La malédiction de l’eau ?

«Eau tu n’as ni goût, ni couleur, ni arôme, on ne peut pas te définir. On te goûte sans te connaître. Tu n’es pas nécessaire à la vie : Tu es la vie». (Antoine de Saint-Exupéry : Vent, sable, étoiles. La soif)Les dégâts causés par la brusque montée des eaux, suite aux pluies diluviennes qui ont noyé la Guadeloupe dans la nuit de lundi à mardi obligent tous ceux qui vivent sur cette terre à avoir une vision plus globale des problématiques de l’eau. Pourtant, il n’y a là rien de nouveau en la matière. Ces phéno- mènes se répètent depuis des années dans les secteurs géogra- phiques où le niveau de catastrophe a été atteint. On n’a pas eu à déplorer des morts ou disparitions d’hommes. Mais ce n’était pas le cas, il y a quelques années.

Comment expliquer cet émoi et ce ras-le-bol qui s’expriment au lende- main de ce phénomène ? Il faut voir là, la conjonction de plusieurs souf- frances en rapport avec l’eau. Depuis des décennies les Guadeloupéens vivent un véritable calvaire de robinets qui coulent à sec, des douches et des toilettes impraticables parce que l’eau n’arrive pas dans les foyers. Ils inventent au quotidien des systèmes «D» pour vivre tant bien que mal dans un environnement sanitaire dégradé par les remontées des eaux usées déversées dans la mer et la nature.

Aujourd’hui, pour une énième fois, ils voient cette eau qui leur manque tant pour vivre sainement, traverser leur maison, saccageant leur espace de vie, emportant véhicules et personnes, laissant des bâti- ments en sursis d’effondrement. Surtout, c’est une prise de conscience aigüe de l’autre facette de ce précieux liquide : l’eau c’est aussi la mort. L’eau qui est polluée par des microbes, empoisonnée par des pesti- cides, contaminée par les rejets industriels, est transformée en danger mortel pour l’homme.

En lien avec les manifestations des systèmes climatiques et géophy- siques : pluie, vent, séisme, sécheresse, l’eau peut devenir un élément dévastateur pour la nature et les hommes. C’est au coeur de cette réa- lité de l’eau que nous plongent les récents événements. Peut-on penser qu’il y a une malédiction de l’eau en Guadeloupe ? Ce serait un faux pas. Aucun sort n’a été jeté sur l’eau.

Depuis l’origine de l’humanité, l’intelligence de l’homme a permis des avancées scientifiques et technologiques extraordinaires qui permet- tent de maîtriser depuis longtemps les éléments de la nature et en l’oc- currence la matière eau. Donc, il existe des connaissances et des pro- cédés techniques pour gérer l’eau dans les meilleures conditions de sécurité, pour l’alimentation, le développement économique, notam- ment de l’agriculture et ainsi garantir la santé et la vie humaine, comme il existe des technologies performantes en matière d’infrastructures pour gérer les réserves en eau et empêcher les catastrophes qui concernent : les cours d’eau, les eaux de sources, les nappes phréa- tiques, la mer, les eaux de pluie.

Bien sûr, une telle approche de la politique globale de l’eau a un coût. Mais c’est d’abord une question de société qui repose sur un choix moral et courageux : l’homme ou l’argent ? L’eau étant un bien commun, indispensable à la vie donc au développement de la société, ceux qui sont investis de l’autorité publique, ont le devoir de donner la priorité à la vie. Ils doivent mettre en place, sans se livrer à des comptes d’apothicaires, les moyens financiers et tech- niques pour une politique de l’eau garantissant les droits des Guadeloupéens. La vie n’a pas de prix.

Si une malédiction devrait frapper, ce ne serait certainement pas sur l’eau, mais peut-être sur ceux qui auront failli à leur res- ponsabilité de préserver les vies.