Quel futur pour l’Église de Guadeloupe ?

Suite au départ à la retraite de Monseigneur Jean-Yves Riocreux, l’Église de Guadeloupe se retrouve de nouveau géré par un adminis- trateur diocésain en l’occurrence, l’Archevêque Daniel Macaire. Il faut se rappe- ler que c’était déjà le cas entre 2008 et 2012, durée pendant laquelle le père Hamot fut nommé administrateur. Va-t-on encore atten- dre 4 ans pour la nomination d’un nouvel évêque ? Sera-t-il cette fois un originaire de notre pays ? Autant de questions que se pose la famille des catholiques en Guadeloupe.

M ais, au-delà de ces questionnements, une autre actua- lité va marquer une étape importante dans la vie de l’Église, c’est le Synode 2023. C’est le 10 octobre que le Pape a lancé le coup d’envoi d’un long processus qui aura son point culminant deux ans plus tard (octobre 2023) : l’Assemblée des évêques à Rome.

Prévue initialement en 2022, la prochaine assemblée synodale a été reportée d’un an en raison de la pandémie de coronavirus. Un imprévu qui donne en fait l’opportunité de proposer un chemin plus ample, impliquant tous les diocèses du monde.

C’est samedi 16 octobre, à la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul, qu’a été lancé ce Synode en G uadeloupe. Ainsi, les catholiques de Guadeloupe, jusqu’au mois d’avril 2023, seront de la partie afin, comme le souhaite le Pape «d’ima- giner un futur différent pour l’Égli- s e».Un large processus d’écoute pour faire germer des rêves dans l’Église ! Un processus en trois p hases : diocésaine, continentale et universelle. LA PHASE DIOCÉSAINE :UNE ÉVOLUTION

Tous les diocèses sont invités donc à déployer cette consultation syno- dale, à organiser une réunion pré- synodale au niveau de leur diocèse pour récolter tout ce qui aura été entendu. Puis, les conférences épi- scopales, à partir de toutes les syn- thèses diocésaines et des réponses qu’elles auront reçues, sont invi- tées à faire une démarche syno- dale, au niveau de la conférence épiscopale, pour rédiger une syn- thèse qui sera envoyée à Rome.

Concrètement, pour réaliser cette première étape du Synode, un document de travail a été réa- lisé. Intitulé«Pour une église syno- dale : communion, participation et mission». Il sera constitué d’une liste de questions regroupées en dix thématiques à approfondir. L’Égli-se de Guadeloupe pourra en principe l’adapter en fonction des réalités locales. Ce document sera accompagné d’un Vademe- cum comportant des proposi- tions méthodologiques.

Comment cibler toutes les couches de notre population, sans oublier d’identifier les populations exclues, les marginales ? «Comment gérer les divergences de vue, les conflits, les difficultés» sont parmi le lot de questions que devront se poser les catholiques. Mais les difficultés liées non seulement à la crise sanitaire ne vont-elles pas de nouveau réduire considérablement les objectifs de cette innovation qu’est cette consultation des fidèles ?

Comment vont également réagir les fidèles suite au constat accablant de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église catho- lique déclarant que près de 330 000 mineurs ont été victimes de clercs, de religieux ou de laïcs travaillant dans les institutions de l"Église depuis 1950 ?

LE PAPE VEUT ALLER PLUS LOIN

A croire le Pape dans sa feuille de route, la mission même de l’Église aurait été bafouée. L’écoute, la parole libérée, l’ouverture aux éloi- gnés de l’église, les rapports entre prêtres et laïcs sont des questions qui fragilisent l’Église. C’est ainsi qu’il va plus loin en déclarant qu’il ne s’agit pas de recueillir des opinions lors de cette consultation. S’il invite tout le monde à s’écouter en préci- sant «les évêques devront s’écouter, les prêtres devront s’écouter, les laïcs devront s’écouter», il insiste à ce que les uns et les autres soient surtout prêts à écouter l’Esprit Saint. A croire la secrétaire du Synode Nathalie Becquart lorsqu’elle avoue«C’est un exercice, un concept pas facile à mettre en pratique», on pour- rait bien se poser des questions. L’Église de Guade-loupe se sent-elle concernée par ces déclarations ?

D’autant plus que le Pape enfonce le clou en déclarant : «Un des maux de l’Église, voire une perversion, est ce cléricalisme qui détache le prêtre, l’évêque du peuple»,constatant qu’il y a encore «beaucoup de résistances à surmonter l’image d’une Église rigidement distinguée entre chefs et subordonnés, entre ceux qui ensei- gnent et ceux qui doivent apprendre, oubliant que Dieu aime renverser les positions». Il rappelle au contraire qu’«au nom de Dieu, on ne peut pas discriminer», penser que «nous sommes les purs, nous sommes les élus, nous appartenons à ce mouve- ment qui sait tout…». «Non ! Nous sommes l’Église, tous ensemble».Cette invitation à une véritable introspection sur soi qu’invite le Pape aux Evêques, aux prêtres !

Ce qui pourrait encore plus intéres- ser les catholiques guadeloupéens, c’est cette invitation à écouter les questions de ceux qui semblent loin de l’Église, faire place au dialogue sur nos misères en y incluant les misères du monde ! «Comment écoutons-nous le contexte social et culturel dans lequel nous vivons ? Comment les laïcs sont-ils écoutés, en particulier les jeunes et les femmes ?»sont des questions posées par le Pape qui résonnent chez nous par rapport à la situation actuelle. Quel dépassement de soi qui est demandé aux fidèles par le Pape dans un pays comme le nôtre où le nombre de bénéficiaires du RSA a explosé, que la pauvreté gagne du terrain, que le nombre de chô- meurs augmente !DES LIMITES A CETTECONSULTATION

D’entrée de jeu, le Vatican, par la voix du Pape, indique que cet exer- cice d’écoute la plus large possible a aussi ses limites. En effet, le principe de la majorité que l’on retrouve dans une démocratie n’est pas autorisé dans un Synode pour éviter tout jeu qui pourrait devenir mal- sain entre des partisans. Les conclu- sions de ce Synode seront prises par le Pape et par conséquent les réper- cussions n’auront peut-être pas la même portée.

Compte tenu de ces limites, les évêques des Antilles ne pourraient- ils pas se saisir de cette opportunité pour relancer l’idée d’un Synode régional et inscrire ainsi leur réflexion dans la continuité des tra- vaux du Synode sur l’Église d’Amazonie ? Partageant des expé- riences communes, les pays de la zone Caraïbe n’auraient-ils pas un intérêt plus profitable pour amor- cer une réflexion plus profonde sur la question de l’environnement, de la famille entre autre ?

D’autre part, au vu du contexte sanitaire, du rapport Sauvé, com- ment va s’organiser cette pre- mière étape dans notre pays ? Les catholiques seront-ils autant mobilisés que le Synode qui a été organisé localement durant la période 1991 à 1995 ? Quels vont être la participation et le rôle des mouvements de jeunes, des asso- ciations caritatives, des TKL (Ti kominoté légliz) ? La parole des laïcs éloignés de l’Église sera-t-elle vraiment prise en compte ?

Ainsi, les catholiques de Guade- loupe sauront-ils relever le défi lancé par le Pape en déclarant : «Sommes- nous disposés à vivre l’aventure du cheminement ou, par peur de conti- nuer dans l’immobilisme ?».