Jacques Roumain (1907-1944) Un intellectuel communiste

Ecrivain haïtien de grand renom, Jacques Roumain a aussi été un intellectuel marxiste ayant donné à son engagement communiste un profond ancrage dans la société et l’histoire haïtienne.

UN DES CRÉATEURSDU PREMIER PARTI COMMUNISTE HAÏTIEN (PCH)

Lorsqu’il décède, à seulement 37 ans, Jacques Roumain vient de publier, par feuilleton dans le journal L’Humanité, son texte le plus célè- bre, «Gouverneur de la rosée». Celui-ci paraîtra intégralement après sa mort, et deviendra un roman mondialement connu, tra- duit dans une vingtaine de langues. Aujourd’hui encore, de nombreux collégiens connaissent cette oeuvre, mais combien savent qu’il fut, en 1934, un des créateurs du premier Parti communiste haïtien. Le PCH sera rapidement interdit, en 1936, par le Président Stenio Vincent, contraignant Jacques Roumain à l’exil. Cette courte vie du PCH, ne sera que la première étape d’une demi-douzaine de partis se récla- mant du communisme en Haïti qui se sont succédé jusqu’à aujourd’hui, y compris clandestinement sous Duvalier.LA CRÉATION DU PCH :L’AFFAIRE DE TOUTE UNE GÉNÉRATION

La création du Parti communiste haïtien, en 1934, est une des der- nières du continent latino-améri- cain après celles déjà anciennes du Parti communiste mexicain en 1919, ou du Parti communiste cubain en 1920. Mais cette création ne surgit pas de nulle part, car plu- sieurs intellectuels haïtiens avaient déjà défriché le terrain, avec, au pre- mier rang, Louis-Joseph Janvier (1855-1911) qui, dès la sortie de l’ouvrage en français (en 1872), a utilisé certaines des idées avancées dans «Le Capital» pour analyser la sociologie du monde du travail en Haïti, et cela du vivant même de Marx. De fait, dans les années 1930, la création du PCH ne sera pas l’af- faire d’un homme seul mais de toute une génération, avec d’autres intellectuels comme Christian Beaulieu et Etienne Charlier, ce der- nier rédigeant la partie économique du manifeste de création du PCH, intitulé «Analyse schématique 1932-1934».

UNE DÉMARCHE MÉTHODIQUEORIGINALE

La période historique dans laquelle ce texte est écrit n’est pas anodine. C’est celle de l’occupation de Haïti par les Américains, entre 1915 et 1934. De façon logique, «l’Analyse schématique 1932-1934», observe une démarche méthodique et origi- nale en commençant par la dénon- ciation du nationalisme de la bour- geoisie haïtienne cherchant à enrô- ler l’ensemble de la société, sous prétexte de lutte contre l’occupa- tion américaine, dans une collabo- ration de classe qui ne dit pas son nom. Il se poursuit par un décryp- tage, point par point, d’un pro- gramme réformiste proposé à cette époque par un groupe appelé «Réaction démocratique», qui s’avère un marché de dupes pour l’ensemble de la classe paysanne haïtienne. Il se termine par l’examen des questions raciales pour mettre en évidence leur rôle dans l’occulta- tion des questions de classe, en rap- pelant que «le politicien noir exploi- teur exploitera sa peau. De même le politicien mulâtre exploiteur». En même temps, il met l’accent sur l’histoire particulière de Haïti : «Il est certain que notre milieu est affligé d’un redoutable complexe d’infério- rité raciale à base coloniale».UNE LEÇON DE LIBERTÉ DE PENSER

Dans les faits, l’introduction du marxisme dans le contexte haïtien, par Jacques Roumain et ses cama- rades, est une leçon de liberté de penser pour ceux qui viendront après. Comment utiliser les outils du marxisme sans copier les modèles européens et européocen- tristes ? Comment aller vers la libé- ration effective du peuple dans un pays qui, bien avant le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels (1848) a montré, en 1804, par sa révolution concrète, le sens qu’il donnait au mot liberté ? De ce point de vue, Jacques Roumain est sans doute aussi un auteur politique à réétudier. Ne soyons pas naïfs, ce n’est pas demain qu’on l’enseignera sur ce plan aux jeunes collégiens. Mais on peut toujours rêver !