milieu que celui d’une véritable lutte contre les dérives de l’ultralibé- ralisme, ou la lutte contre le tournant raciste de la politique migratoire américaine. Trump peut faire les yeux doux au Ku Klux Klan après les évène- ments de Charlottes- ville, invectiver publi- quement des représen- tantes démocrates sur la base de leurs ori- gines, ou utiliser très consciemment les latinos comme bouc- émissaires pour dé- tourner sur eux la vio- lence sociale de la déré- gulation de l’économie ce n’est pas cela qui lui vaudra une procédure d’impeachment. Il ne risque rien, car de façon très révélatrice les Démocrates ont choisi de porter l’attaque contre Trump sur le plan des principes moraux (certes importants et particulièrement mis en danger par un président amoral) et non sur celui des conséquences de sa politique économique, sociale, environnementale et étrangère. Que ce choix ait été fait cons- ciemment ou non en dit long sur la politique intérieure américaine et cela risque fort de renforcer encore le sentimentque le pouvoir est aux mains d’une élite qui fera tout pour le garder.

Il est tout à fait intéressant de noter que cela se passe au moment même où une fraction de plus en plus grande de l’électorat, en parti- culier chez les jeunes, se tourne vers des candidats, comme Alexandria Ocasio-Cortez, Elisabeth Warren ou Bernie Sanders beaucoup plus radicaux dans leurs programmes, que les candidates traditionnels du parti démocrates. Ces figures poli- tiques ont le mérite de mettre sur le devant de la scène politique les questions sociales brulantes. Avec la procédure d’impeachment si l’on voulait faire oublier ces ques- tions sociales, on ne s’y prendrait pas autrement…