L’unité suppose l’assentiment de tous et un compromis

L’ unité suppose l’assentiment de tous les intéressés sur la base d’une mutuelle compréhension, sur la base d’un effort unanime de bonne volonté, sur la base enfin d’un programme et d’une doctrine qui ne peuvent être que le résultat d’un compromis, un compromis utile, un compromis pour le service du peuple, un compromis marquant un important progrès.

Si l’on n’est pas conscient de cette vérité fondamentale, on ne pourra jamais arriver à un front national, vrai, uni et solide ; on ne pourra jamais réaliser la révolution.

Aujourd’hui, on doit se rendre compte qu’il ne peut exister en réalité que deux partis chez nous : Le parti des attardés, ceux qui se sont laissés engluer par la vieille société coloniale et qui servent de supports au sys- tème colonialiste, le parti de la tradition, de l’immobilité et, en face, le parti du mouvement, le parti d’avant-garde qui groupe tous ceux qui se sentent assez de patriotisme, assez de dynamisme, assez de volonté, assez de courage pour rompre le cycle infernal de trois siècles de malfaisance colo- nialiste et bâtir sur les ruines d’un passé maudit, une Guadeloupe nouvelle conforme à nos besoins et à nos aspirations.

A chacun de nous, à chaque Guadeloupéen de savoir choisir la place qui lui revient dans ce grand combat dont la dignité de l’homme guadeloupéen n’est pas le moindre des objectifs.

Voilà dans leurs grandes lignes quelles sont les conditions de succès de notre lutte. Elles impliquent l’adoption et la mise en pratique des cinq thèmes suivants :

- 1° Une ligne politique juste procédant d’une saine appréciation des don- nées objectives de la réalité guadeloupéenne et définissant en toute clarté, le caractère, le contenu essentiel de notre revendication et de notre agita- tion politique.

- 2° La création d’un bloc national, monolithe, rassemblant sur la base du programme commun toutes les forces vives du pays sans exclusive.

- 3° L’établissement d’un plan de lutte pour l’émancipation nationale, basée sur l’action politique généralisée des masses contre le colonialisme et ses suppôts autochtones.

- 4° L’union dans la lutte avec les peuples frères de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion.

- 5° La solidarité agissante des forces démocratiques et anticolonialistes dans le monde et au premier chef celle des mouvements anticolonialistes de France.

Notre cause sera gagnée dans la mesure où nous saurons tout mettre en oeuvre pour réaliser ces conditions. Elle le sera d’autant plus rapidement que «les autonomistes» passant outre les divergences hors de saison, fai- sant fi des susceptibilités absurdes, sauront se retrouver dans une mobili- sation enthousiaste et totale, sans discrimination ou mépris, dans une communion sincère et unanime contre lesquelles ne sauraient prévaloir ni les intérêts de caste ou de classe, ni le défaitisme ou la trahison politique, ni l’oppression colonialiste, ni l’esprit aventuriste.

La lutte sera gagnée d’autant plus rapidement que les Guadeloupéens sauront y mettre «le prix de l’abnégation qu’ont payé tous les peuples par- venus à leur libération». Elle le sera d’autant plus rapidement qu’ils auront compris le message de Delgrès et d’Ignace.

Extrait de la conférence faite par Germain Saint-Ruf (1927-1987), Docteur en Sciences des chimies, directeur de Recherche au CNRS, membre du Cercle marxiste Amédée Fengarol, à la demande des étudiants de l’AGEG.A Paris, le 8 juin 1963