La COP Climat, un levier pour sauver le monde ou pour remporter la lutte économique ?

Nous sommes parfois indiffé- rents au chaos climatique qui frappe le monde, estimant, à tort que nous en sommes pré- servés, dans la mesure où les vulnérabilités de notre territoire nous semblent être familières et que la gouvernance de notre pays, colonie départementali- sée, se préoccupera de régler, ce qui pour nous n’est pas un problème. Et pourtant, le monde a changé.

Les pays occidentaux, pris dans une folie productiviste après la Seconde Guerre mondiale, ont beaucoup tiré sur la corde et il faut attendre la fin du XX ème siècle pour voir un frémissement quant à une prise de conscience relative au réchauffement du globe et à la res- ponsabilité de systèmes de produc- tion de plus en plus irrespectueux de l’environnement.«SAUVER LE MONDE» ET «REMPORTER LA LUTTE ÉCONOMIQUE…» OU L’HYPOCRISIE DES PUISSANTS

C’est ainsi qu’en 1992 lors du Sommet de la terre à Rio, on abou- tira à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques, fixant les buts à attein- dre pour limiter le réchauffement climatique. Il sera alors décidé des réunions qui définiront les actions et engagements à court et long termes ; on parlera alors de COP, Conferences of the Parties, qui se tiendront chaque année dans un pays différent. Il s’agira de Con- vention sur la biodiversité biolo- gique, de Convention sur la lutte contre la désertification et de Convention sur le climat.

Parmi les plus marquantes, on retiendra la COP 3 de Kyoto en 1997, la COP 15 de Copenhague en 2009 et la COP 21 de Paris en 2015, avec le fameux accord éponyme, dont la volonté sera d’engager les pays signataires à maintenir les tem- pératures mondiales «bien en des- sous» de 2°C par rapport à l"époque préindustrielle et de préfé- rence, à 1,5°C.

La COP 26 qui a ouvert ses travaux, le 31 octobre à Glasgow, aura été repoussée d’un an suite à la pandé- mie. Après l"échec de la COP25 de Madrid, elle se donne pour objectif de finaliser les règles de l’Accord de Paris et de se rapprocher des 1,5°C de réchauffement avant la fin du siè- cle, à travers les Contributions natio- nales déterminées, mises à jour, des pays. En réalité, au moment où doi- vent commencer les discussions, seuls 120 pays et l’Union euro- péenne (soit environ 50% des émis- sions de gaz à effet de serre) pré- sentent des NDC mises à jour.

Pour les observateurs, l’enjeu prin- cipal consiste en une négociation faite d’avancées et de reculades de la part de pays qui n’ont que pour ambition, le maintien de leur hégémonie économique, comme c’est le cas pour la Chine, les États- Unis, et l’Union européenne au prix de pseudo - concessions sur un calendrier difficilement contrô- lable et des mesures guère appli- quées à ce jour.

NOUS PAYONS POUR LES CONSÉ- QUENCES NÉFASTES ENVIRON- NEMENTALES DES LUTTES HÉGÉMONIQUES ENTRE MULTI- NATIONALES DES PAYS RICHES

Que nous le reconnaissions ou non, nous sommes de plus en plus impactés par le réchauffement cli- matique dans un pays où le premier matricide contre la nature a été commis par le colon qui a défriché à tour de bras pour imposer ses cultures d’exportation. Les tra- vaux des scientifiques attestent d’une forte hausse des tempéra- t ures dans la région des Caraïbes, de 1,5°C supplémentaires sur l’océan et 2°C sur la terre, avec u ne tendance à l’assèchement qui risque dans les années à venir d’accroître la diminution de la res- source en eau. On comprend dès lors les problèmes qui se pose- raient à l’agriculture.

Si les émissions de Gaz à effet de serre devaient se maintenir à leur niveau actuel, et si la déstabilisa- tion de l’Antarctique se poursui- vait avec une forte élévation du niveau marin, on assisterait à une croissance des vagues de 20-40% dans le Grand Cul-de-sac marin, faisant perdre à la barrière de corail son rôle de protection.

On a vu comment, sous l’action des ouragans qui nous frappent avec une régularité de métronome et de manière de plus en plus puis- sante, nos plages et plus particuliè- rement celles du Sud Grande- Terre ont été touchées par l‘éro- sion, avec un recul de 1 à 7 mètres.

Si, avec le changement clima- tique, on escompte que l’éléva- tion du niveau de la mer pourra être d’1,40 m d’ici à 2100, ne convient-il pas dès maintenant de se préoccuper des problèmes de submersion, d’autant qu’avec le recul du trait de côte, nous ris- quons d’avoir des sites qui pour- raient reculer de plus de 50 m dans quelques dizaines d’années. De ce fait, faut-il continuer à com- bler la mangrove de Jarry, pour enfler davantage ce que nous appe- lons pompeusement «le poumon économique de la Guadeloupe», là où se constitue l’octroi de mer, le pactole des maires ? Qu’en est-il des villes littorales comme Le Moule, Saint-François et ses plages, ou encore Sainte-Anne, voir Petit- Bourg ou une quarantaine de familles défavorisées, en délica- tesse administrative, dont les habi- tations surplombaient des falaises instables, atteintes par l’érosion ont dû être interpellées ?

Faut-il continuer à transformer Dothémare aux Abymes, Jabrun à Baie-Mahault, la plaine de Morne- à-l’Eau et sa déchetterie inappro- priée, en zones totalement im-pro- ductives, qui distribuent la nourri- ture, là où il faudrait la produire ? N’est-il pas temps de faire des inon- dations une préoccupation qui doit s’élargir à l’ensemble du pays ? Notre petit pays paye un lourd tri- but aux luttes musclées que se livrent les grands pays, toutes idéo- logies confondues, pour la domina- tion économique du monde. Il nous e st rendu responsables d’un crime que nous n’avons pas commis. En transformant la Guadeloupe en c omptoir commercial, le gouverne- ment français et ses relais territo- riaux en ont fait un dépotoir où il faut traiter des déchets résultant d’une importation à outrance. Il s’agit de gérer aussi un mode d’ha- biter générateur d’externalités, comme la consommation d’électri- cité à base d’énergies fossiles. La situation d’aujourd’hui, ne peut nous laisser indifférents, à notre avenir et surtout à la terre que nous allons laisser à nos enfants. Dans l’imaginaire collectif des Guadelou- péens, il semble être admis que ce que nous appelons l’en-dehors ne nous appartient pas : chimen a gou- vèlman, chimen a blan-la, sont des expressions qui voudraient dire que nous nous excluons de la gestion de l’espace public, or, c’est de la maî- trise de celui-ci dont naît le senti- ment d’appartenance et au-delà, la volonté d’émancipation.

Les pays de la Caraïbe l’ont bien compris et c’est pour cela qu’ils ont institué le Centre du change- ment climatique de la Commu- nauté des Caraïbes, une institu- tion intergouvernementale de la Communauté des Caraïbes (Cari- com) mandatée par les chefs de gouvernement de la Caricom pour coordonner la réponse de la région au changement clima- tique. Ils ont à leur disposition le référentiel le plus complet des Caraïbes d"informations et de données sur le changement cli- matique spécifique à la région, ce qui leur permet en partie de four- nir des conseils et des lignes direc- trices sur les politiques liées au changement climatique aux États membres de la Caricom.

Le Centre est reconnu par la Convention-cadre des Nations unies sur les changements clima- tiques, le Programme des Nations unies pour l"environnement et d"autres agences internationales com-me le point focal pour les questions de changement clima- tique dans les Caraïbes. Il est éga- lement l"une des rares institutions reconnues comme Centre d"ex- cellence par l"Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche. Il a même été conçu un outil, CCORAL, axé sur les Caraïbes pour aider les organisa- tions à prendre des décisions rési- lientes au climat. Il nous est difficile d’en faire autant, nous qui y avons abandonné toute s ouveraineté à l’État français qui uti- lise notre biodiversité comme arme diplomatique dans ses joutes à l’in- t ernational. Par ailleurs, englués dans un rapport particulier et schi- zophrénique à l’Etat colonial, nous en sommes réduits à des actions menées par la société civile, dont c ertaines ne sont pas dénuées d’ar- rière-pensées politiciennes, histoire de combler le vide démographique généré par le départ de nos jeunes vers la France.SE BATTRE POUR LE CLIMAT, DANS UN PAYS ÉMANCIPÉ

Gardons-nous cependant de croire que la gestion du climat est déta- chée de la vision d’ensemble que l’on doit avoir de son pays. Si les grands de ce monde n’arrivent pas à s’entendre sur cet aspect des choses, c’est que leur comporte- ment est prédéterminé par la guerre économique que se livrent les multinationales. En Guadelou- pe, il ne faut pas attendre du mille- feuille institutionnelle qui a été mise en place pour gérer nos quelque 1700 km² de terrain au plan environnemental, une répon- se aux préoccupations centrales de notre peuple, à savoir celle d’un développement économique en- dogène, d’un aménagement plus harmonieux de notre territoire, susceptible de combattre la préca- rité et de générer le mieux-vivre ensemble.

La COP 27 se déroulera en Afrique l’an prochain ; gageons qu’elle posera les mêmes problèmes, et que nous serons certainement au même point, nous Guadelou-péens, si nous n’élevons pas notre niveau de conscience jusqu’à la prise de res- ponsabilité de nos affaires. Notre pays est généreux, mais il est sur- tout en attente des capacités, des énergies qui accepteraient de se libérer et de se mettre au service de l’intérêt général. Les épreuves, les incertitudes commandent que nous nous retrouvions et que nous ne prenons plus le risque de voir notre vie en société négativement, occul- tant le fait que nous avons la chance de vivre dans ce pays que beaucoup nous envient. Faudra-t-il continuer à nous désoler, à nous opposer, à ne plus croire en nos capacités !

Pouvons-nous en fait vivre avec l’in- vincible espérance que notre amour du pays doit l’emporter sur les obs- curantismes ? Ce n’est pas de la COP 26 que naîtra cet espoir, mais de notre volonté à croire que le pays est ici, et pas ailleurs !