21 février : Journée internationale de la langue maternelle

Pour connaître la situation de la langue maternelle de Guadeloupe, qui est le Créole, nous avons pris l’attache de Raymond Otto, sociologue et anthropologue

C’est la journée internationale de lalangue maternelle, le Créole. Contribue-t-il à développer notre patrimoine matériel et immatériel ? Raymond Otto :Il conviendrait de nuancer. Ce n’est pas le Créole, mais les Créoles, parce qu’on n’a pas qu’un seul Créole. C’est en fonction du bassin où on se trouve, il y a plusieurs variantes. Mais, effectivement, la langue mater- nelle de ce territoire, c’est le créole his- toriquement, même si on tend à vou- loir le nier. C’est une construction qui est extérieure à nous puisque c’est le fait des premiers colons qui ont cher- ché à travers des métis à organiser une langue, qu’eux, ils comprennent et que nous, nous ne comprenions pas. La langue maternelle chez nous, c’est le lien social puisque nous pensons en Créole, nous fonctionnons en Créole. Ce n’est pas uniquement une langue, c’est une manière de vivre.

N’avez-vous pas le sentiment que le oules Créoles sont en permanence agres- sés par la langue française aujourd’hui avec la nouvelle génération ?Alors, je vais être plus franc que la ques- tion posée. Nos enfants aujourd’hui sont complètement dépossédés de leur langue maternelle voire même, ils deviennent des étrangers sur leur pro- pre territoire. La plupart des lieux où était reproduit le créole en termes de transmission, ces lieux ont disparus au profit de la langue dominante qu’est le Français. On aurait pu penser que dans les années 80, avec le mouvement initié par le président François Mitterrand qui était «la valorisation des cultures régio- nales», il s’est avéré qu’en fait, le Créole a perdu beaucoup et perdra encore plus. Aujourd’hui, avec l’interpénétra- tion d’autres groupes de population qui ont des liens de proximité avec nous, on aura tendance à faire des mélanges de créoles. Donc, les Créoles originels de Guadeloupe vont disparaître. On aurait pu penser qu’en structurant le Créole à l’école, en voulant l’appren- dre, on favoriserait sa survivance. Pourtant, on se rend compte aujourd’hui, malgré toutes les batailles menées par les premiers «créologues», les enfants qui viennent faire du Créole, c’est plus pour leur apporter des points. Mais, nourrir la langue par son imaginaire partout, ce qui est connecté à elle, tels que les jeux de mots, les para- phrases, tout cela va se perdre. Qu’on soit d’accord ou pas, on a plus d’Européens qui viennent apprendre la langue que les natifs du territoire.

C’est quand même une façon de préser- ver la langue maternelle ?En final de compte, non, puisque les autres continents vont parler notre langue alors que nous, nous serons des spectateurs de notre propre langue. De moins en moins on la pratique, de moins en moins on trouve la pertinence de la garder alors qu’en fait, elle a toute sa raison d’être. A mon sens, il faudrait vraiment qu’il y ait un travail d’engage- ment au quotidien de tout un chacun pour faire vivre cette langue. On est revenu à la fin des années 60 où le titre de l’ouvrage parlait à certains. Le Créole est de nouveau une langue jubi- lée parce qu’en fait, il s’est invité dans les salons, il s’est invité dans de hauts lieux mais in fine, on ne le parle pas tant que cela. On a plus tendance à échan- ger en Français. Il suffit simplement d’aller aux cours d’écoles, pour voir que le Créole n’est pas si utilisé que cela par les gamins. D’autre part, lorsqu’on leur demande d’argumenter en Créole, ils transpirent à grosses gouttes parce qu’ils ont perdu cette habitude.

N e pensez-vous pas qu’il y a une formede résistance entre les différentes géné- rations par rapport à l’usage de cer- tains mots anciens qui sont utilisés dans le dictionnaire ?Sur ce point-là, on pourrait faire un grand débat. Oui. Beaucoup de per- sonnes ne se sont pas reconnues lorsqu’il a fallu avoir un consensus sur la phonétique et sur le son des mots. Parce que les différentes générations, comme elles n’ont pas fait de transmis- sion, une langue est vivante, donc il y a des mots qui entrent, il y a des mots qui sortent. Par exemple, il y a des gens qui diront : «Padavwa»cela ne leur parle pas, c’est une connotation syndicaliste. autonomiste, ils ne sont pas dans cette dynamique. En fait, la difficulté qu’on a eu, c’est que cette fameuse partie des années 80, on a commencé à travailler vraiment sur la structuration du Créole, cela a été fait hors consensus de la population. Sans être péjoratif, les intellectuels se sont appropriés le travail de mémoire et de conservation de la langue mais qu’ils ne vont pas respecter à mon sens la transcription graphique. Lorsque Monsieur tout le monde va prendre connaissance, il dira : C’est quoi le Créole ? Comment il se parle ? Les gens ne seront pas d’accord, même si para- doxalement la dictée créole a un franc succès. Il n’en demeure pas moins, derrière le Créole, des machins, chaque individu garde secrètement sa manière d’appré- hender la langue puisqu’elle demeure quand même une langue de coeur et pas une langue d’universalité. On a voulu faire du Créole, un Français loca- lisé, les gens ne vont pas adhérer.

In fine, est-ce que ce veut dire que leCréole n’ira pas loin ?Cela veut dire simplement comme je l’ai dit précédemment, toute langue qui vit, a des entrées et des sorties. Je pense qu’on aurait dû prendre plus de temps pour faire la collecte du terreau du Créole, et qu’à partir de cette collecte, pouvoir offrir d’autres possibles parce qu’entre la fin des année 80 et le début des années 90, on va américaniser le Créole, ensuite on va le franciser et aujourd’hui, dans le Créole on retrouve des expressions de Saint-Domingue ou de Haïti, donc on a vraiment un Créole cosmopolite, à l’image de la société dans laquelle on vit. Ceux de l’extérieur qui seront plus nombreux à parler leur Créole, nos Créoles se retrouveront mulets. A terme, on risque par la loi, du nombre à perdre notre singularité.