Kaléidoscopie de la mèreguadeloupéenne jusqu’à la fin des années 1960 Des générations peuvent encore témoigner

De janvier à décembre, diffé- rentes dates peuvent être l’occa- sion de parler de la mère et plus particulièrement de la mère guadeloupéenne. Le 08 mars est incontestablement l’une de ces circonstances car, en mettant en exergue les luttes des femmes pour de meilleures conditions de vie, pour la justice sociale et la paix, elle évoque aussi le courage et les sacrifices consentis par les mères pour faire vivre la famille.

Les mères guadeloupée- nnes, comme toutes les femmes du mon- de, sont totalement concernées, et des générations d’après la deu- xième guerre mondiale, ou quel- ques années avant, sont encore vivantes pour témoigner, au travers d’un kaléidoscope, certains aspects de la vie de leur mère, cheville ouvrière ou plus culturellement par- lant, «poto mitan» de la famille, jusqu’au moins vers la fin des années 1960. Bien sûr, en tenant compte des particularités de cer- taines régions ou de certains niveaux sociaux.

Donc, à l’occasion de cette journée du 08 mars 2020, nos propos ne reviendront pas sur leurs souf- frances durant l’esclavage, ni avant ou après l’adoption de certaines lois par les Etats ou l’Organisation des Nations Unies (ONU). Nous enten- dons seulement évoquer quel- ques aspects de leur responsabilité dans la famille, en collaboration avec le père, son mari, époux ou compagnon, présent de façon per- manente ou temporaire, sous le toit familial.

SUR LE PLAN ÉDUCATIF,RELIGIEUX COMME CIVIL

A la naissance, la première préoccu- pation était le baptême religieux obligatoirement du bébé avant trois mois, encadré par un parrain, une m arraine et une «mabonne» pour obtenir la protection divine durant toute son existence. Ces personnes estimées s’engageaient, implicite- ment, à remplacer les parents en c as de «coups durs», maladie ou décès. Cet évènement était suivi d’autres cérémonies religieuses jusqu’à l’âge de 14 ans environ.

L’éducation civile, pour en faire un citoyen accompli, était assurée avec la plus grande rigueur possi- ble, en vue d’inculquer obligatoi- rement le respect des adultes et des plus grands de la fratrie. Cette marque de respect était indiscuta- ble vis-à-vis des maîtres et maî- tresses d’école, «écoles payées» comme écoles publiques. Ces der- niers avaient une autorité absolue sur les écoliers qui leur étaient confiés, avec droit aux punitions et aux châtiments corporels, quand ils le méritaient.

Les mauvais comportements, à la maison ou en dehors, étaient sanc- tionnés de différentes manières et, souvent, le soin de la fessée était réservé au retour du père du travail.

SUR LE PLAN DE L’APPRENTIS- SAGE À LA VIE ET DE LA RESPONSABILITÉ

Très tôt, vers l’âge de six ans, avec des récipients adaptés à l’âge, ils devaient procéder à l’approvision- nement en eau, puisée dans les mares, sources ou rivières, matin et soir, pour les besoins du ménage. Sortir quotidiennement les ani- maux, boeufs, chevaux, ânes, mulets, des parcs ou les rentrer le soir, ramener différents feuillages pour les cochons et les lapins, tâches dédiées aux garçons le plus souvent. Ces activités apportaient beaucoup de joie étant autant d’oc- casions pour visiter différents arbres fruitiers. Les filles étaient pré- posées au lavage de la vaisselle, au repassage et lessive, au balayage de la maison. Cette lessive pouvait aussi se faire à la rivière, avec des enfants qui aidaient pour toutes les phases, y compris pour le transport du linge, dans des paniers de bam- bou ou des terrines en fer blanc ou en terre cuite.

Il faut aussi noter la participation, des garçons surtout, aux travaux agricoles, le jeudi d’écoles fermées ou durant les différentes vacances : Pâques, Noël et grandes vacances. L’apprentissage de la responsabilité était mis en oeuvre en cas d’ab- sence des deux parents, comme cela arrivait souvent. Un de la fra- trie, garçon ou fille, pas forcément l’aîné, à l’âge de dix ou onze ans se voyait confier la garde momenta- née des plus petits pour permettre à la mère de sortir, pour un problème f amilial. La solidarité de voisinage jouait à plein car, il lui suffisait de prévenir sa voisine en ces termes :« En pa la, voyé an kout zié en lè yo ban mwen» (Je ne suis pas là. Jette pour moi un coup d’oeil sur les enfants). Et elle partait, rassurée.

Il n’est pas possible de tout dire. Mais, ajoutons que nous avons vu ces mères infatigables, rapiécer, repriser, remonter des boutons, blanchir, amidonner, repasser des vêtements de classe ou de cérémo- nie, souvent avec des mains et des pieds usés. Nous les avons vues attacher des centaines de paquets de cannes derrière des coupeurs, alors que leurs bébés se reposaient sur une cabane, sous un manguier, dans le champ. Nous témoignons qu’elles ont été médecins, infir- mières, pour diagnostiquer des maladies et les soigner par des plantes qu’elles nous apprenaient à c onnaître très tôt. Nous n’oublie- rons pas le savoir-faire naturel de beaucoup, en matière de mas- s ages ou frottements et d’accou- chement : elles n’étaient ni kinési- thérapeutes, ni sages-femmes mais, «frotteuses» ou «ma- trones» du village.

Alors, oui, c’est à ces femmes notamment que nous pensons avec beaucoup d’émotion, en cette semaine du 08 mars 2020, au cré- puscule de notre vie, et qui ont fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Elles ont beaucoup lutté et souffert, en silence. Nous les saluons ainsi que toutes celles qui ont mené et continuent à mener le combat pour leurs droits à l’égalité, la justice sociale et la paix.