Une page d’histoire sur Basse-Terre

«Un peuple qui ne connaît pas s on passé, ses origines et sa cul- ture, ressemble à un arbre sans racines» (Marcus Garvey) Pour compléter cette citation de Marcus Garvey, nous ajouterons que même ayant des racines, plus ou moins profondes, celles-ci ne peuvent être nourricières que par un arrosage ou une humidifica- tion naturelle ou artificielle de l’arbre, pour éviter sa dégénérescence. Tel est notre objectif en publiant cette page d’histoire sur Basse-Terre. Certes, beaucoup d’historiens et autres chercheurs ont écrit sur notre Guadeloupe, colonisée depuis 1635. En versant au dos- sier ce texte non signé, retrouvé dans les archives de Nouvelles- Etincelles, nous souhaitons mettre à la disposition de nos lecteurs la contribution de son auteur pour la connaissance du pays.

PLACE DE BASSE-TERRE PARMI LES AUTRES COMMUNES

C’est l’agglomération la plus impor- tante de la région méridionale de la Guadeloupe, un peu plus de 16 000 habitants. Elle est le chef-lieu du dépar- tement, mais son importance écono- mique médiocre ne fait que décroître comparée à celle de Pointe-à-Pitre.

En effet, une relation écrite du poète Nicolas Germain Léonard (1744- 1793), datée d’avril 1783, décrit en ces termes Basse-Terre sa ville natale : «la ville de Basse-Terre s’étend le long du rivage de la mer et va finir au bourg Saint-François dont la rue principale est décorée d’une longue allée d’arbres et d’une fontaine publique… La rade y compte rarement plus de 10 navires».

Quel élément de rêves pour nos doc- kers et commerçants d’aujourd’hui, avec nos deux navires bananiers par semaine et l’absence totale de cargos ! Mais, revenons à l’histoire. Créée en 1640 par le gouverneur Pierre-Emile Aubert, après une paix signée avec les Caraïbes, Basse-Terre vit ses premières maisons s’organiser du côté Ouest de l’embouchure du Galion, autour d’un site où fut érigé plus tard le Fort Saint- Charles, rebaptisé Fort-Delgrès en 1989, par le Conseil départemental, en hom- mage au héros de l’abolition de l’escla- vage Louis Delgrès

. Trente ans plus tard, l’agglomération comptait 124 maisons bâties et en 1696, 260 maisons.

SITE STRATÉGIQUE, ÉCONOMIQUE, CULTUREL ET RELIGIEUX

La vocation première était surtout stra- tégique. Redoutes et batteries permi- rent de «s’opposer aux descentes et insultes des ennemis». Toutefois, des entrepôts et magasins se multiplièrent au bord de la mer, entre la rivière du Galion et la rivière aux Herbes.

Dans «Voyage aux îles d’Amérique», Jean-Baptiste Labat, plus connu sous le nom de Père Labat, qui visita Basse- Terre en mars 1696, décrit en ces termes l’agglomération : «Le Bourg que les Anglais avaient brûlé en 1691 était presque entièrement reconstruit. Il com- mence au-dessous de la hauteur sur laquelle le Fort est situé ; C’est une longue rue qui va depuis cet endroit jusqu’à une ravine appelée la Ravine Billau. La partie la plus grande et la plus considérable est entre cette ravine et le Fort et retient le nom de Bourg de la Basse-Terre. Ce qui est depuis la rivière aux Herbes jusqu’à la ravine à Billau se nomme le Bourg de Saint-François».Il y a dans ces deux quartiers cinq ou six petites rues de tra- verse avec quatre églises. Il pouvait y avoir dans ces deux bourgs 260 mai- sons, la plupart de bois et fort propres.

L’agglomération avait quelques 56 ans d’existence au moment de la visite du Père Labat et aux côtés du pouvoir civil, les missions religieuses avaient déjà construit quatre églises. Ces missions étaient arrivées avec les Carmes et les Jésuites, installés aux environs de 1650, c’est-à-dire dix ans après le gouverneur Aubert. Pendant ces dix années, les offices étaient célébrés dans la petite chapelle du Fort. L’église du Carmel fut la première construite par les Jésuites, sous le gouvernement de Charles Houël du Petit Pré. Sa façade est classée monument historique et leur couvent à la place qu’occupe l’actuelle préfecture. Cette partie de Basse-Terre, la plus ancienne, porte encore le nom de Carmel, l’autre partie de la ville, plus récente, porte le nom de Saint- François, nom de l’église érigée par les Dominicains. A l’emplacement de cette église s’élève l’actuelle cathédrale dont les travaux ont commencé en 1736. Ainsi, jusqu’au 19 ème siècle, la ville com- prenait deux parties bien définies :

1) La paroisse du Carmel à l’ombre du Fort, la plus ancienne, à vocation mili- taire avec son Fort et son arsenal, encore ainsi dénommé et actuellement propriété privée, ses ruelles étroites (quartier du Petit Canon), la caserne d’Orléans derrière la préfecture, l’hôpi- tal militaire (actuel lycée).

2) La paroisse de Saint-François, la Rivière aux Herbes matérialisant la séparation, à vocation commerciale de conception «plus moderne», où les rues sont plus ordonnées, quadrillées suivant un plan préétabli.

ENTRÉE DE BASSE-TERRE DANS LA «MODERNITÉ»

Dans un passé récent, c’est-à-dire de 1928 à nos jours, des bâtiments aux lignes plus modernes ont été édifiés dans ce vieux quartier du Carmel. La plupart, sinon tous sont des centres administratifs. Citons le «Palais d’Or- léans» à l’emplacement de la Caserne d’Orléans, le Palais du Conseil général, lui faisait face le Palais de Justice, ancien emplacement de l’hôpital de la Charité construit en 1664.

Séparant ces deux constructions, une «avenue» récente (1935) dite Avenue du Général Eboué et il est à noter que dans l’axe de cette avenue, à son intersection avec le nouveau B oulevard maritime, se trouvait la maison de Louis Delgrès.

Le lycée Gerville Réache, qui occupe comme nous l’avons signalé, les bâti- m ents de l’ancien hôpital militaire et vers les hauteurs de la sortie Nord de Basse-Terre, sur la route de Saint- Claude, le pensionnat de Versailles, ins- titution libre d’enseignement installé d epuis plus d’un siècle.

Citons en passant l’aménagement du Champ d’Arbaud, ancien terrain vague, tenant actuellement lieu de Place d’Armes, aménagement que nous devons au gouverneur Arbaud (1775), embelli par le Comte de Lardenoy (1816) dont les allées actuelles ont été tracées sous le gouvernement du sombre gouver- neur Constant Sorin (1943). Il est à noter que cette partie de la ville constitue la zone résidentielle.

Toujours dans ce quartier du Carmel, nous nous devons de signaler la petite place des Carmes, moins huppée mais historiquement importante, puisque Victor Hugues, Commissaire du gou- verneur révolutionnaire, «ne trouva point d’emplacement plus convenable pour sa guillotine itinérante».

Cette place a été le témoin, tou- jours pendant cette période, d’une fusillade où fut tué le jeune Balguy Serge, au cours d’une manifesta- tion réclamant le passage de la Guadeloupe dans les rangs des combattants contre le nazisme.

Sur la rive droite de la Rivière aux Herbes, l’ancien Bourg de Saint- François s’étire en direction de la Rivière des Pères dans la section du Bas-du- Bourg, des Mornes. C’est la zone des «affaires» et du «commerce», amé- nagé par Pierre Gédéon de Nolivos plus couramment appelé le Comte Nolivos, gouverneur de la Guade-loupe du 20 mars 1765 au 29 novembre 1768, et Lardenoy (1816-1863), qui marquent leur gouvernement par ces «grands travaux d’urbanisme», bâtie sur un plan en damier. On y trouve les sièges des grandes compagnies, les bureaux des importateurs-exportateurs, les doua- nes, le commerce de gros et de détail, les banques, l’hôtel des Postes, l’esta- cade bananière pompeusement appe- lée port, l’hôtel de ville devant lequel, naguère, s’étendait une place plantée de tamariniers datant du gouverne- ment du Comte Nolivos et qu’une mal- adroite conception de l’urbanisme fit abattre y compris l’arbre de la liberté planté en 1795 par Victor Hugues.

BASSE-TERRE ET NOS HÉROS DE LA RÉSISTANCE AU RÉTABLISSE- MENT DE L’ESCLAVAGE

Il serait dommage de terminer ce rapide survol historique sans dire quelques mots, sans rappeler le souve- n ir de ce héros de notre histoire locale, nous voulons parler de Louis Delgrès, volontairement laissé dans l’oubli.

L’action débute à l’actuel Fort Saint- Charles, devenu Fort Delgrès, et prend f in triomphalement par l’holocauste du Matouba et bien que se situant en 1802, on peut en parler comme d’un épisode de la révolution de 1789.

E n effet, la Révolution française, en bri- sant les chaînes de ses propres féodaux y associa les esclaves des colonies, ceux- ci rendus à la dignité d’homme, «se montrèrent dès lors capables des plus g randes facultés humaines».

Ayant connu la liberté, ils étaient décidés aux plus grands sacrifices pour la défendre.

C’est dans cette optique que se situe l’épopée de Delgrès. En 1801, la Guadeloupe se trouvait placée sous le commandement du contre-amiral Jean-Baptiste Raymond de Lacrosse. Ses malversations, sa félonie, lui atti- rèrent vite l’hostilité de toutes les couches de la population. Lacrosse expulsé du pays, un gouvernement provisoire s’organise autour du chef de brigade Magloire Pélage en atten- dant le représentant du 1 er Consul Bonaparte, mais ce dernier était un raciste et une de ses plus célèbres mesures devait consister à rétablir l’es- clavage dans les possessions françaises d’Outre-mer. C’est dans cette intention qu’il dépêcha le Général Antoine Richepanse comme chef de la colonie.

La résistance s’organisa alors autour de Delgrès. La trahison de Pelage, ancien compagnon de Delgrès au moment du gouvernement provisoire, facilita l’ex- pédition de Richepanse et lui permit une entrée triomphale dans Pointe-à- Pitre, en dépit d’une résistance achar- née du capitaine Joseph Ignace.

Delgrès qui commandait l’arrondisse- m ent de Basse-Terre, mis au courant, décide d’organiser la lutte, sachant «a priori» et compte tenu de la trahison de Pelage, que toute résistance était vouée à l’échec. Mais il voulut donner à cette résistance la valeur d’un symbole.

«Il faut chercher l’explication de son atti- tude dans son attachement à un idéal extrêmement élevé, dans son attache- ment à des principes sacrés, telles la soli- d arité humaine, la fidélité à la cause choisie, la sauvegarde des droits impres- criptibles de la personne humaine». «La résistance à l’oppression, est un droit naturel», affirme-t-il, dans sa célèbre p roclamation.

Les combats furent atroces, les faits bravoures sans précédent. Delgrès, retiré au Fort Saint-Charles, aujour- d’hui Fort Delgrès, fut inflexible. Mais, devant l’assaut du traître Pélage qui avait des troupes consti- tuées de noirs et d’anciens compa- gnons de Delgrès, les résistants du Fort hésitèrent à faire feu sur leurs propres frères de couleur. A partir de ce moment, les évènements se pré- cipitèrent, Delgrès se retira à Matouba où il décide de mourir en se faisant sauter avec 300 de ses com- pagnons. La répression fut sans nom, 10 000 victimes parmi les résistants (tués fusillés).

Richepanse lui-même, par juste retour du sort mourut de fièvre jaune, moins de deux mois plus tard, après avoir publié le rétablissement de l’esclavage en septembre 1802.

Transgressant cet épisode héroïque, Delgrès, ce martyr de notre histoire, avait eu l’occasion de souligner, en le déplorant dans sa célèbre proclama- tion, l’existence à la tête du pays«d’hommes malheureusement trop puissants par leur éloignement de l’auto- rité dont ils émanent».Avec cette constatation, s’ouvre un deuxième cha- pitre de notre histsoire. Auteur inconnu