Nathalie Minatchy : «J’avais un désir de travailler pour la Guadeloupe, et en Guadeloupe»

Nous connaissons déjà Nathalie Minatchy, femme militante engagée dans divers combats ayant toujours pour mobile la Guadeloupe, la pro- tection de sa biodiversité et de sa biomasse, et l’exploitation de celle-ci, au bénéfice de la population guadeloupéenne. Et c’est en tant qu’universitaire qu’elle tente de transmettre cette passion et de donner aux jeunes guadeloupéens le «sens du pays», nous dit-elle. En ce début d’année 2020, Nathalie Minatchy a soutenu sa thèse intitulée «Evaluation d’une stratégie de valorisation de bio- masse en alicaments anthelmin- thiques pour les petits rumi- nants dans les systèmes polycul- ture-élevages», à Petit-Bourg dans les locaux de l’INRA, devant un jury de spécialistes dont faisait partie le docteur Henry Joseph. Son travail s’inscrit dans le contexte on ne peut plus actuel du développement durable, appliqué à la Guadeloupe, prenant en compte, à la fois notre biodi- versité et la biomasse guade- loupéenne, l’économie par la création de nouvelles pratiques dans le domaine de l’agro transformation, le tout ayant un impact social par la sécuri- sation et le maintien de l’acti- vité paysanne par le biais de la diminution des dépenses et une amélioration de la produc- tion animale. Nous avons rencontré Nathalie Minatchy et lui avons posé quelques questions auxquelles elle a répondu, avec humour, sur ce travail de recherche au ser- vice d’un développement.

Nathalie Minatchy peut-elle nous décrire, en quelques mots, l"objet de sa thèse ?

Nathalie Minatchy :Il s’agissait d’utiliser des coproduits (*) de plantes locales comme le manioc, le pwa- dibwa et le zagadi (ou leucène, qui lui ne se mange pas mais qui sert de barrière/coupe-vent et qui se trouve très facilement en Grande- Terre) pour nourrir et soigner les petits ruminants (cabris et mou- tons) en mettant en oeuvre une technologie facile à transférer aux agriculteurs. Ce sont de feuillages riches en protéines (pour la nutri- tion de l’animal) et riches en tan- nins condensés. Ces dernières molécules ont la capacité de dimi- nuer l’infestation de l’animal par les nématodes gastro-intestinaux (les vers). Nous avons démontré qu’après séchage solaire et granu- lation, les propriétés de ces feuil- lages étaient préservées. Les gra- nulés que nous avons fabriqués peuvent remplacer les «concen- trés» donnés aux animaux, en complément de l’herbe.

Quels sont vos origines sociales et votre parcours universitaire ?Je suis issue d’une famille dont les parents sont très impliqués dans la lutte pour l’émancipation nationale de la Guadeloupe… très travailleurs et très présents dans la vie de leurs enfants. Je suis ingénieur agroali- mentaire : ENSIA SIARC (Ecole Nationale Supérieure des Industries Agricoles et Alimentaires - Section des Industries Agro-alimentaires des Régions Chaudes). J’ai poursuivi mes études, d’abord à Toulouse où j’ai obtenu une maîtrise de physio- logie végétale, puis à Montpellier pour l’école d’Ingénieur. Ma moti- vation est venue d’un papa, ensei- gnant en biologie, qui très tôt nous a, tous les trois, une soeur et un frère, poussés vers la science et la production pour le pays. J’avais aussi un désir de travailler pour la Guadeloupe et en Guadeloupe.

Parlez-nous, en quelques mots, de votre précédente réussite, concer- nant l"agro-transformation ?J’ai précédemment mené des recherches pour la mise au point d’un pur jus de banane. J’ai fait cela avec l’INRA de Pech-Rouge en France, où le CRITTBAC (Centre régional d"innovation et de trans- fert de technologie Biotechnologie et agro-industrie de la Caraïbe) (structure de Guadeloupe), m’avait envoyée faire mon stage de fin d’études. Nous avons abouti à un produit complétement innovant, un pur jus de banane, sans eau et sans sucre ajoutés pour lequel nous avons déposé un brevet.

▲Quand je suis rentrée en Guade- l oupe pour mettre en place le pro- jet, cela ne correspondait pas du tout aux standards de l’époque ( année 2000). Les gens, à part les très grands amoureux de la banane, n’étaient pas attirés par ces pro- duits, et les industriels avec lesquels j’ai voulu travailler n’étaient pas i ntéressés. J’ai compris que c’était tout simplement parce que leur métier n’était pas de transformer les produits issus de l’agriculture guadeloupéenne, mais d’acheter des purées de fruits sur le marché international pour ensuite fabriquer leurs «produits locaux».

Cela a construit ma réflexion sur le type d’«industries» alimentaires qu’il faudrait développer en Guadeloupe pour qu’il y ait un impact réel sur notre agriculture.

J’ai compris aussi que les projets à notre dimension étaient les plus pertinents pour nous permettre de nous développer avec un maximum d’effets positifs pour l’ensemble de la population. J’ai donc développé deux axes de réflexion. Dans un premier temps, faire en sorte que nous mangions en priorité et en majorité des produits frais issus de l’agriculture locale. Pour y parvenir, avec mon association «Kap Gwadloup», nous avons entrepris de nombreuses actions dans ce sens au niveau de la restauration scolaire ; de plus, les enfants sont de très bon relais auprès des parents.

Dans un second temps, je pensais qu’il fallait aussi s’orienter vers la version non alimentaire de l’agro- transformation, pour des produits de niches haut de gamme, comme les produits cosmétiques ou les colorants naturels. Ce travail m’a permis notamment de collaborer avec le Docteur Henry Joseph.

Depuis 2009, nous sommes dans un contexte plus favorable, où nous avons l’air de redécouvrir notre pays et ce qu’il nous apporte de positif… C’est maintenant qu’il faut davantage pousser dans ce sens.

Qu"est-ce qui a motivé cette évolu- tion : passer de la recherche dans le domaine de l"alimenta- tion humaine à la recherche dans celui de l"alimentation animal ?Je suis arrivée à l’unité de recherches en zootechnie de l’INRA où ils travaillaient déjà sur ces thé- matiques. Je devais travailler sur le volet de la technologie de transfor- mation. Il s’agissait d’utiliser nos res- sources locales, non utilisées jusqu’à présent, pour produire des aliments pour nos animaux. L’objectif étant d e limiter l’importation et l’achat d’intrants avec pour conséquence de réduire à la fois, les coûts de pro- d uction, l’empreinte carbone de l’alimentation animale et la pollu- tion des écosystèmes par des molé- c ules de synthèse.

Ce projet s’inscrit clairement dans la n otion de développement durable car tout en montrant la richesse de notre biodiversité et de notre bio- masse, et le potentiel que nous avons pour faire face aux grands défis environnementaux (épuise- ment des ressources, dérèglement climatique etc...) il permet d’amé- liorer la filière élevage et pourrait répondre éventuellement au cruel besoin de création d’emplois.

Votre travail d"étude actuel fait-ildéjà l"objet d"une mise en pratique sur le terrain ?Cela fait partie des projets de l’INRA. Il faut étudier maintenant comment mettre en oeuvre cette solution sans qu’elle ne soit trop contraignante en termes de temps de travail pour l’agriculteur. Cela veut dire qu’il faudra réfléchir à ce que nous appelons «de l’innovation organisationnelle». De beaux chan- tiers en perspective.

En tant qu"universitaire et chefd"entreprise guadeloupéenne, com- ment percevez-vous l"avenir de la Guadeloupe ?Je suis peut-être un peu de tout cela, certes, mais ce qui me motive c ’est d’arriver à faire pour le pays et le peuple de la Guadeloupe. Je sou- haite que mes étudiants compren- n ent le sens du pays et qu’ils soient conscients de la richesse qu’ils ont en main. Ce n’est pas facile… Afin de d évelopper mes idées en agro- transformation, il a toujours fallu que je cherche à faire autre chose pour gagner ma vie et garder mon indépendance de vue. Mais mainte- nant, avec la conscience de plus en plus accrue de la nécessité de bien manger pour la santé, nous avons peut-être un contexte plus favora- ble. Quand je vois des jeunes se bat- tre au quotidien, on peut citer Naomi Martino, Fabienne You- youtte et beaucoup d’autres, pour mettre les produits locaux en avant et le succès qu’ils rencontrent, je suis très contente… Je me dis que «nou té ni rézon !». Etre Guadeloupéen, c’est une façon de vivre, de man- ger, d’appliquer des codes sociaux, bref, de respirer ce pays et nous sommes, je pense, en train de nous l’approprier collecti- vement. Je regrette cependant un manque de conscience politique, donc le travail n’est pas fini !

A la suite de votre thèse, vous êtesdocteur en quoi ?En Sciences agronomiques et bio- technologies alimentaires….

(*) (co-produits = feuilles, que l’on ne mange pas. Le pro- duit est pour l’homme et le co-produit pour l’animal)