Anténor Firmin (1850-1911) Un intellectuel haïtien

Les idéologues de la colonisa- tion, en particulier la colonisa- tion française, ont toujours essayé de faire croire à l’infério- rité culturelle des colonisés. Ils y ont partiellement réussi, et le mépris ou le déni des cultures antillaises continue de sévir en Europe, mais aussi aux Antilles. C’est contre cette domination coloniale des esprits que s’est dressé il y a plus d’un siècle le grand intellectuel haïtien Anténor Firmin.

UN HOMME DE CULTURE

Né au Cap haïtien en 1850, dans une famille modeste, Anténor Firmin y a fait ses études secon- daires pour devenir ensuite employé de commerce dans une société allemande (il parlera de ce fait couramment l’Allemand). Nommé secrétaire d’ambassade à Paris il se lie avec Louis-Joseph Janvier. Ce dernier, brillant intellec- tuel haïtien, médecin de formation, diplômé de Science Po et licencié en droit, l’introduit dans les cercles intellectuels à Paris.

Anténor Firmin, homme épris de lecture et curieux de toute connais- sance s’intéresse au droit, aux sciences sociales et à l’anthropolo- gie (il est membre de la société d’anthropologie de Paris). C’est dans ce domaine qu’il écrira un ouvrage passé à la postérité : «De l’égalité des races humaines».

En 1885 Anténor Firmin fait paraî- tre, à Paris, «De l’égalité des races humaines»un ouvrage dans lequel il réfute les idées de Gobineau parues en 1853 (Essai sur l’inégalité des races humaines). Malgré sa date de publication le livre d’Anténor Firmin n’a rien perdu de son actualité et de sa justesse. Tous les chapitres qui démontent la fausseté des théories pseudo- scientifiques de l’époque n’ont sans doute plus beaucoup d’inté- rêt aujourd’hui, car les différentes formes de racisme que nous connaissons ne se basent plus sur la mesure physique des supposées «races».

On note toutefois avec quelle malice Anténor Firmin remarque que les Noirs d’Afrique, lorsque l’on mesure les crânes, se situent au dessus des Auvergnats et des Bretons ! En revanche plusieurs chapitres traitent de l’histoire des cultures, et ils n’ont pas pris une ride. Anténor Firmin, trente ans avant Marcus Garvey et soixante dix ans avant Cheikh Anta Diop, met en lumière la civilisation et l’his- toire de l’Egypte et de ... l’Ethiopie !

Enfin c’est sur un plan qui intéresse particulièrement les Marxistes que Firmin se montre d’un actualité brû- lante en posant avec une totale clarté les racines du racisme : «la doctrine anti-philosophique et pseudo-scientifique de l’inégalité des races ne repose que (souligné par moi) sur l’idée de l’exploitation de l’homme par l’homme».L’HOMME POLITIQUE

Enregagnant Haïti à la fin des années 1880, Anténor Firmin aura unecarrière politique, et deviendra ministre des Finances et des Affaires étrangères sous la présidence de Florvil Hyp- polite, entre 1889 et 1891, Il se fera remarquer par deux faits notables : sa gestion rigoureuse des finances publiques (elles seront en excédent lorsqu"il quit- tera sa charge) et son hostilité à la main-mise américaine qui cherchait à obtenir une conces- sion d’une partie du territoire haïtien, Le Môle Saint-Nicolas. A la fin de sa vie il tente sans suc- cès de briguer un mandat prési- dentiel. Il doit quitter Haïti à la suite d’une tentative avortée de prise du pouvoir au début du XX ème siècle, et se réfugiera à St Thomas où il finira sa vie.UNE LEÇON

Contester la pensée colonialiste dans le lieu même où elle était éla- borée, témoigne d’un grand cou- rage intellectuel et personnel. C’est aussi le signe d’une grande liberté d’esprit, d’une absence de soumis- sion au conformisme. C’est en défi- nitive la traduction du message de liberté envoyé par la révolution haï- tienne. Haïti n’est pas à la périphé- rie, et Paris n’est pas le centre. C’est un message qui résonne encore aujourd’hui, pour tous ceux qui combattent le néocolonialisme.