Brésil : Possible retour de Lula ?

Dans un an tout juste (octobre 2022) aura lieu l’élection prési- dentielle au Brésil. Et déjà, il est annoncé le probable duel de la revanche entre l’Extrême-droite et le Parti des travailleurs res- pectivement représentés par le Président actuel Jair Bolsonaro et le populaire Lula qui fut Président entre 2002 et 2010.

QUELQUES FAITS HISTORIQUESDE LA VIE POLITIQUE DU PAYS…

Après 21 ans de dictature militaire entre 1964 et 1985, le Brésil renoua avec la restauration d’une vie démocratique concrétisée par une nouvelle constitution dans un pays malgré tout miné par un contexte économique et financier difficile. C’est dans cette atmosphère que cet ouvrier métallurgiste, l’un des fondateurs du Parti des travailleurs (PT), Luiz Inácio Lula da Silva (Lula) devint le Président de la République brésilienne, après sa 4 ème tentative ! Nous étions en 2002.

Dans l’espace de deux mandats, soit en huit ans de présidence (2003 à 2010), Lula sort le Brésil du marasme économique. Grâce au développement accordé à la classe moyenne qui soutient massive- ment les réformes démocratiques du Président, et la création d"un grand marché intérieur qui attire les capitaux étrangers et les industries d"exportation, à la suite du retour de la confiance des banques et la stabi- lisation de la monnaie du pays, le Brésil accède au statut de puissant pays émergent.

Ce programme social, créé en 2004 et emblématique des an- nées Lula, a été un pilier du sys- tème de redistribution de riches- ses du pays. Plus de 44 millions de Brésiliens ont eu à en bénéficier (soit un habitant sur cinq).

Mais, ne pouvant se représenter pour un troisième mandat consécu- tif conformément à la Constitution, Dilma Rousseff, cheffe de cabinet de Lula et membre du Parti des tra- vailleurs lui succéda en 2011 puis fut destituée en 2016. En effet, après la tenue de la Coupe du monde de football au Brésil de 2014, des affaires de corruption et de blanchiment d’argent tou- chaient le monde politique brési- lien et plus particulièrement des membres du gouvernement. Quant à Lula, son emprisonne- ment controversé, l’empêcha du coup, de participer aux élections présidentielles de 2018, alors considéré comme le grand favori.

Depuis, le Brésil traverse une p ériode d’incertitude, d’instabilité, et de recrudescence d’une acca- blante pauvreté, notamment, de- p uis l’élection de l’Extrême droite et ancien militaire, Jair Bolsonaro.U NE SITUATION SANITAIRE ET ECONOMIQUE CATASTROPHIQUE

Quinze millions de Brésiliens qui, selon l’Institut brésilien des statis- tiques (IBGE), souffrent de la faim, aggravée par le chômage, la préca- risation du travail et la pandémie. Plusieurs faits expliquent la situa- tion critique du pays :La personne même du Président actuel : ses insultes envers la presse, ses attaques contre les institutions et son caractère suffisamment impulsif et autoritaire.La gestion catastrophique de l’épi- démie de Covid-19 : avec plus de 600 000 personnes mortes du Covid-19. En un an et demi de pan- démie, le Brésil affiche le taux de mortalité le plus haut au monde, après les États-Unis. D’ailleurs, cette gestion politique de la crise sanitaire est scrutée, depuis plusieurs mois, par une commission d’enquête par- lementaire qui devrait rendre son rapport au courant de ce mois, avec de lourdes charges contre le gou- vernement. En réduisant fortement l’investissement public au secteur de la santé, le Président Jair Bolsonaro avait le choix de rompre avec le succès de la politique de santé mise en place par Lula. L’augmentation de la pauvreté : Dès 2020, le directeur du Pro- gramme alimentaire mondial de l’ONU au Brésil a averti que le pays avançait «à grands pas» vers un retour dans la carte de la faim, dont il était sorti en 2014. Près d’un tiers de la population brésilienne souffri- rait d’insécurité alimentaire. 1 ère éco- nomie de l’Amérique latine, le pays est entré en récession et son PIB a chuté de 10%. Si la gestion de la crise sanitaire a eu comme consé- quence, l’affaiblissement écono- mique du pays, la situation politique en est aussi une cause.

Le programme économique libé- ral de Bolsonaro étant à l’arrêt, toutes les promesses de cam- pagne ont été abandonnées. En revanche, elles ont laissé la place à des mesures d’austérité lesquelles avaient pous-sé les syndicats, tant publics que privés, à faire enten- dre leur colère dans les rues. Etaient prévus le gel des salaires des fonctionnaires, la privatisa- tion du secteur de l’électricité, des aéroports et des ports maritimes, a insi que des coupes budgétaires dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Cependant, l’accapa- r ement des richesses par les plus riches a pour conséquence, année après année, des inégalités tou- j ours plus profondes. Ce sont aujourd’hui les plus démunis, les plus fragiles, les exclus qui en pâtissent car, toutes leurs aides ont ainsi été arrêtées.UNE SITUATION POLITIQUEDIFFICILE

Depuis la prise du pouvoir de Bolsorano, les institutions brési- liennes souffrent d’un déficit démocratique. A leur tête, les nominations sont régulièrement entachées par des affaires de cor- ruption ayant pour conséquence des politiques mal définies et dif- ficiles à appliquer.

Ces affaires de corruption de la classe politique brésilienne sont nombreuses, et cette pratique touche tous les étages de la hiérar- chie politique brésilienne, de l’élu local au Président de la République. Les oppositions à Bolsonaro se multiplient. Des élus locaux, des maires et des gouverneurs sont en divergence avec la politique natio- nale d’où un morcellement du pou- voir. La conséquence de ce désor- dre est l’augmentation de la crimi- nalité. Ainsi, a été constatée une hausse des violences visant les femmes, la communauté Lgbt, les peuples indiens, les minorités, les militants des droits de l’Homme et de l’environnement. Cette aug- mentation s’explique entre autres, par les discours politiques en ce sens de Bolsonaro, qui exprime régulièrement son animosité envers les minorités et les militants de la société civile.

Devant cette situation difficile pour Bolsorano, il a mis en place une reconquête de popularité en ver- sant une aide aux plus pauvres de 100€ versés à environ 30 % de la population. Initialement prévue pour trois mois, il a annoncé son projet de rendre cette aide perma- nente. En recherchant à apaiser la tension sociale, c’est également une manoeuvre pour préparer les prochaines élections présidentielles en 2022. Cependant, le dirigeant de la banque centrale brésilienne s’inquiète de cette proposition, qu’il juge déraisonnable au vu de l’état des finances publiques.

UN ESPOIR POURRAIT RENAITREFace à cette faible capacité de relance d’institutions et d’un gou- vernement instables, à cette p ériode d’incertitude et d’accrois- sement des risques, le rempart le plus crédible à une réélection de l ’autoritaire actuel chef d’État reste Lula, l’ancien Président bré- silien considéré le «Président des p auvres». En effet, le fait d’avoir été blanchi de toute participation aux affaires de corruption lui per- met d’être à nouveau éligible.

Mais en réalité, quelles sont ses armes pour prétendre un retour aux affaires ? Malgré son âge (75 ans), Lula soigne sa communica- tion visuelle (son apparence phy- sique, son côté jovial, sa détermi- nation). Son slogan «Lula, Paix et Amour» qui lui avait souri est réutilisé dans cette période som- bre du Brésil. Il cherche également à rassurer tous ceux qui sont déçus de la politique du Président actuel, notamment les milieux militaires, financiers, en mettant en avant la nécessité d’un dialogue et la défense de la démocratie.

Dans ce contexte, Jair Bolsonaro plonge dans les sondages. Sa cote de popularité a baissé à son niveau le plus bas, en près de trois ans de mandat, avec seulement 22% d"opinions favorables, selon un sondage publié au mois de sep- tembre dernier. La réaction de Bolsorano laisse la place à de l’in- quiétude dans les institutions, auprès des juges, des journalistes, au vu de ses déclarations.

Dégoûtés par Bolsorano, les Brésiliens veulent le retour de l’ancien président Lula selon un sondage qui le place largement en tête des intentions de vote. Pour beaucoup de Brésiliens, en particulier les plus démunis, les années Lula demeurent la plus belle expérience politique que le Brésil ait connue.

Mais encore loin de ces élections présidentielles qui se tiendront nor- malement en octobre 2022, il est prêt à parier que le Brésil connaîtra des rebondissements spectacu- laires. La question de la corruption qui touche toutes les sphères du pays sera une question fondamen- tale, lors de ces élections. Toutefois, le plus important et urgent, à notre sens, c’est le sort qui sera réservé à toute cette population en souf- france. Elle aura le choix entre la voie d’une politique plus humaine, plus ouverte, où l’intérêt général prime et celle d’une politique basée sur le profit d’une classe, la non dis- tribution des richesses.