Haïti pa ka respiré ! (Fin)

UN CONFINEMENT IMPOSSIBLE

Il est trop tôt pour avoir une idée de l’ampleur que prendra au final la pandémie en Haïti. Mais les craintes sont justifiées : la promiscuité dans les logements, le faible accès à l’eau, la prédominance du secteur infor- mel, la violence faite aux femmes, etc. rendent largement contre-pro- ductifs, voire impossible, le confine- ment. Les institutions sanitaires feront au mieux au vu de leurs moyens… dérisoires. Plus grave peut-être, le manque total de légiti- mité du gouvernement nourrit le déni de la pandémie dans la popula- tion. Comme l’affirmait l’écrivain Lyonnel Trouillot dans une récente tribune : «l’épidémie nous tombe dessus dans ce contexte où le peuple n’accorde aucune confiance au moindre énoncé du pouvoir poli- tique. On ne peut pas sanctionner la population pour motif de surdité. Jovenel Moïse/PHTK [le parti du président et de son prédécesseur] ont tout fait pour l’amener à ce degré zéro de confiance».

Au vu des déclarations contradic- toires, du manque de transparence, des promesses non tenues, il s’avère difficile de démêler les effets d’an- nonce des mesures concrètes contre le covid-19. À cela, s’ajoute la défiance : les mêmes institutions, épinglées dans les rapports de la Cour des comptes sur la corrup- tion, sont en charge de gérer les fonds d’urgence. Sans aucun contrôle. La mise en place, sous prétexte de lutter contre le coro- navirus, de me-sures autoritaires, et la bataille quant à l’échéance -2021 ou 2022-des prochaines élections, tendent à démontrer que le gouver- nement agit face à la pandémie comme il l’a toujours fait : en fonc- tion de ses intérêts.«AYITI PA KA RESPIRÉ»

Mais quel que soit le bilan de la pan- démie, son impact sera particulière- ment lourd pour Haïti. Le pays paiera non seulement les consé- quences de décennies de politiques néolibérales, mais aussi sa dépen- dance envers les États-Unis, frappés de plein fouet par le covid-19. Dépendance directe : un tiers des importations et 83 % des exporta- tions haïtiennes proviennent ou sont à destination de ce pays. Dépendance indirecte également : la principale source de revenus d’Haïti réside dans les transferts d’argent des Haïtiennes et Haï- tiens à l’étranger, dont la majorité aux États-Unis ; ils comptent pour 30% du PIB. Et l’impact de la dimi- nution de ces transferts sera d’au- tant plus négatif qu’ils servent d’abord à combler les besoins de première nécessité.

Les derniers mots de Georges Floyd, tué par la police à Mineapolis,«I can’t breath»[je ne peux pas res- pirer], repris par le mouvement Black lives matter, sont devenus sur les réseaux sociaux haïtiens un cri d’alerte : «Ayiti pa ka respiré»[Haïti ne peut pas respirer]. Le pays étouffe sous le poids de son oligar- chie et des États-Unis. Et de l’impu- nité qu’ils couvrent : aucune procé- dure -encore moins de sanction-, sur les affaires de corruption et les massacres qui se multiplient depuis deux ans.«LA SOLUTION NE POURRAVENIR QUE DE LA LUTTE»

Sensibiliser et informer la popula- tion sur les risques du covid-19, dis- tribuer des masques et du savon, lutter contre ces autres pandémies que sont la corruption et les vio- lences de genre -notamment pour que soient investiguées les accusa- tions de viols qui touchent le pré- sident de la fédération haïtienne de football-, les organisations féministes, sociales, et des Petro- challengers sont sur tous les fronts. Elles et ils le savent d’expé- rience : la solution ne pourra venir que de leur auto-organisation, d’alliances avec la majorité de la population, de la construction d’un espace public. Et de la lutte. Retour à la case «changement».

Les Haïtiens et Haïtiennes sont fati- gués. Pas seulement de devoir affronter, avec la crise économique, l’insécurité et la corruption, le covid-19. Mais aussi le mariage de (dé)raison du statu quo et de l’in- ternational, et cette politique de la fatalité qui égrène son chapelet de désastres. Plus que de la pandémie, il s’agit de se défaire du regard colo- nial, des inégalités et de la dépen- dance, qui font de chaque aléa cli- matique, de chaque maladie, de chaque fluctuation des cours de marché, une catastrophe en Haïti. Et de reprendre son souffle.