Réflexions autour de l’occupation du Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre

Au début des années 1960, André Malraux, ministre du général de Gaulle, donnait de sa voix chevrotante le feu vert à la rénovation urbaine de Pointe-à- Pitre. La municipalité commu- niste de cette ville, conduite par feu Hector Dessout, savait qu’il ne suffisait pas de rempla- cer les cases insalubres par des habitations à loyers modérés (HLM), pour que le peuple devienne un jour autonome, comme le préconise le Parti Communiste Guadeloupéen (PCG) depuis 1958.

Qu’ importe ! L’essentiel était de sortir Pointe-à- Pitre de l’état d’incurie et d’obscurantisme dans lequel la main- tenait, au moins depuis 1945, les équipes municipales qui se sont succédé jusqu’en 1959, avec, alternativement, les étiquettes de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) de Paul Valentino, de l’Union pour la nouvelle Répu-blique (UNR), d’Adrien Bourgarel. FAIRE DE L’ÉLECTEURUN CITOYEN CONSCIENT ET LIBRE DE SES CHOIX

Le pain est la nourriture du corps, mais l’esprit doit être irrigué en permanence afin de faire de l’élec- teur un citoyen cons-cient et libre de ses choix.

A la victoire du Communiste Hector Dessout contre Paul Valentino, à la fin d’une deuxième mandature complète, de 1951 à 1959, l’une des priorités de la nouvelle municipalité communiste était la culture, sous tous ses aspects.

Il fallait donc des lieux où on pouvait se rencontrer, discuter, s’amuser, s’ins- truire. Bref ! Il fallait nettoyer, innover, créer, construire et développer. Alors, au fur et à mesure que s’érigeaient de nouveaux quartiers, des nouvelles habi- tations, des marchés, des bibliothèques, des écoles ouvraient leurs portes.

L’ancien hospice Saint-Jules devenait un lieu d’expositions et de conférences, et l’ancien presbytère sis à l’Assainis- sement devenait le Centre José Marti dirigé par le jeune Communiste Michel Bangou. Ce centre ne tardait pas à accueillir de nombreux étudiants, autant guadeloupéens qu’étrangers..

L’Etat qui, dans un premier temps, avait refusé le financement du «Hall des sports» avait dû capituler devant la détermination des Pointois à prendre en charge les travaux de construction, et ceci, à la demande de la municipalité. Un peu plus tard fut créé le Centre municipal des métiers d’Arts, à Bergevin et l’ouverture du centre de vacances de Caféière à Petit-Bourg fut une initiative heureuse pour permettre aux élèves des écoles primaires de bénéficier des «classes vertes» ou école en pleine nature. Et nous n’oublions pas non plus la première école de voile de Lauricisque, à Pointe-à-Pitre. Tout cela était-il suffisant ? Non ! LA VOLONTÉ DE SYMBOLISER LA POLITIQUE CULTURELLE

Il manquait dans la ville un «quelque chose» qui afficherait sa vision de la culture, un symbole de la politique culturelle.

Alors va naître le Centre des Arts et de la Culture. Un bâtiment «Centre» car, reliant la vieille ville coloniale à la nou- velle érigée sur les anciens quartiers insalubres des faubourgs. Oubliées des rues telles que «rue ti-caca» ou «rue Bouchony Lordonnet» ! Au pied du majestueux Centre des Arts et de la Culture, les chaînes brisées de l’esclave évoquant le sacrifice de Delgrès à Matouba, donnent le ton. Il est «Arts» parce que dans ses locaux, des milliers de Guadeloupéens seront initiés à la musique, à la peinture, à la danse, au théâtre, etc… Il est «Culture» car des groupes culturels trouveront des espaces pour s’exprimer. Nous pensons aux poètes, à la promotion de la biguine, du ka, aux concours de «miss» de différentes natures etc.UNE VÉRITABLE POLITIQUECULTURELLE, TANT À L’INTERNE QU’À L’EXTERNE

Au fil des années se construira, autour du Centre des Arts, une politique cultu- relle en direction des écoles et établis- sements scolaires de la Ville. Nous ne jetterons jamais le bébé avec l’eau du bain. Nous n’oublierons jamais «le petit train» puis les cars mis à la disposition des élèves pour visiter la ville ou le pays, l’envoi d’écrivains dans les écoles volon- taires pour des ateliers d’écriture, la bonne volonté des gérants du Centre des Arts pour trouver des espaces aux enseignants, en vue de leurs spectacles de fin d’année.

L’ouverture au monde extérieur se fera par le passage au Centre des Arts de troupes offrant de magnifiques specta- cles de la Chine, du Sénégal, de l’URSS etc. C’est d’ailleurs aussi là que sera créée la fédération des villes jumelées nous permettant d’exporter notre cul- ture.

Une pensée positive, pour M. Louis Garel, qui n’est plus et qui a dirigé ce centre pendant de nombreuses années, pour Michel Bangou, pour Mme Brigitte Touzeau et tous leurs col- laborateurs de l’époque.

Oui, le Centre des Arts a été créé dans une période où la guerre idéologique, sur le plan politique, faisait rage. Comme on doit le reconnaître aujourd’hui, ce n’était pas «on bitin an béton pou blan» comme le qualifiaient les nationalistes de cette époque. La jeunesse pointoise, qui était si heureuse d’avoir un tel outil, n’avait pas mérité les injures grossières que leur lançaient des provocateurs, assis sur les marches, à l’entrée même des spectacles. Fort heureusement, cela n’a pas duré long- temps, la résistance ayant fait son oeuvre et, le bon sens et la raison ayant vite repris le dessus.

«NOTRE TÂCHE, C"EST DE DÉCILLERCES YEUX AVEUGLES (DOMINIQUE DESANTI, JEAN TOUSSAINT DESANTI, ROGER-POL DROIT)

Aujourd’hui, de jeunes artistes se mobilisent pour exiger la remise aux normes et la réouverture de cet espace que nous jugeons mythique. Nous sommes heureux en pensant que, quelles que soient les dérives qui ont suivi et ont conduit à la perte de cet outil culturel que certains pen- saient même brader ou détruire, notre combat jadis, comme dans beaucoup d’autres domaines, était juste. Et alors, nous pouvons avoir la fierté de contribuer depuis 1944, à déciller ces yeux aveugles, à diffé- rentes époques de notre histoire.