L’appropriation citoyenne de la centrale de Dolé

Il y a encore quelques semaines, bien rares étaient les Guadeloupéens qui connais- saient l’existence de la micro- centrale hydroélectrique de Dolé à Gourbeyre. Son histoire fait partie de la grande histoire de l’électricité de la Guadeloupe.

UNE HISTOIRE QUI A COMMENCÉ EN 1906

Jusqu’en 1916, Basse-Terre et Pointe-à-Pitre sont alimentées en électricité, l’une par une petite usine située sur le Champ d’Arbaud, et l’autre par deux groupes diésel ins- tallés à Pointe-à-Pitre.

La centrale hydraulique de Dolé ne fut créée qu’en 1923, par Paul- Émile Char-neau, l’un des fonda- teurs avec d’autres investisseurs pri- vés guadeloupéens en 1912 de la Société d’Elec-tricité de la Guadeloupe (SODEG).

L’électricité produite (une centaine de Kilowatts) était distribuée sur le réseau par l’intermédiaire de la Société d’Entreprises Industrielles de la Guadeloupe (SEIG). Cette société avait été créée en 1921 par la fusion de l’entreprise de construc- tion et de travaux routiers de Louis Pravaz et de la SODEG dont ce der- nier était aussi l’un des fondateurs, devenu majoritaire.

En 1928, la puissance installée totale en Guadeloupe était de 300 kw. Seules Basse-Terre, Pointe-à- Pitre, Saint-Claude et Gourbeyre, disposaient de l’éclairage public qui se limitait à quelques places et quelques bâtiments.

Cette même année, le cyclone dévastateur qui toucha la Guade- loupe, faisant 1300 morts, détruisit partiellement la centrale. Sa remise en état, ainsi que celle de l’ensemble du réseau, furent pour le groupe Munich (dont le siège était en France), en signant avec le Conseil Général une convention totalement déséquilibrée à son profit, un vérita- ble hold-up financier. Ceci fût possi- ble grâce à l’ignorance des conseil- lers généraux dans le domaine de l’électricité. Mais dès 1930 les conseillers généraux conscients depuis un certain temps de s’être faits bernés, réagissent et tentent de faire annuler la convention. Le g roupe Munich sera définitivement écarté en 1933 par le Conseil géné- ral, malgré le gouverneur Choteau v isiblement à la solde du groupe.

Entre temps, en 1931, la centrale h ydroélectrique de Dolé aura été la proie d’un incendie volontaire, privant toute la région de Basse- T erre de courant.

1934-1936la colonie prend en charge la gestion de l’électricité, puis de1936 à 1952c’est à une société privée, la Société Colo- niale d’Electricité (SCODEL), qu’est confiée, par convention, l’électrification de la Guadeloupe : Ce sera un bilan désastreux

1952La concession est cédée à la Société de Production d’Electricité de Guadeloupe (SPDEG), Société d’économie mixte, soumise à des obligations de service public.

1955La centrale de Dolé est mise à l’arrêt, suite à la mise en service de la centrale à vapeur de Baie-Mahault et de la cen- trale diésel de Rivière-Sens.

1960La centrale est remise en service, puis nouvel arrêt de 1971 à 1974. Elle sera maintenue en état de fonctionnement pour fournir un appoint de production en cas de nécessité.

1975 EDF devient l’exploitant jusqu’en 1982, année à partir de laquelle la centrale est cédée à la commune de Gourbeyre qui l’ex- ploitera et profitera de l’électricité produite jusqu’en 2008.

AUJOURD’HUI,QUEL EST LE PROBLÈME ?

C’est donc en 2018, au terme de l’autorisation d’exploitation de 15 ans, accordée en 2003 par la Commission de Régulation de l’Energie (CRE) à la commune de Gourbeyre, que cette dernière décide de vendre à un particulier, pour une bouchée de pain (dix- huit-mille euros), la parcelle de ter- rain (huit mille mètre carré) sur laquelle se situe l’historique centrale hydroélectrique de Dolé.

Or, lors du conseil municipal du 8 novembre 2019 au chapitre des «questions diverses», les conseillers municipaux à la demande du maire, devaient se prononcer pour autori- ser cette vente. Ces derniers pen- saient avoir affaire à une banale par- celle inconstructible, car, en bord de rivière. La centrale n’avait jamais été évoquée par le maire. Après ce bref historique, la question s e pose de savoir pourquoi, alors qu’en cette première moitié de 21 ème siècle, que toutes les communes s ont à la recherche de ressources financières, et que nous sommes en pleine transition écologique et é nergétique, le maire de cette charmante commune du Sud Basse-Terre a voulu se débarras- s er à vil prix de cet outil de pro- duction d’électricité propre, ali- menté par cette abondante éner- gie renouvelable qu’est l’eau de Gourbeyre. Car, cette centrale, correctement exploitée, pourrait être un moyen pour Gourbeyre de faire autant d’économie sur son budget communal.

Les citoyens eux ne s’y sont pas trompés. Informé de la dilapida- tion de ce patrimoine gourbey- rien, Léonce Aaverne jeune retraité d’EDF lança l’alerte et un collectif s’est créé regroupant des citoyens lambda et des militants venant du CIPPA et du PCG. Le patrimoine guadeloupéen ne pou- vait pas être bradé.

Aujourd’hui, la Guadeloupe regorge d’énergies renouve- lables qui permettent une production d’électricité propre «décarbonnée» Cette fois-ci, les citoyens ont pris leur responsabilité en faisant valoir leur droit à participer aux affaires communales et en déci- dant que cette vente ne devait pas se faire aux dépends des Gourbeyriens. Pour eux, la cen- trale de Dolé doit conserver son statut de bien commun, acquis depuis plus d’un demi-siècle.

Le collectif a donc entamé les démarches nécessaires pour blo- quer la vente, afin de préserver cet outil de production d’énergie propre et renouvelable dans le giron du patrimoine commun de Gourbeyre et de la Guadeloupe. Un projet collectif basé sur la pro- duction d’énergie propre a été ini- tié par Léonce Averne, permet- tant de mettre en valeur le site et le patrimoine guadeloupéen.

La Communauté d’Agglomération Grand Sud Caraïbe (CAGSC), com- me les autres Communauté d’ag- glomération, a signé avec l’Etat français le Contrat de Transition Ecologique (CTE) qui promeut la production d’énergie renouvelable. Il y a donc des possibilités pour les citoyens et les collectivités de pro- poser des projets touchant à la pro- d uction d’électricité propre, per- mettant de dégager des ressources financières, ou du moins, de faire d es économies sur les dépenses d’électricité de la ville par exemple.

L A PREUVE D’UNE CERTAINE«RÉSILIENCE» CULTURELLE

D ans cette affaire, il semblerait que les citoyens qui se mobilisent pour leur patrimoine commun font preuve d’une certaine «Résilience» culturelle. Ici, au-delà du rôle impor- tant de la «Résistance» culturelle, qui a consisté à valoriser aux yeux même du peuple sa propre culture, dévalorisée par le colonialisme, la résilience culturelle transforme le sentiment collectif d’apparte- nance à une histoire commune, en volonté de défendre un «bien commun» industriel de produc- tion, volonté qui permet d’enga- ger une action concrète de pro- tection, de préservation et de valo- risation de ce bien commun de pro- duction, dans le but de l’exploiter.

N’oublions pas que «l’électricité constitue, tout d’abord l’activité- mère de nos économies modernes, celle qui se situe tout en amont de l’ensemble du système productif».

Aujourd’hui, la Guadeloupe regorge d’énergies renouvelables qui per- mettent une production d’électri- cité propre «décarbonnée», répon- dant ainsi aux exigences dictées par le bouleversement climatique de diminution des émissions de gaz carbonique (CO 2 ).

Les trente-deux communes de Guadeloupe sont inondées de soleil, balayées par les alizées et irriguées par de nombreuses rivières (il existe trois micro-cen- trales hydroélectriques en Guade- loupe, une à Gourbeyre, deux à Capesterre Belle-Eau).

Aujourd’hui, dans ce premier quart du 21 ème siècle, à l’ère des énergies renouvelables, les possibilités exis- tent pour les Guadeloupéens de mettre sur pieds des projets de pro- duction d’énergie propre (solaire ou autress), associant les citoyens et les collectivités, projets pouvant rapporter des ressources finan- cières aux communes.

A l’image du collectif de Gourbeyre qui a décidé de se réapproprier cet outil de production d’énergie pro- pre, les Guadeloupéens doivent s’organiser afin d’être en mesure de prendre des initiatives pour exploi- ter leurs propres énergies renouve- lables et être les acteurs du déve- loppement de leur économie.