LE PROBLÈME DE LA FILIÈRE CANNE À MARIE-GALANTE : Un coup politicien ?

De mémoire d’homme, l’usine de Grande-Anse de Marie-Galante n’a jamais connu une telle catas- trophe, même si on remonte le temps jusqu’aux années 1940, lorsque tout se faisait manuelle- ment, durant des décennies, si l’on excepte deux accidents dont un incendie et un accident mortel, lequel évidemment avait semé l’émoi et endeuillé la grande galette.

De nombreuses étapes se faisaient pourtant ma- nuellement, depuis l’ali- mentation des foyers au bois ou à la houille dit charbon de terre, jusqu’à la couture des sacs de jute par des«kouzè», avecces longues aiguilles et la ficelle de matelassier, en pas- sant par la «chuison»du sucre par des «chuizè»remuant ce sucre pour séchage, dans des chau- dières, à l’instar de la cuisson de la farine de manioc dans des pla- tines, et la mise en sacs de 100 kg par des «pézè» sur l’imposante balance à bascule ancienne.

A cette époque, on ne déplorait, de temps en temps, que des arrêts de 24 à 48h, pour cause de pannes mécaniques, plus particulièrement au niveau des moulins de broyage ou des chaînes d’alimentation. Chaque ouvrier, à son poste durant son «ka dinuit»ou «ka dijou», selon ses tranches horaires de travail, n’avait pas droit au «bobi»car, il fal- lait rester éveillé pour surveiller ce dont il avait la responsabilité. C’était malheureusement aussi l’époque des usiniers tout puissants. Et on a eu à déplorer un mort à son poste de travail, un vendredi Saint, mal- heur ressenti comme une malédic- tion divine, puisque le directeur, Monsieur Bon, descendant des pro- priétaires d’usines, avait imposé ce jour inhabituel de travail. Ainsi a-t- on compris qu’il ne fallait pas«jouer»avec les croyances reli- gieuses des peuples, évangélisés dans l’obéissance aux maîtres escla- vagistes, par les Prêtres coloniaux.

En 2021, la technologie a extrême- ment évolué pour améliorer, non seulement les conditions de travail des ouvriers mais aussi la rentabilité, en quantité et qualité du sucre pro- duit. Et on a du mal à comprendre, qu’avec des technologies aussi développées, il n’y ait pas eu des signaux d’alerte pour éviter la catas- trophe que l’on déplore ces jours-ci, qui aurait pu causer, semble-t-il, des victimes. Ce n’est fort heureuse- ment pas le cas.

Quel avenir désormais pour la filière canne à Marie-Galante et, à plus court terme, quelle décision pour la récolte 2021 et celle de 2022, compte tenu du refus de certains planteurs de Marie-Galante de ne pas transférer leurs productions à l’usine de Gardel, à Le Moule ? Comment peut-on comprendre qu’une telle décision de transfert ait été prise unilatéralement par le Président de la Sicamag, sans concertation des planteurs ? C’est la confusion totale.

Nouvelles-Etincelles a interrogé le président, Monsieur Ferdy Créantor qui a bien voulu répondre à nos questions.Est-il exact, comme on vous le reproche, que la décision de trans- fert des cannes ait été prise, sans aucune consultation des planteurs ?Ferdy Créantor :Cha- que année, nous avons trois réunions par sec- teurs ; Saint-Louis, Grand-Bourg, Capes- terre. Nous avons tenu une Assemblée générale annuelle des planteurs et le Conseil d’administration a remis à chaque planteur un compte-ren- du d’activités dans lequel il y avait : le rapport moral, le rapport d’acti- vités, le rapport financier et les dif- férents rapports du Commissaire aux comptes.

Cette Assemblée générale a voté des résolutions qui donnaient à la coopérative des mandats pour prendre des responsabilités et des engagements, dans l’intérêt des planteurs.

Nous étions dans une situation d’ur- gence en ce qui concerne ce pro- blème de l’usine et il y avait plusieurs étapes à observer, dont une réunion du Conseil d’administration. D’autre part, des décideurs politiques, profi- tant de leur tournée à Marie-Ga- lante, ont privilégié cette rencontre avec le Conseil d’administration et la Communauté des Communes de Marie-Galante (CCMG). Dans cette situation d’urgence, il fallait prendre une position très rapidement qui allait dans le sens de l’intérêt géné- ral. Dans cet intérêt général, nous avons priorisé le revenu du planteur puisqu’il n’y avait pas d’autres solu- tions. Autrement, d’ici 2022, les plantations seraient dans un état pitoyable puisqu’il faudra compter avec les lianes, les intempéries et la période cyclonique dans la-quelle nous allons entrer. Des 60 000 tonnes restant à broyer, on ne retrouverait qu’à peine 40 000 tonnes. En outre, les planteurs se trouveraient dans des graves dif- ficultés financières.Comment voyez-vous objective- ment l’avenir de la filière canne à Marie-Galante ?

Compte tenu de ce que je viens de vous dire, on aura une perte sèche si on reste dans l’état, même en sachant que les distilleries seront susceptibles de broyer l’an prochain environ 20 000 tonnes. Il faudra compter trois ans pour la replanta- tion. Donc, on s’achemine vers la disparition de la filière canne à Marie-Galante et un impact écono- mique négatif terrible.

Il faut savoir, qu’il y a deux ans de cela, si la coopérative n’avait pas accompagné les planteurs, car beaucoup n’étaient pas à jour de leur sécurité sociale, ils ne seraient plus là aujourd’hui.Qu’espérez-vous de la rencontre qu’il y a eu lieu avec le député Olivier Serva sur cet essai de broyage électrique des cannes ?

Aujourd’hui, je me rends compte q u’il s’agit de politique politicienne. Les gens viennent faire leur coup politique. Cela m’enrage de voir c ette situation : se servir de l’éco- nomie du pays pour faire son coup politique. Je dis que c’est de la mas- carade. Monsieur Olivier Serva a rencontré les ouvriers de l’usine, je p eux comprendre cela, je respecte cela. Mais aller donner à d’autres d es bâtons pour nous donner du bâton, alors que nous sommes une organisation structurée, bien orga- nisée, et qui fonctionne en toute transparence à l’égard de ses man- d ants, je ne peux l’accepter. Il fau- drait que les gens arrêtent leur coup politique dans une période a ussi critique pour la filière canne. Je constate que, quand d’autres sont dans la rue, les infirmiers, les é tudiants, les professeurs, les com- merçants, personne n’y entre pour faire son coup politique. Les agri- culteurs ne rentrent pas dans ces débats. Par contre, quand c’est le c as de la filière canne, c’est tout le monde qui s’en empare, que ce soit des professionnels ou autres. Mais, v enir parler à la place des profes- sionnels, je crois qu’à un moment, il faut arrêtercela.