Construire une filière fruit à pain en Guadeloupe

Le jeudi 6 février 2020, une table ronde ouverte au public, organisée par l’Association Nouvèlvwa (1) et l’INRAE (2) a rassemblé environ 300 per- sonnes à la salle des fêtes du Lamentin pour un débat sur le développement de la filière fruit-à-pain en Guadeloupe.

U ne discussion passionnante et de haute tenue s’est engagée entre les partici- pants sur la thématique en débat, débordant le cadrage programmé par les organisateurs.

Qu’est-ce qui peut expliquer cet engouement pour le fruit à pain aujourd’hui ?

Voilà un fruit féculent qui a été de- puis des décennies dénigré, rejeté, parce qu’il rappelait intimement aux nouveaux libres et aux parve- nus de l’assimilation, le temps de la misère et de la faim. Car, à l’origine, le fruit à pain introduit en Guade- loupe à la fin du 18 è me siècle depuis Tahiti en passant par Saint-Vincent était destiné à nourrir les esclaves, fonction qu’il a assurée pendant la période antan Sorin et après.

L’arbre à pain est toujours présent en Guadeloupe et porte le fruit à pain en abondance, sans une réelle organisation de cette production, de sa commercialisation et de sa transformation.

C’est certainement ce rapport au gaspillage qui en découle qui est en train de changer et que témoigne la présence active de tous ces Guadeloupéens au débat du 6 février. Le résultat d’une longue réflexion sur le développement d’une économie endogène

Il faut reconnaître qu’il n’y a là rien de spontané car, depuis plusieurs années, des chercheurs, des asso- ciations, des agriculteurs qui se pen- chent sur nos richesses naturelles, s’intéressent à la place du fruit à pain dans le développement d’une économie endogène.

La prise en compte du fruit à pain, comme d’autres fruits et légumes de notre terroir, dans une politique d’autonomie alimentaire, est une réponse au changement global et plus particulièrement au change- ment climatique à l’échelle de la pla- nète. Les recommandations de la FAO (3) sont aujourd’hui en faveur de la relocalisation des productions et de leur diversification. Mais, par- delà ces recommandations, notre pays qui subit les lois de la domina- tion capitaliste a l’obligation de faire évoluer son modèle de consomma- tion pour rompre avec l’importation des denrées alimentaires.

Dans ce contexte, le fruit à pain s’impose comme un produit phare avec des atouts certains : - L’arbre à pain qui le porte, se pro- page bien car, il se reproduit par bouturage ou par drageon, c’est-à- dire par rejets poussant sur les racines traçantes - Situé en bout de branche, le fruit à pain ne peut être contaminé par le chlordécone - C’est un aliment à index glycé- mique faible (60) contrairement au pain blanc (80), au riz blanc (78), à la pomme de terre (88). - Le fruit à pain n’est pas une grami- née comme le blé, très riche en glu- ten. Ainsi, c’est un excellent aliment pour tous les intolérants au gluten

Vers la valorisation des ressources endogènes

C’est pleinement conscients de ces atouts que l’Inrae, spécialisé en recherche, formation et innovation agricole et environnementale déve- loppe une relation étroite avec l’as- sociation Nouvèlvwa, pour la construction d’une vision straté- gique collective, autour de la valori- sation des ressources locales. Le débat public qu’ils ont organisé conjointement le 6 février est dans le prolongement du séminaire tenu en juin 2019 pour les 70 ans de l’ins- titut sur le thème «Comment construire une filière fruit à pain en Guadeloupe ?».

A cette occasion, avec l’apport du Dr Laura Roberts-Nkrumah, spécia- liste de la question à l’U.W.I (University of the West Indies) ont été abordées les composantes clés de la valorisation de la chaîne de valeur du développement d’une filière fruit à pain en Guadeloupe : - Evaluer le marché, structurer les circuits de collecte et de dis- tribution - Réussir la culture de l’arbre-à-pain (modes de plantation, etc.) - Valoriser le fruit à pain et ses co-produits - Accompagner techniquement et financièrement la structura- tion de la filière

C’est la synthèse de ces travaux et un pré-projet pour valoriser les res- sources endogènes qui ont été ver- sés au débat du le 6 février. Les échanges entre les participants au débat, animés par Claude Hoton (ingénieur culturel) et Nathalie Minatchy (docteure en alimenta- tion) ont été synthétisés par Jean- Louis Diman (ingénieur d’étude Inrae) et Thierry Noglotte (consul- tant). Une communication de cette synthèse et des avancées sur le pré- projet sont prévues lors de la fête du fruit à pain qu’organise l’associa- tion Nouvèlvwa en juin.

(1) Association basée au Lamentin ayant pour objet l’in- formation, l’éducation et la formation des citoyens (2) Institut national de recherche en agriculture, alimen- tation et environnement (3) Organisation des Nations Unies pour l’alimen- tation et l’agriculture