Nèg mawon pa ni mèt ?

A l’entrée du Boulevard Ibéné, à Sainte-Anne, se dresse, au niveau du giratoire, un monu- ment représentant le «Nèg mawon», figure d’une haute symbolique des luttes menées par nos ancêtres mis en escla- vage, pour leur liberté. Au mois d’août dernier, nos compatriotes ont été particu- lièrement bouleversés par la cruauté de l’acte barbare de profanation consistant à pein- dre en blanc la statue. Trois mois après et malgré les engagements à grands ren- forts de communication indi- gnée du maire, rien n’a été visiblement entrepris pour une réhabilitation du nèg mawon. Alors, la nature ayant horreur du vide, d’autres se sont sentis autorisés à porter leur coup de pinceau… Est-ce une simple question de teinture ?

D epuis quelque temps, nous assistons de par le monde, comme à un réveil des consciences «antòtiyé»s’atta- quant aux signes et symboles d’une mé-moire conflictuelle, de récits tronqués et incarcérés dans des liens obscurs tissés par les besoins permanents de trans- gression de l’éthi-que et de la déontologie historique.

De nos jours, la mémoire opaque de l’esclavage, les manifestations d’une colonisation omniprésente perpétuent des discriminations insupportables et appellent à la résistance naturelle à cette oppression caractérisée.

Ainsi, les actions de déboulon- nage diversement traitées et analysées participent en tout cas de cette mouvance revendi- cative en quête de vérités histo- riques, à la recherche d’identités bafouées et de valorisation de patrimoines enfouis. La question serait de savoir com- ment co-construire une mé- moire «nationale» mettant le nous tous en valeur.

Alors, qui mieux que les Guade- loupéens seraient capables de libérer l’histoire pour recons- truire notre mémoire collective débarrassée des embruns para- lysants du sombre passé qui nous habite ?

Une autre question pourrait être de travailler à la réconciliation autour de symboles communs portés par le respect du droit le plus élémen- taire des peuples à l’autodétermina- tion et à la responsabilité.

Ceci dit, dans quel «larèl»situer le ou les «maji»qui ont peint en blanc le nèg mawon de Sainte-Anne ? Est- ce pour mieux éclairer la conscience des uns ou opacifier la vision des autres ? Adeptes perturbés d’un mouvement d’iconoclasme ?

Dans tous les cas, cet acte de barba- rie souille la mémoire de nos ancê- tres qui, au prix de leur sueur, de leurs larmes, de leur sang, de leur être, de leur vie…, ont contribué très largement à bâtir ce pays de Guadeloupe et à enrichir ceux qui, aujourd’hui, participent de la volonté de perpétuer dans sa forme la plus moderne, l’insupportable.

Et le nèg mawon fut profané et n’a pu malheureusement, même pas compter sur la reconnaissance de jure pourtant promise des autorités municipales, pour espé- rer une réhabilitation…

Alors, plus de trois mois après et croyant certainement que ce héros déchu n’avait point de «mèt», des rebelles courageux car agissant sans crainte, ont décidé de lui imposer leur «look a moun isi». Bon.

Mais le nèg mawon qui est beau- coup plus qu’un nègre marron, blanc ou un peu bronzé, saura, grâce à son «lèspri»aussi puissant que sa soif de liberté, poursuivre ses bourreaux, tous ses bourreaux.Si nou pè, dépè ! Août 2020