Le «statu quo» institutionnel : 62 ans de perdus

L’ancien président de la délé- gation sénatoriale aux Outre- mer, Monsieur Michel Magras, a déposé le 21 septembre 2020, le rapport sur «la diffé- renciation territoriale Outre- mer, quel cadre pour le sur- mesure» qui lui avait été confié par la délégation.

Il a entendu les exécutifs et les présidents des Assemblées territoriales des collectivités «ultramarines» afin de recueillir leurs appréciations sur l’application de leurs statuts et de mesurer leur attente.

Avec le concours d’éminents juristes, le rapport aborde égale- ment la question du socle constitu- tionnel commun qui pourrait, à l’avenir, répondre aux voeux des col- lectivités «ultramarines» de dispo- ser d’un cadre favorisant davantage leur épanouissement et l’efficacité des politiques publiques.

Après tous ces échanges, le rappor- teur conclut à : «L’urgence d’une refondation de la relation entre l’Etat et les Outre-mer qui passera néces- sairement par une réforme de l’exer- cice des libertés locales et une plus large diffusion d’une culture outre- mer dans nos institutions».

Par-delà cette phraséologie soft qui vise à ménager les susceptibilités, le rapport de la délégation confirme en fait l’impasse du cadre institu- tionnel actuel et fait la promotion de l’Autonomie.

SOIXANTE DEUX ANS DE PERDUS

A la vérité, cette formulation du rapport renvoie à la question ouverte depuis le 30 mars 1958 par le Congrès constitutif du Parti Communiste Guadeloupéen : «La gestion démocratique des affaires guadeloupéennes par les Guadelou- péens eux-mêmes, sur la base de rap- ports nouveaux avec la France».

Sur ce fondement, le Congrès réclame un statut politique d’Autonomie qui donne à la Guadeloupe : 1) Une Assemblée locale élue dispo- sant d’un certain pouvoir législatif. 2) Un Exécutif guadeloupéen res- ponsable devant cette Assemblée.

L’Assemblée locale doit disposer du pouvoir : - de réglementer l’application dans le territoire des lois votées par le Parlement français. - de voter des lois spéciales applica- bles au seul territoire. Dans l’optiti- quede ce changement de statut, le Congrès estime que c’est à juste titre que l’union avec la France est maintenue. Depuis 62 ans, la revendication de l’Autonomie est le marqueur de la vie politique en Guadeloupe.

Du Front Antillo-guyanais en 1962, aux différentes organisations et per- sonnalités qui, aujourd’hui, ont rejoint la lutte pour le changement de statut, en passant par le front pour l’Autonomie en 1964, la Convention de Morne Rouge, pour l’Autonomie en 1971, les Etats Généraux du peuple guadeloupéen, le Comité guadeloupéen, les FPAC, la lutte pour le changement de sta- tut n’a jamais connu de trêve. En ce début du 21 ème siècle, la revendica- tion de l’Autonomie est toujours une idée neuve et moderne, la voie la plus conforme aux caractéris- tiques de la lutte de libération natio- nale du peuple guadeloupéen.

L’ETAT FRANÇAIS A LA MANOUVRE POUR DEVOYER LA LUTTE POUR L’AUTONOMIE

La revendication de l’Autonomie a été diabolisée, criminalisée, dénatu- rée par les adversaires de classe : l’impérialisme français et la bour- geoisie créole, les dignitaires de l’Eglise catholique, la petite bour- geoisie intellectuelle. Parce qu’ils avaient bien compris que le pro- gramme porté par le Parti Communiste Guadeloupéen mena- çait leurs intérêts de classe.

L’Etat français a livré, avec la compli- cité de tous ces adversaires, une guerre impitoyable au Parti Communiste Guadeloupéen. 1) Il a utilisé la violence judi- ciaire en traînant devant ses tri- bunaux plusieurs de ses diri- geants pour atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat. 2) Il a organisé la fraude électorale pour exclure les Communistes qui avaient le soutien du peuple des Assemblées élues du pays. 3) Il a promulgué l’Ordonnance scé- lérate d’octobre 1960 qui a donné au préfet le pouvoir de muter d’of- fice en France, des fonctionnaires, parce qu’ils étaient Communistes et autonomistes. 4) Il a privé le Parti Communiste Guadeloupéen de sa base de classe en fermant les usines à sucre et en restructurant les docks. 5) Ebranlé par l’écrasante victoire des candidats communistes au 1er tour des élections législatives de 1967. Il a fomenté le massacre de Pointe à Pitre qui a fait des dizaines de victimes, pour instrumentaliser les «indépendantistes» et les retourner contre le Parti Com- muniste Guadeloupéen.

II faut reconnaître que cette offen- sive de l’Etat et de ses alliés a freiné l’essor de la lutte pour l’Autonomie et a sapé toutes les tentatives de créer la force indispensable pour l’émergence d’un pouvoir guade- loupéen : le Front Guadeloupéen Anticolonialiste préconisé par notre Parti bien avant 1958.

Mais, l’Etat français ne pouvait pas gagner. Il s’est trouvé confronté à cette vérité politique énoncée par Rosan Girard des 1960 : «La Guadeloupe ne pourra jamais se développer, créer des richesses à la base du progrès social, dans une application bornée des lois, des règle- ments et des orientations politiques pensées pour la France et l’Union européenne».

Nous en sommes là, 60 ans après. Tous les aménagements, toutes les mesures économiques et sociales gouvernementales et européennes n’ont pu enrayer le déclin du sys- tème assimilationniste.

L E MEA CULPA DU PRESIDENT JACQUES CHIRAC

L a confirmation de l’impasse du sta- tut de Département-Région qui administre la Guadeloupe est expo- sée sans ambiguïté dans le discours du Président de la République J acques Chirac à Madiana en Martinique le 11 mars 2000.

En effet, il a déclaré parlant des «Outre-mer» : «Dans le monde nou- veau dans lequel nous entrons, le suc- cès appartiendra à ceux qui feront preuve de la plus forte réactivité, de la meilleure capacité d’adaptation aux changements. Il faut pour cela de très larges délégations de compé- tences aux autorités décentralisées, ce qui correspond de surcroit aux exi- gences de l’efficacité et aux exigences de démocratie. Parce que vos dépar- tements sont géographiquement très éloignés des centres de décisions nationaux, parce que les problèmes que vous rencontrez sont très spéci- fiques par rapport à ceux du reste du pays (la France), parce que vous évo- luez dans un environnement inter- national particulier, tout cela justifie une politique très ambitieuse de transfert de responsabilités».

Dans un langage très diplomatique qui est celui d’un chef d’Etat, de sur- croît en pays colonisé, le Président Jacques Chirac, validait aux yeux du monde le bienfondé de la revendi- cation de l’Autonomie.

LA DELEGATION SENATORIALE OUVRE DES PISTES POUR SOR- TIR NOS ELUS SOUS LA TABLE

Vingt ans après le discours de Madiana, la délégation sénatoriale aux Outre-Mmer s’inscrit dans le cadre fixé par le Président Jacques Chirac à Madiana. Elle tente subtile- ment de sortir des pièges du Congrès créé par la Loom et sur le mode de la consultation.

Elle rencontre notre position exprimée depuis tantôt de ne pas interroger les électeurs sur le prin- cipe général d’un article, mais sur une loi organique. La délégation confirme également que de nou- velles compétences seront néces- saires dans chaque territoire, selon un statut «à la carte» défini par les compétences transférées.

L’issue de cette nouvelle bataille dépend, avant tout, de la mobi- lisation du peuple guadeloupéen pour exiger l’ouverture d’un débat public sur un projet gua- deloupéen de gouvernance, de développement et d’émancipa-