TRIBUNE LIBRE : Décryptage autour de nos institutions
L’analyse des faits politiques, économiques et sociaux, nous impose l’obligation de focaliser notre réflexion autour des mécanismes institutionnels, en particulier les articles 73 et 74 de la Constitution qui n’en finissent pas de rythmer notre vie quotidienne, quoi que nous fassions.
I" est incontestable qu’un regard porté sur les articles en ques- tion, indiffère certains de nos compatriotes, continue de demeu- rer un sujet de conversation tabou, tant pour la classe politique elle- même, que pour une fraction de l’opinion victime de manipulation et de désinformation.
Depuis le 31 décembre 1982, date à laquelle a été adoptée la loi de décentralisation sous le Gouver- nement Mitterrand, instituant le transfert des compétences de l’Etat vers les collectivités, les institutions locales ont connu des mutations s’inscrivant, ni plus ni moins, dans le cadre d’un redéploiement de l’ex- ploitation coloniale.
Il s’est avéré en effet, que cette transformation juridico-adminis- trative, sous prétexte de rappro- cher le pouvoir central du local, en réalité continue de nous enfer- mer dans un flou juridique, de nous enserrer dans un réseau inextricable de difficultés.
Essayons schématiquement d’y apporter un éclairage. L’article 73 dispose que dans les départe- ments et régions d’Outre-Mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptation tenant aux caractéristiques et contrain-tes particulières de ces collectivités. Cette innovation mise en oeuvre sous le couvert du bénéfice d’un pouvoir règlementaire local, avait suscité dans nos pays quelque espoir. Il n’en a rien été. Cela signi- fie qu’elle s’est révélée tout sim- plement une perpétuation du sys- tème assimilationniste, en ce qu’elle symbolise l’identité législa- tive : c’est-à-dire que les lois votées par le Parlement sont applicables chez nous automati- quement.
Notons que, malgré l’évolution institutionnelle qui entérine la suppression des Conseils régional et départemental, la CTM de Martinique et la CTG de Guyane n’en continuent pas moins d’être soumises, tout comme nous, au contrôle de l’égalité du préfet.
L’article 74 au contraire stipule que les collectivités nouvelles issues de la loi du 27 juillet 2011, expression de la spécialité législative, par le moyen que leur confère cette loi, peuvent par hypothèse décider en partie de la gestion de leurs affaires.
Il en est ainsi pour la COM de Saint- Martin et le PTOM de Saint- Barthélemy fonctionnant en collec- tivité unique. Mais en réalité, en dépit d’une modification de la ter- minologie juridique, elles ne dispo- sent que d’un pouvoir de décision restreint ; puisque le préfet exerce un contrôle a posteriori sur les actes accomplis par ces dites collectivités. Le PTOM de Saint-Barthélemy échappe toutefois à la subordination au droit communautaire européen. Dans tous les cas de figure, l’autorité de tutelle demeure en toutes cir- constances le «mèt a mannyòk», autrement dit, celui qui décide.
R appelons que, pour les îles du Nord précisément, ce change- ment n’a pas le même impact sur l a vie économique et sociale. La COM de Saint-Martin arrive péni- blement à faire surface ; puisque n’étant pas accompagnée du sup- port financier qu’implique cette i nnovation, et le PTOM de Saint- Barth, grâce à un tourisme s’ap- puyant sur une clientèle sélective, parvient tout de même à tirer son épingle du jeu.
Pour nous en Guadeloupe qui som- mes restés, après 2003, attachés au droit commun, la coexistence de deux Assemblées sur un même ter- ritoire n’est pas sans créer une source de complications administra- tives, et fait obstacle à une rationali- sation de l’action publique, d’autant que se manifeste aujourd’hui un ren- forcement des pouvoirs de l’admi- nistration préfectorale sous la forme d’une recentralisation juridique- ment nommée, la déconcentration.
Ainsi, la volonté du préfet en place au mois de juin dernier d’imposer à certains maires l’obligation de réou- verture des écoles, en dépit de la précarité des conditions sanitaires dues au Covid-19, en est l’illustra- tion. Ce qui s’apparente à une néga- tion de la décentralisation.
La Constitution d’octobre 1958 a enfanté la départementalisation adaptée en 1960. S’en est suivie la décentralisation en 1982, puis la loi du 27 juillet 2011 précitée a institué le principe d’une Assem- blée unique. Qu’il s’agisse d’As- semblée unique ou de collectivité unique, rien ne change fonda- mentalement. Tous ces aména- gements juridiques successifs, tous ces ajustements structurels ne peuvent en rien garantir la sur- vie d’un régime, déconnecté qu’il est de la réalité guadeloupéenne.
Il apparait de plus en plus que les collectivités majeures ne sont que des instances d’enregistrement et d’exécution des directives gouver- nementales ; parce que contraintes d’appliquer la poli- tique de gens situés à 7 000 km de distance, ignorant nos réalités, et ceux qui sont au coeur de ces réa- lités se trouvent, de ce fait, privés de toute initiative locale.
En outre, l’article 349 du traité de l’Union européenne scelle notre intégration à l’Europe. Nous nous trouvons par conséquent pieds et poings liés, face à un système qui accentue journellement son emprise sur notre quotidien et bouscule nos habitudes de vie. Devant cet état de choses, nos élus sont-ils hors-jeu ou indésirables ? Il en sera toujours ainsi, tant que nous resterons accrochés au mode de gouvernance actuel qui génère illu- sions, déceptions, un régime en déliquescence, en inadéquation avec la marche de l’Histoire. Seul un statut d’autonomie poli- tique à l’image de la Nouvelle- Calédonie ou de la Polynésie peut nous valoir un transfert de compétences réel, abstraction faite bien entendu des fonctions régaliennes exercées par l’Etat.
Il s’agit précisément d’un chan- gement radical de politique qui ne peut se concevoir que dans un nouveau type de relations avec la France, relations se subs- tituant aux rapports de subordi- nation existants.
Dans cette optique, la classe poli- tique qui a une responsabilité his- torique dans cette situation de dépendance devrait se départir de la peur ou la lâcheté qui l’enva- hit, et s’orienter résolument dans la voie du courage politique pour gagner en crédibilité aux yeux de l’opinion publique, et ne pas mul- tiplier, à plaisir, les Congrès qui la décrédibilisent, et prolongent l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Mais la société civile également doit s’inscrire dans une dynamique de combativité, afin de faire naître conjointement un rapport de forces favorable à la décolonisation de notre pays. Notre salut est à ce prix.