Manu Dibango : Le roi du saxo joue désormais dans la galaxie

Le 24 mars 2020 décédait à l"âge de 86 ans, des suites du coronavirus, dans un hôpital de la région parisienne, Manu Dibango, surnommé Papagroove ou Papa Manu, de son vrai nom, Emmanuel N"djoke Dibango, artiste de renommée internationale qui faisait «chanter» son saxophone.

I% naît le 12 décembre 1933 à Douala au Cameroun d"un père issu de l"ethnie Yabassi, et d"une mère de l"eth- nie Douala. Cette différence est importante dans un pays qui vit selon les rites ancestraux. On retrouvera ses origines dans l"évolution musicale de l"artiste.SAINT-CALAIS

Au printemps 1949, le jeune Manu, effectue un long périple en bateau et accoste à Marseille, envoyé par son père pour faire des études en France. Il s"installe dans sa famille d"accueil à Saint Calais dans la Sarthe, un département de l"Ouest de la France.

Il fait ses débuts musicaux en grat- tant d"abord la mandoline, puis en apprenant le piano. Lors d"un séjour dans un centre de colonie réservé aux enfants camerounais résidents en France, il rencontre Francis Bebey, un peu plus âgé que lui, qui est un fan de jazz. Armstrong et Sidney Bechet sont pour lui, les deux figures emblématiques du jazz noir américain. Les deux jeunes gens forment à cette occasion un petit groupe où chacun s"essaie à la pratique de son instrument favori

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C"est à cette époque-là qu"il découvre aussi le saxophone. Il commence à prendre des cours. La musique est un hobby, mais en aucun cas, il ne pense à en faire un métier. Il passe donc la première partie de son baccalauréat à Reims, ville dans laquelle il a trouvé une nouvelle école. S"il pense faire par la suite une école de commerce, son projet tourne court. En effet, il échoue à la seconde partie du baccalauréat. En cette année 1956, son père mécontent, lui coupe les vivres.

COCO

Fin 1956, il décide d"aller tenter sa chance à Bruxelles. Par le biais d"un ami, il est embauché au Tabou, cabaret à la mode dans la capitale belge. Il fait la connaissance d"un mannequin, Coco, qui deviendra par la suite sa femme.

En 1960, il est embauché dans une boîte bruxelloise, les Anges noirs, que les politiciens et intellectuels zaïrois fréquentent assidûment.

Dans cette atmosphère, Manu Dibango, chef de l"orchestre des Anges noirs, flirte avec la véritable musique africaine. C"est sa rencon- tre avec le grand Joseph Kabasélé et l"African Jazz qui va tout déclencher et lui ouvrir les portes d"un monde qu"il a oublié. Il retrouve le son du continent africain avec Kabasélé.

Fort de ce bon départ discogra- phique, Manu désire maintenant faire un enregistrement solo. «African soul» mélange jazz, rumba et rythmes latino. Même si le résul- tat est honorable, Manu ne réussit pas à le faire produire.

AVENTURE ZAÏROISE

Manu accompagne Kabasélé dans une tournée au Zaïre durant le mois d"août 1961, sa femme l’ac- compagne. Une fois le contrat r empli, le couple prend en gérance l"Afro-Negro, boîte dont le succès est rapidement assuré. Deux ans a près, Manu décide d"ouvrir son propre établissement, le Tam Tam. Début 1962, il lance la mode d u twist à Kinshasa avec «Twist à Léo». Grand succès.

Après des retrouvailles avec ses parents et l"insistance de son père, Manu décide d"aller s"installer au Cameroun. Fin janvier 1963, il inau- gure une boîte à Douala, nommée comme la précédente, le Tam Tam, mais c’est la galère. Manu et sa femme Coco reviennent à Paris, fatigués de l"aventure africaine.

Manu Dibango reprend tout à zéro. Il se met à courir les cachets. Les tournées se succè- dent et Manu retrouve un peu de sa superbe musicale.

1972 : «SOUL MAKOSSA»

À l"occasion de la huitième Coupe d"Afrique des Nations, grand événe- ment footballistique qui se déroule à Yaoundé en 1972, Manu com- pose un hymne dont la face B du 45 tours n"est autre que le plus gros tube africain de tous les temps, «Soul Makossa».

ABIDJAN

Il pose ses valises à Abidjan, capitale de la Côte d"Ivoire en 1975 où il est convié à diriger le nouvel orchestre de la Radio-télévision ivoirienne. Il y restera quatre ans.

1985 : TAM TAMPOUR L’ETHIOPIE

Il arrange et fait jouer les meilleurs musiciens africains de la place de Paris pour apporter une contribu- tion à l’Ethiopie avec l’opération «Tam-Tam pour l’Ethiopie».

1986 : MÉDAILLE DES ARTS ET DES LETTRES

Celui qui est considéré par beaucoup comme le précurseur de la musique africaine «mo- derne» reçoit le 14 mars 1986 la médaille des Arts et des Lettres par le ministre de la Culture français, Jack Lang.

En 1993, il est récompensé par la Victoire du meilleur album de musique de variétés instrumen- tales de l"année 1992 (France) pour le deuxième volume des «Négropolitaines».

2003 : 30 ANS DE«SOUL MAKOSSA» Le 14 mars, il fait son grand retour à Douala, sa ville natale, où il n"avait pas joué depuis 27 ans. Il se produit dans la nouvelle salle de La Pêche à l"invitation des Rencontres interna- tionales des musiques du sud (Rims) accompagné des membres du groupe Macase que produit son fils Michel.

2004 : L’UNESCO

En mai 2004, Manu Dibango est nommé Artiste de l’Unesco pour la paix par le Directeur général de l"or- ganisation, Koïchiro Matsuura, «en reconnaissance de sa contribution exceptionnelle au développe- ment des arts, de la paix et du dia- logue des cultures dans le monde». Le musicien donne un concert le 27 mai à l"occasion de la cérémonie de nomination au siège de l’Unesco à Paris, juste avant l’ouverture des Journées de l’Afrique.

2015 : LA FRANCOPHONIE

Nommé Grand témoin de la franco- phonie par l’Organisation interna- tionale de la Francophonie, il est mandaté pour défendre les valeurs de la francophonie aux Jeux olym- piques de Rio de Janeiro au Brésil en août 2016, où il joue également avec l’Orchestre national du Brésil.

Pour ses 60 ans de carrière, et ses 85 ans, le saxophoniste imagine un nouveau projet baptisé «Safari sym- phonique». Une représentation a lieu en juillet 2019 au festival Jazz à Vienne, avec l’Orchestre national de Lyon. Le Camerounais a aussi deux invitées spéciales : la Brésilienne Flavia Coelho et l’Ivoirienne Manou Gallo. Dans la salle parisienne du Grand Rex, en octobre, il renouvelle l’expérience, accompagné cette fois par l’Orchestre Lamoureux.

Le 18 mars 2020, le musicien est hospitalisé pour cause de coronavi- rus, alors que la pandémie se géné- ralise à travers le monde. Le 24, Thierry Durepaire, gérant des édi- tions musicales de l"artiste annonce le décès de celui-ci.

Les obsèques ont eu lieu le 27 mars à Paris. Manu Dibango est inhumé au cimetière du Père Lachaise dans la plus stricte intimité, une situation liée à la pandémie du Covid-19 qui continue de sévir. Source : RFI