Le nouveau président du Siaeag Ferdy Louisy : «Le modèle économique du Siaeag est devenu obsolète, inadapté aux besoins du territoire»

Ferdy Louisy, maire de la com- mune de Goyave ; Président du Parc national de la Guadeloupe ; Ancien vice-président de l’Agence française de la biodi- versité, répond sans tabous aux questions de nouvelles Etincelles

Vous avez été élu à l’unanimité président du Siaeag, qui traverse une zone de turbulence. Comment appréciez-vous cette marque de confiance de vos collègues et quelles sont les motivations qui vous ont poussé à accepter cette mission, on peut le dire, périlleuse ?

Ferdy Louisy :Je suis bien sûr très honoré du vote à l’unanimité de mes collègues élus du Conseil syndical du Siaeag. Je le prends évidem- ment comme un vote de confiance, mais aussi comme une volonté clairement affi- chée des élus, et à travers eux les trois Communautés d’aggloméra- tion présidées par Jean Bardail, Guy Losbar et Cédric Cornet, d’oeuvrer ensemble pour pallier les difficultés que les Guade-loupéens subissent en matière de distribution d’eau potable. C’est véritablement une équipe de vingt-deux femmes et hommes qui entendent travailler avec le personnel et tous les parte- naires pour sortir une bonne fois pour toute de ce marasme. Cette mission sera certes difficile mais pas impossible, à notre sens

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Des informations les plus contra- dictoires continuent à circuler sur les dysfonctionnements passés et présents de ce syndicat. Vous est-il possible de dire franchement aux Guadeloupéens, quel est l’état réel de la situation ?

Oui je le dis en toute transpa- rence à mes compatriotes gua- deloupéens que si nous en sommes là aujourd’hui, c’est qu’il y a eu de graves dysfonc- tionnements et il y en a encore. Nous tâcherons de les gommer.

Mais au-delà, les problèmes du Siaeag ne sont pas seulement d’ordre financier ou encore technique. C’est un modèle éco- nomique qu’on n’a pas su faire évoluer ou s’adapter, et qui au fil du temps est devenu désuet, obsolète voire inadapté aux besoins du territoire et aux dif- férentes législatures. La multi- plicité des opérateurs et l’orga- nisation originelle des réseaux de distribution ont contribué aussi à l’obsolescence du modè- le économique du Siaeag.

La situation, telle que je l’ai constatée à ma prise de fonction en qualité de président, révèle bien des contradictions :

1) Sur le plan financier les dettes à court terme sont de l’ordre de 38,8 millions d’euros, tandis que les créances se chif- frent 66 millions d’euros. Le budget consolidé du syndicat est en équilibre pour 2020 2) Sur le plan technique, la réquisi- tion opérée par le préfet représen- tant de l’Etat français en G uadeloupe pour la réparation des fuites et le remplacement de quelques équipements, dans le c adre du plan urgence eau, fait appel principalement aux agents du Siaeag avec une coordination d e l’entreprise KarukérÔ filiale du groupe Suez. Le bilan que j’établis aujourd’hui est le recours à près de 33 agents du Siaeag et de Renoc dont les compétences sont largement reconnues par les diri- geants de la filiale locale de Suez. Si l’Etat a engagé 5 millions d’eu- ros pour l’exécution de ce plan d’urgence, le Siaeag a apporté une contribution financière de 15 millions d’euros. Ce qui repré- sente un coût total engagé de 20 millions d’euros.

3) Sur le plan juridique, la dissolu- tion du Siaeag souhaitée par l’Etat français entrainera de facto le transfert des personnels vers les trois Communautés d’aggloméra- tion membres que sont la Cangt, la Canbt et la Carl, qui aux dires de leurs Présidents en exercice ne sont pas prêtes du tout à recevoir subitement un afflux de person- nels, ce qui inéluctablement posera des problèmes financiers et sociaux à ces Epci.

Des documents rendus publics ontrévélé que l’une des causes des dif- ficultés du Siaeag, proviendrait des montants, inimaginables, des fac- tures de consommation d’eau impayées par les collectivités locales, l’Etat, certaines grandes entreprises. Que pensez-vous d’un tel comportement et quelles mesures comptez-vous prendre pour recouvrer ces créances ?

Sur ce point vous avez tout à fait rai- son de mentionner que l’une des difficultés du Siaeag proviendrait des créances exorbitantes qui sont la conséquence de factures de ventes d’eau impayées depuis plu- sieurs années, avec une accentua- tion sur les années 2019 et 2020. Sur les 66 millions d’euros de créances constatées au 16 septem- bre 2020 (chiffres du Trésor public) plus de 41 millions sont du fait de personnes morales de droit public (41 580 128 euros pour être pré- cis), ce qui représente 62,30% du total des créances dues au Siaeag.

Cela, vous en conviendrez, est tout à fait inadmissible et les élus du Conseil syndical m’ont mandaté pour recouvrer toutes ces sommes. Dans un premier temps je propose- rai un paiement à l’amiable, dans un deuxième temps je solliciterai l’aide de l’Etat dans le cadre des préroga- tives du préfet pour les mandate- m ents d’office et dans un troisième temps j’aurai recours à la justice si le conflit persiste pour un recours au p aiement forcé. Quoiqu’il en soit, je pars du principe que 1 euro est 1 euro et que chaque euro dû au S iaeag devra lui être remis.

de toute évidence la solution à cette sortie de crise passe nécessai- rement par un consensus entre les Communautés d’agglomération et de communes qui, de par la loi NOTRe, ont les compétences pour assu- rer la gouvernance de l’eau sur les territoires de la République.

Monsieur le président, un débatpas toujours transparent semble opposer les acteurs publics sur la dissolution-liquidation du Siaeag. Quel est votre position sur cette question et quelle est votre straté- gie s’agissant de l’avenir du Siaeag ?

Comme je vous l’ai indiqué précé- demment, le modèle économique du Siaeag est dépassé et la ques- tion de sa dissolution ne se pose plus à mon sens. Ce qu’il faut pen- dant cette période de transition, c’est d’abord de procéder à son redressement financier pour désin- téresser particulièrement les four- nisseurs qui sont en souffrance du non-paiement de leurs dettes depuis trop longtemps, ensuite remettre en ordre de marche son administration afin de préparer sur un plan social, le transfert des per- sonnels vers d’autre(s) structure(s) avec une sécurité juri- dique maximale.

Par-delà le Siaeag, c’est la questiond’un service public de l’eau et de l’assainissement qui est posée en Guadeloupe depuis une trentaine d’année. Comment voyez-vous l’or- ganisation de ce service public ?

Pour répondre à votre question et à celle que beaucoup de Guadelou-péens se posent, je reprendrai les travaux qui sont déjà engagés pour la création d’une structure unique de l’eau, avec un prix unique de l’eau, s’appuyant sur un modèle éco- nomique mieux en phase avec les spécificités de notre terri- toire, laissant une large place à des partenariats avec des struc- t ures privées qui ont pour beau- coup la technologie qu’il faut. Mais de toute évidence la solu- t ion à cette sortie de crise passe nécessairement par un consen- sus entre les Communautés d’agglomération et de com- munes qui, de par la loi NOTRe, o nt les compétences pour assu- rer la gouvernance de l’eau sur les territoires de la République.

L’eau étant un patrimoine com- mun, ne pensez-vous pas que la politique de préservation, de pro- duction et de la distribution de cet élément vital pour la vie devrait faire l’objet d’un référendum pour un choix vraiment citoyen ?

Pourquoi pas un référendum, quand on connait le poids que cela représente en terme de démocratie participative, mais il ne pourrait pas porter sur les trois éléments que vous citez, puisque en matière de :

1) Préservation, l’Etat veille, notam- ment avec le Parc national de la Guadeloupe qui conduit des mis- sions de préservation de la res- source en eau, particulièrement sur la partie montagneuse de l’Île. Pour ce qui est des eaux souterraines, la mission est dévolue à l’Office fran- çais de la biodiversité, et j’attends par ailleurs beaucoup de la création de l’Agence régionale de la biodiver- sité pour une déclinaison locale de la gouvernance de ces missions. Soit dit en passant, l’Office de l’eau de Guadeloupe est une structure qui nous fournit déjà bon nombre d’éléments de connaissance sur la préservation de nos ressources en eau. Et pour conclure, je m’attache- rai à vous dire que l’on ne peut de ce fait dissocier l’eau de la biodiversité.

2) Production, le Siaeag veille déjà avec ses unités de production telle par exemple Belle-Eau- Cadeau, ainsi que d’autres collec- tivités publiques (communes, département) par le biais d’opé- rateurs privés pour certaines.

3) Il resterait la distribution. Mais il m’est avis que c’est ce secteur qui est le plus sujet à des compétences technolo- giques et qui pourrait être attri- bué tant à la fois à des entre- prises privées qu’à des régies publiques, qui pour la plupart exercent déjà en Guadeloupe.

En définitive nous sommes face un modèle de gouvernance parta- gée de l’eau en Guadeloupe, le référendum serait à mon avis superfétatoire.