La Guadeloupe ne reviendra pas à l’ère des gouverneurs !Qu’on se le dise !

Entre la décision d’une rectrice qui accepte, avec des réserves réglementaires, l’ouverture d’une école panafricaine de Guadeloupe et le refus d’un pré- fet, représentant de l’Etat, de ce dossier si bien charpenté, admi- nistrativement et pédagogique- ment, il y a de quoi être écoeuré jusqu’à l’envie de vomir.

I# y aurait en effet de quoi rester sans voix, à la lecture de ce refus du préfet et de la lettre ouverte en réponse de Mme Marie- Josée Tirolien Pharaon. Ce ne sera pas le cas, car, nous osons penser que l’ère des gouverneurs de l’époque esclavagiste et colonialiste est bel et bien révolu. Nous nous devons donc de faire entendre notre voix. Et de quoi s’agit-il ?L’INTÉRÊT DESGUADELOUPÉENS POUR LE PANAFRICANISME

La présidente de l’école du panafri- canisme qui doit ouvrir ses portes en septembre 2021 (et dont le pro- gramme pédagogique a été agréé par le rectorat), Mme Marie-Josée Tirolien Pharaon, s’est vue refuser le permis d’ouverture par la préfec-ture sous le prétexte suivant : «La dénomination de panafricaniste de l’école est la preuve d’une culture s éparatiste susceptible de générer un trouble réel à l’ordre public»(sic).

O n croit rêver ! Sommes-nous reve- nus aux années 1950 ? Eu égard aux documents qui nous ont étés com- m uniqués, pour information, par la présidente de l’école panafricaine de Guadeloupe, madame Marie-Josée Tirolien Pharaon, pour obtenir l’au- torisation administrative et pédago- gique d’ouverture d’une telle école, nous ne pouvons qu’approuver sa lettre ouverte de protestation, pour réfuter les accusations du préfet que nous condamnons, par ailleurs.

Car, personne ne peut ignorer le grand intérêt que portent les Gua- deloupéens à tout ce qui relève du panafricanisme, en général, et des activités de l’association «Racines» en particulier, association loi 1901 qui oeuvre depuis mai 2000 pour faire connaître l’histoire des Afri- cains et de leurs descendants. A moins évidemment d’être de mau- vaise foi ou dans l’ignorance, ce qu’il faudrait reconnaître alors en toute humilité.

Nous nous posons donc les ques- tions suivantes :

1) Le préfet connaît-il la significa- tion profonde du panafricanisme ?

2) Sait-il que le candidat à la prési- dentielle Emmanuel Macron répon- dait textuellement à la question commune posée par un journaliste sur le passé colonial de la France à tous les candidats : «… Je ne m’inscris pas dans la repentance, mais je ne souhaite pas non plus refouler ce passé, dont la connaissance doit nous aider à construire un avenir apaisé» (Le Monde Afrique 19 avril 2017.

3) Cherche-t-il à nier que son gou- vernement a déclaré, en gros, que «l’avenir de la France, c’est l’Afrique (et ses immenses richesses)» ?

4) Ignore-t-il que le droit de véto de la France à l’ONU est dû au fait qu’elle parle au nom des 15 pays de l’Afrique francophone ?

5) Faut-il lui rappeler que l’Afrique noire (1,2 milliards d’habitants) représentera, en 2050, selon les démographes, 40% de la popula- tion mondiale, face à la France (68 millions d’habitants aujourd’hui) ?

LE PANAFRICANISME, SYMBO- LISÉ PAR DES FIGURES PANAFRI- CAINES LES PLUS RESPECTÉES AU MONDENous n’avons nullement la préten- tion de donner des leçons au préfet qui est sans doute issu d’une « grande école» mais, nous ne pou- vons nous empêcher d’ajouter :

A près trois siècles d’esclavage, deux siècles de colonisation et un siècle de néo-colonisation, les peuples et p opulations noires dispersées sur tous les continents ont pris conscience qu’ils forment une communauté humaine qui a droit à la liberté et aux réparations dues aux crimes commis contre elle par le passé, et que leur Terre mère est l’Afrique, berceau de l’humanité.

Alors, depuis la fin du 19 è me siècle, a pris corps une pensée philoso- phique soutenue par une forte spiri- tualité : le panafricanisme, symbo- lisé aujourd’hui par des figures panafricaines les plus respectées au monde et dont l’arme fatale est la «non-violence». Jugez-en :

- Martin Luther King marchant avec son peuple au milieu des adeptes du Klu Klux Klan et des chiens chas- seurs de nègres.

- Ghandi, l’ascète qui, après son séjour en Afrique du Sud, conduira l’immense Inde à son indépendance.

- Nelson Mandela, fortifié par ses 27 ans de prison sans jamais renier ses convictions, esquisse ses petits pas de danse de récon- ciliation et d’amour quand, acclamé par son peuple, il est élu Président de son pays.

- Plus récemment, l’Ivoirien Laurent Gbagbo dont on se demandera toujours quelle force intérieure l’a soutenu pour qu’il ait réussi à sortir de la Cour pénale internationale (CPI), après 10 ans de prison.

Et que dire, monsieur le préfet, d’Aimé Césaire, qui a introduit la notion de négritude qu’il définit comme «la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre cul- ture»; et aussi de Léopold Sédar Sengor qui lui a emboité le pas par sa propre poésie «construite sur l"espoir de créer une civilisation de l"universel, fédérant les traditions par-delà leurs différences». Etaient-ils des séparatistes ?

Nous n’étudions pas les poètes et écrivains noirs dans nos écoles, alors que la France pour sa «Francophonie» vient d’accueillir à l’Académie française, Denis la Ferrière dont il faudrait écouter le discours d’intronisation. Oui, mon- sieur le préfet, c’est parce que l’ONU a reconnu que, «dans le monde, les p ersonnes d’ascendance africaine continuent à souffrir des inégalités et des préjudices hérités de l’escla- v age et du colonialisme», qu’en décembre 2014, lors de son Assemblée générale, elle a pro- c lamé, dans sa résolution 68/237, la «Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (2015-2024)». Cette proclamation vise à encourager les pays à cette éducation due aux peuples noirs et la France est un des pays signataires.EVITER UN MOTIF DE PLUSDE CRISPATION DES GUADELOUPÉENS

Pour terminer, nous rappelons que, lors de la 2 è me guerre mondiale, les jeunes français ont fait de la résis- tance pour libérer leur pays du joug nazi, une des plus grandes barba- ries du 20 è me siècle. Oui, le mouve- ment panafricaniste a aussi ses jeunes impétueux tels Kémi Séba que nous avons eu le plaisir de rece- voir en Guadeloupe ou Mwazulu.

Mais, monsieur le préfet, Kémi Séba est Français, il vit sur le sol français et, avec ses autres cama- rades, il manifeste dans les rues de la France pour défendre les injus- tices dont sont victimes les non- blancs, entassés dans des banlieues sans vie, sans travail, donc sans perspective d’avenir.

Pour le peuple guadeloupéen, l’ou- verture sur l’Afrique, but de l’école de Mme Marie-Josée Tirolien Pha- raon, serait d’un très grand intérêt, d’autant plus que les autorités aca- démiques conservent leurs droits de contrôle des programmes et de la pédagogie par le corps d’inspec- tion. Ce serait un plus qui projette- rait nos enfants à la découverte du monde et singulièrement le monde africain. Beaucoup d’associations, telle que Voukoum, et de personna- lités diverses, en voyage au Sénégal, peuvent témoigner de leurs rencon- tres, échanges économiques, cultu- rels, voire politiques.

Fort de cela, monsieur le préfet, et sous réserve seulement de vos observations sur la sécurité des locaux que nous pouvons compren- dre si elles sont avérées, ce qui peut être solutionné par la visite d’une commission de sécurité, nous insis- tons pour que vous revoyez vos conclusions, afin de permettre l’ou- verture de cette école. Nous avons le souci de ne pas voir s’installer dans notre pays un motif de plus de crispation de nos compatriotes.