Une licence des Arts du spectacle à l’université des Antilles

Passée relativement inaper- çue, la création d’une licence Arts du spectacle à la rentrée 2018, au campus de Saint- Claude, est un évènement à bien des égards. Une telle for- mation n’existait pas jusqu’à présent ni aux Antilles, ni en France. Il y avait là une ano- malie traduisant une forme de désinvolture par rapport à la culture antillaise, anomalie qui est enfin réparée grâce à la persévérance d’un certain nombre d’universitaires dont le principal porteur du projet, l’historien Jean-Pierre Sainton, et l’ethnomusicologue Apollinaire Anakesa, en charge de la licence.

J ean-Pierre Sainton explique ainsi les raisons profondes de cette création : «L’idée remonte à dix ans. Elle était née de la consé- cration reconnue du Gwo-ka comme faisant partie du patrimoine imma- tériel de l"Humanité mais aussi de la constatation du riche potentiel exis- tant dans les arts de la musique et des expressions corporelles en Guadeloupe et en Martinique, expression artistique qui s"est impo- sée sur la scène mondiale et est reconnu au plan international par tous les spécialistes de musique, danse et arts du spectacles. Il n"y avait pas chez nous de cursus univer- sitaire capable de conjuguer forma- tion de niveau universitaire (les disci- plines générales telles que l"histoire, l"anthropologie, la musicologie, sans compter la culture générale et les méthodologies fondamentales du travail intellectuel sont absolument nécessaires au professionnel de la culture) et recherches culturelles (production de mémoires et de thèses). Il était anormal, et quand on y réfléchit bien, inconcevable, que la culture, et notamment en ce qui nous concerne, peuple caribéen, la culture immatérielle comprenant la danse, la musique soit absente d"une université se disant un lieu d"excellence ayant un rôle à jouer dans le développement social et culturel d"un pays.

Cette volonté, nous l"avons eue. Et la réalité montre que nous avons eu rai- son puisque dès la première année une vingtaine d"étudiants étaient ins- crits en première année et cette année, le volume est porté à une qua- rantaine. C"est donc actuellement plus d"une cinquantaine d’étu- diants qui sont inscrits dans cette filière nouvelle, parmi les plus dynamiques et prometteuses du pole universitaire de Guadeloupe».

La place manque ici pour passer en revue l’ensemble des disciplines enseignées. On peut prendre comme exemple, pour illustrer la plus value de cette licence, celui de la formation musicale (discipline musicale qui recouvre en plus étendu ce que l’on appelait autrefois «solfège»). D’après la responsable de cette matière, Christine Chalcol, agrégée de musique et par ailleurs responsable de la filière musique au lycée Carnot, le niveau des étu- diants en fin de première année est conséquent et permet la lecture de partition en clé de sol et en clé de fa (soit la compétence nécessaire pour lire la grande majorité des par- titions). La provenance de ces étu- diants (Guadeloupe, Martinique, Guyane et Haïti) et leur profil initial (danseurs, comédiens, musiciens) est riche et variée. De là sans doute de nombreux échanges entre artistes d’horizons différents c’est- à-dire exactement dans le sens de cette licence visant à élargir les compétences de chacun.

La création de cette licence est à la fois la réparation d’un vide cho- quant dans l’offre universitaire et un pari sur l’avenir, car les études doi- vent déboucher sur des opportuni- tés professionnelles. Cette forma- tion doit être pérennisée et connue. La France de façon générale a, pen- dant longtemps, prolongé dans le monde universitaire la domination coloniale en occultant l’histoire des Antilles et celle de sa culture. Il ne semble pas impossible que dans le futur des étudiants français vien- nent étudier la musique et la danse des Antilles en Guadeloupe. Ce serait un retournement de situation intéressant…