Une Guadeloupe debout pour un pouvoir politique ? Pas encore d’élus pour la guider

Dans notre dernière édition spé- ciale n° 876 du jeudi 14 mai 2020, sous la plume de Christian Céleste, dans un arti- cle intitulé «Entre désertion et trahison», le rédacteur incitait le peuple guadeloupéen à s’inter- roger sur le comportement des élus, s’agissant de la réouverture des écoles et des collèges, les 11 et 18 mai 2020.

Il est nécessaire de revenir en détails sur cette affaire, afin de laisser une trace pour permet- tre à la postérité d’apprécier le cou- rage de ceux et celles qui sem- blaient enfin avoir compris qu’il tar- dait de prendre en main le destin de notre Guadeloupe.

Force est de constater que «chasser le naturel, il revient au galop» car, cela nous renvoie brutalement à l’époque des cumuls de mandats, quand des conseillers généraux, siégeant égale- ment au Conseil régional, en tant que conseillers régionaux, transfor- maient, sans scrupules, leur «oui» du matin dans l’une des collectivi- tés en un «non» l’après-midi, dans l’autre collectivité, et inversement, selon leur appartenance à la majo- rité ou à la minorité ou pour leurs intérêts personnels. Le même stra- tège était d’ailleurs mis en oeuvre à l’Assemblée nationale et au Sénat. Notons que ce comportement a jus- tifié également la législation sur le non cumul des mandats, pour éviter de telles voltefaces. Une telle tragico- médie, coronavirusive aujourd’hui, s’est rejouée en trois actes.

Acte 1.- Jeudi 23 avril 2020. Le Président de la République Emma- nuel Macron annonce la couleur : Réouverture des écoles et collèges

En visioconférence avec les exécutifs territoriaux des Antilles et de la Guyane, les présidents des associa- tions de maires, Annick Girardin, ministre des Outre-Mer, le Président de la République annonce la réou- verture des écoles le 11 mai et des collèges le 18 mai 2020 pour les niveaux 6 ème et 5 ème . Les élus de Guadeloupe et, notam- ment, Josette Borel Lincertin et Ary Chalus, expriment très fermement leur opposition. Il se dégage même une volonté de ne pas faire de rentrée avant septembre 2020, afin de laisser suffisamment de temps pour pren- dre les dispositions de sécurité sani- taire indispensables et permettre aux familles et élèves d’évacuer le stress, la peur et l’anxiété causés par cette soudaine et brutale pandémie.

Acte 2.- Lundi 04 mai 2020 - Con- férence territoriale de l’action pu- blique. Un front se dégagera-t-il ?

Cette CTAP est présidée par le prési- dent de Région Ary Chalus et y parti- cipent : le préfet de Région, Philippe Gustin, le recteur d’académie, Mos- tafa Fourar, les associations de pa- rents d’élèves FAPEG et FCPE, des syndicats d’enseignants, des séna- teurs et députés, notamment Domi- nique Théophile et Max Mathiasin.

Aucun des arguments de nature à rassurer ou à toucher les fibres sensi- bles concernant le décrochage sco- laire ou les violences intrafamiliales, présentés par le représentant de l’Etat et celui de l’Institution éduca- tive, n’aura raison de la volonté des élus, tous niveaux confondus et plus particulièrement des maires. Ils sont contre la réouverture des écoles le 11 mai 2020. Le maire de Petit-Bourg, Guy Losbar, ayant exprimé cepen- dant son intention de ne pas prendre part au vote, s’il n’y avait pas un amendement lui permettant la réou- verture, cet amendement a été ajouté à la résolution. Celle-ci allait être votée et adoptée à l’unanimité des présents (29 maires sur 32). Il n’y aura pas de réouverture des écoles avant le mois de septembre 2020, sauf pour trois communes dont les maires ont soutenu l’amendement.

Face à un tel refus de ne pas prendre de risques pour la santé des enfants et des personnels de toutes catégo- ries, la Guadeloupe était en droit d’es- pérer que cette légitime et prudente attitude allait être observée pour la réouverture des collèges.

Acte 3. Lundi 11 mai 2020 - Plénière du Conseil départemental en visio- conférence : exercices d’équilibristes manifestes après désertion ou trahi- son depuis le lundi 04 mai 2020

Le constat s’imposait. Tout ne s’était pas passé comme prévu durant la semaine. Quel que soit le motif évo- qué, conditions sanitaires non satis- faisantes, réouverture échelonnée, cela s’apparentait purement et sim- plement à des jeux d’équilibrisme, de désertion, de trahison ou d’incapacité de maîtriser des situations délicates. D’ailleurs, il faut le dire, c’est cette atti- tude qui légitime des décisions de réquisition du préfet sur certains pro- blèmes, la distribution de l’eau par exemple, ou des arrêtés contestables ou pas, au cours de la pandémie.

Contre toute attente, la présidente du Conseil départemental allait se réfugier derrière le statut des chefs d’établissements et en particulier des principaux, responsables de la sécurité des personnes et des biens, pour demander à son assemblée de lui donner seulement l’autorisation d’engager les dépenses pour met- tre aux normes sanitaires préconi- sées les collèges, pour une réouver- ture le 18 mai 2020.

Face à la grande réticence des conseil- lers départementaux, elle s’attacha à faire comprendre et admettre finale- ment qu’il ne s’agissait «que d’une autorisation d’engager des dépenses» et que la responsabilité de la réouverture incombait aux chefs d’établissements, qui ne sont d’ail- leurs jamais appelés à donner leurs sentiments, ni par voie syndicale, ni même à titre personnel, devoir de réserve oblige, sous la surveillance de leur hiérarchie. Soutenue par certains intervenants dont le maire Eric Jalton, président de CAP Excellence, la prési- dente du Conseil départemental allait obtenir, la main sur le coeur, cette autorisation d’engager les dépenses mais, elle seule savait la diligence dont elle allait faire preuve pour que tout soit prêt pour le 18 mai 2020, à l’ex- ception des neuf collèges privés d’eau. Et le tour était joué, tant et si bien que sa présence était remarquée à la réouverture du collège Edmond Bambuck du Gosier, en présence du recteur Mostafa Fourar.

Comment ne pas se demander qu’est-ce qui fait courir nos diri- geants, même si on sait que la mé- daille de l’Ordre national du Mérite et de la Légion d’honneur est décernée par le Président de la République, donc Emmanuel Macron, et sur pro- positions de certaines institutions ou personnalités ?

Décidément, pour une Guadeloupe même seulement autonome, avec un pouvoir politique, il faudra encore attendre longtemps, faute d’élus debout pour la guider.