Une jeunesse dans le faubourg de Massiabelle

Alors que Pointe-à-Pitre est souvent sous les feux de l’ac- tualité, ceux qui aiment cette belle ville pour y être nés, y avoir travaillé et vécu, ont sans doute le coeur serré à entendre les commentaires vrais ou faux de ceux qui n’ont pas connu l’âme de cette ville.

En tout cas, nous n’oublions pas que Pointe-à-Pitre fut administré par des maires communistes qui, y ont apporté la salubrité, des écoles, des équipements culturels et sportifs. Rappelons aussi que les premiers films sur l’esclavage et le marron- nage venaient de Cuba, par l’inter- médiaire de Michel Bangou. Des films tournés sur de véritables habitations, au milieu de paysages somptueux… Voici pour l’histoire. Mais, nous voulons vous faire remonter le temps et vous faire vivre un quartier typique de la ville : Massabielle.

Massabielle avait cette particularité d’échapper, par sa situation (en hauteur), aux inondations qui, par temps de pluie, transformaient la ville en un fleuve d’immondices de toutes sortes. Est-ce pour cela que la petite classe moyenne, compo- sée de fonctionnaires, s’y était éta- blie dans les années 1950 ?

Du pied du morne de l’hôpital, à la place Camille Desmoulins, on trou- vait des familles d’enseignants, de douaniers, d’infirmiers, de sages- femmes, de boulangers, de coutu- rières… Des habitations correctes qui côtoyaient les cases des ouvriers. Les noirs et les mulâtres vivaient en parfaite harmonie et les amitiés nouées, se sont prolongées bien après les décasements et les vicissitudes de la vie.

Les lolos permettaient aux enfants des allées et venues pour effectuer les achats de la famille, notées soigneusement sur carnet de crédit que la famille devait honorer le trente du mois.

L’église occupait le centre de Massabielle. C’était bien sûr le lieu des cérémonies religieuses, mais, le samedi après-midi, une bonne partie des habitants du quartier se massait sur le perron pour voir arriver les mariés et leurs demoiselles et garçons d’honneur. Admiration ou ricane- ment ponctuaient ces défilés, où parfois, une maîtresse abandon- née souvent avec bébé, faisait irruption dans l’église. Le mini drame qui s’en suivait alimentait les cancanages.

Le jeudi, quelques fillettes se ren- daient chez «Jacqueline», une mulâtresse qui avait fait ses classes chez «les soeurs», pour y apprendre le théâtre, des chants religieux… Quant aux petits gar- çons, quand ils n’étaient pasoccu- pés à jouer au cerf-volant et aux billes, on les voyait passer, mar- chant au pas sous la direction de M. Flagie en chantonnant : «Un louve- teau écoute le vieux loup…». Pour tous les enfants, la vie s’écou- lait tranquille sauf à la période du carnaval (comme le rappelle si bien Mme Birman Seytor dans son ouvrage «Mas a Senjan»). Si cer- tains attendaient le dimanche avec impatience, d’autres redoutaient cette période.

«Senjan» faisait avec son groupe, une escale dans une cour de Massabielle. Le rythme des tam- bours, les costumes de paille et surtout les cornes de boeufs, dont ils s’attifaient, terrorisaient les enfants qui se réfugiaient sous les lits ou dans les jupes de leur mère et grand-mère.

Massabielle, c’était aussi le sentier pentu qui, face à l’église, permettait de rejoindre le Chemin-Neuf et la rue Raspail où se trouvaient des copains de classe. Au pied du morne, chez Mme Elisée, les copines de ses filles avaient l’autori- sation de puiser dans sa grande bibliothèque des livres dédiés à l’en- fance. Il y avait aussi «l’école payée» où beaucoup d’enfants apprenaient à lire bien avant leur entrée au CP… Massabielle, c’était tout cela et bien d’autres choses encore.