Comment l’Etat a contribuéà transformer les Antilles en dynamiteUn regard sur les finances des communes Dom à la lumière de la révolte antillaise (3 è me partie)

Mireille Pierre-Louis, ingénieure agronome de formation, spécia- lisée en économie de développe- ment a travaillé au Tchad et à Madagascar. De retour en Guyane d’où elle est originaire, elle a travaillé sur les fonds euro- péens et a été chef de la Cellule Europe de Guyane à la fin des années 90. Depuis une dizaine d’année elle se consacre surtout aux finances locales des collecti- vités des Dom, car, elle s’est ren- due compte que c’était le fac- teur limitant du «développe- ment» des Dom.

LES ENSEIGNEMENTS DE LA CRISE DE 2009

Si l"Etat ne répond pas aux besoins des collectivités locales, et en parti- culier des communes, la situation économique et sociale des Antilles s"aggravera, comme cela a été le cas après 2009 où aucune des mesures de sortie de crise n"avait concerné les finances locales. Et cela était d"autant plus paradoxal, que la crise de 2009 avait été déclenchée par la pression fiscale subie par les popu- lations et qu"elle s"était soldée par un effondrement de l"octroi de mer affectant durablement les res- sources des communes, particuliè- rement aux Antilles où de plus, les taux de l"octroi de mer communal avaient été abaissés (ce qui au final n"a eu aucun impact sur la cherté dela vie!) 10 . Les communes antillaises, et particulièrement martiniquaises, se sont trouvées dans une impasse budgétaire. Impasse budgétaire et démographique à travers l"exode massif de la jeunesse, dans laquelle elles s"enfoncent toujours plus avec la baisse des dotations

.

En Guadeloupe, la baisse de l"octroi de mer pour répondre aux enjeux de la vie chère avait été gagée sur les 10 millions d"euros que récupé- raient les communes, après le changement de statut de Saint- Martin. Donc, l"impact de la baisse des taux de l"octroi de mer y a été moindre. Les élus guyanais 1 1 (et réunionnais) avaient refusé une telle mesure, car au final c"est le contribuable qui en paie le prix par une augmentation de la fiscalité directe qui ne touche qu"une caté- gorie de la population, ou alors par la baisse des services publics.

La Réunion se situe dans une posi- tion financière intermédiaire et commence à enclencher la trajec- toire démographique des Antilles. La pression fiscale sur les ménages en lien avec la décentralisation sociale est moins forte à La Réunion grâce au produit de la taxe sur le tabac du département, qui, en rai- son de la gravité du tabagisme dans cette île, atteint des records (190 millions contre 12 millions pour la Guyane). Sans ce drame du taba- gisme, le climat social à La Réunion aurait sans doute été tout autre.Il faut enfin noter que l"augmenta- tion des bas salaires, à la suite dès évènements de 2009, a pu rigidifier les budgets des communes, car ce sont elles qui ont en assumé seules le coût. De sorte qu"en plus de sup- porter la baisse de l"octroi de mer, les communes se sont trouvées à nouveau mises à contribution pour résoudre une crise... des finances locales 12 . Le seul soutien apporté par l"Etat fut les Chambres régio- nales des comptes pour... s"attaquer à leurs charges de personnel. UNE PÉNURIEDE FONDS PUBLICS ?

L"on parle souvent de pénurie de fonds publics, or avant même la pan- démie de Covid19, l"Etat continuait d"augmenter considérablement ses dépenses : 26 milliards pour la sup- pression de la taxe d"habitation ; ou encore 40 milliards pour la compéti- tivité des entreprises.

A cet égard, il apparait que réparer les dégâts considérables, provoqués par la baisse des dotations des com- munes ultramarines et une péré- quation nationale inéquitable, est davantage une question de priorité que de moyens.

Certes, la presse s"est faite abon- damment l"écho de ce que l"Etat, cette année, allait octroyer 6.5 mil- lions d"euros aux communes des Dom en situation de redressement pour payer leurs dettes fournis- seurs; cela a même été commenté comme étant un cadeau exception- nel que l"Etat ne pourra pas repro- duire indéfiniment. Mais depuis 2014, l"Etat a exercé une ponction de plus d"un milliard d"euros sur les budgets des collectivités locales des Dom, toutes collectivités confon- dues, en reprenant une partie de leurs dotations (!).LA JEUNESSE ANTILLAISELAISSÉE POUR COMPTE...

Pendant ce temps, la jeunesse antil- laise migre vers l"Hexagone, et en particulier vers la région parisienne, là où se concentrent à la fois l"em- p loi, la solidarité nationale et la soli- darité locale 13 .

A ux Antilles, il n"y a ni emploi (pour les Antillais), ni solidarité nationale, ni solidarité locale, res- tent la solidarité familiale qui s"ef- frite, les flambées de violence ou e ncore... le RSMA pour gérer l"échec et dont la montée en puis- sance, 70 ans après la départe- mentalisation, est en soi un constat d"échec de l"Assimilation...

Le rapport Doligé qui a servi à gui- der l"action du gouvernement après la crise de 2009, débute par une condamnation sans appel des maires en raison de leurs charges de personnel, et à la fin, s"alarmant de la jeunesse laissée pour compte (déjà !) demande de mettre en place sans délai, un «véritable Plan Marshall» pour combattre le chô- mage des jeunes : «un arsenal de moyens à la hauteur des enjeux : contrats aidés par l"Etat dans les col- lectivités, ...» (!).

Les communes doivent donc résou- dre seules la quadrature du cercle. Résultats, l"Etat leur demande aujourd"hui des comptes pour ce traitement social du chômage. Or, tous les pics de recrutement des communes depuis 40 ans corres- pondent à des pics de contrats aidés déployés par les gouverne- ments successifs, à intervalles régu- liers, pour faire baisser les chiffres du chômage.

Dorénavant, les communes sont invitées à se projeter avec «respon- sabilité» vers le développement économique, notamment le tou- risme auquel on laisse le soin de répondre à la forte demande sociale, en créant des emplois ...subventionnés à vie par l"Etat 14 .

Un tel schéma n"est pas viable éco- nomiquement 15 ni socialement (les emplois attendus tardent) mais l"on continue, en particulier les collecti- vités de rangs supérieurs, avec l"aide des Fonds européens et autres sub- ventions d"investissement de l"Etat, à investir toujours plus dans «des filières porteuses» sans en mesurer le retour sur investissement pour les populations 16 .

Par ailleurs, les subventions d"inves- tissement, abondamment disponi- bles, en requérant les fonds propres des collectivités rigidifient leur bud- get et obèrent leur capacité à inter- venir auprès de leurs populations, et pour les collectivités de rang supé- rieur les empêchent de soutenir les c ommunes dans leurs actions de proximité. D"où un développement à deux vitesses, d"un côté, de plus en plus d"infrastructures de prestige (que l"on imite d"un Dom à l"autre) et de l"autre de plus en plus de m isère sociale.

Revisiter tous ces programmes d "investissement, basés souvent sur une logique de consommation de crédits impulsée par les fonds européens 17 est une urgente nécessité, ils rigidifient de manière extrême l"action publique et viennent, à certains égards, aggraver la crise sociale.

S"agissant des communes, elles ne sont pas une Région, elles ont une fonction sociale primordiale à assu- rer vis-à-vis de populations fragili- sées par les efforts disproportion- nés qui leur sont demandés pour réduire le déficit de l"Etat. Leur redonner les moyens de soutenir les initiatives et d"accompagner, avec souplesse, les populations, semble une priorité absolue.

LE MARCHÉ DE L"EMPLOI SE RES- TREINT... POUR LES ANTILLAIS

En effet, alors que l"on constate un exode massif des Antillais à la recherche d"un emploi vers l"Hexa- gone. A l"inverse l"on observe un afflux massif de métropolitains vers les Antilles qui trouvent du travail en particulier dans les orga- nismes d"Etat ou dans le privé (et de plus en plus dans le tourisme) 18 ; Parallè-lement les collectivités antillaises, et particulièrement martiniquaises sont pratiquement dans l"incapacité de recruter, ni agents de catégorie C ni cadres 19 , mais le recours à des «cadres expé- rimentés venantde l"Hexagone» est dorénavant affiché par l"Etat comme ultime recours pour ramener leurs comptes à l"équili- bre. Cette métropolisation décomplexée de l"encadrement (mais pas seulement) que l"on constate déjà dans les organismes d"Etat, et qui signe une mainmise accentuée de l"Etat sur ces terri- toires, est d"autant plus para- doxale qu"une mesure phare de l"après 2009 était la promotion des ultramarins dans la fonction publique d"Etat.

Les quelques Antillais promus pré- fets ou sous préfets ne seraient en réalité que «l"arbre qui cache la forêt». Et, en faisant la traque aux dépenses de personnel des collecti- vités c"est le meilleur moyen de vider ces territoires de leurs forces vives, comme on peut le constater en Martinique. L"on ne propose aux communes martiniquaises que de réduire tou- jours plus leurs effectifs pour r etrouver des marges de manoeu- vre, alors que les communes ont déjà fourni des efforts dispropor- t ionnés en n"offrant plus aucune alternative d"emploi à leur popula- tion, efforts qui ne seront jamais s uffisants pour le comptable public, vu qu"il n"y a pas d"équilibre possible sans ressources nouvelles.

Restent les économies vis-à-vis des administrés, grâce des décisions«courageuses»qui seraient «sociale- ment et politiquement impopu- laires»: augmenter le prix des ser- vices publics, fermer des écoles, réduire les subventions aux associa- tions, augmenter les impôts... Toutes choses qui ne peuvent qu"accélérer le départ des popula- tions les plus vulnérables... A suivre… 10.Idem, au plan national, pour la baisse de la TVA de 19 à 5% dans la restauration qui n"a eu aucun impact sur les prix. Cette mesure s"est transforme´e en un cheque 2.6 milliards pour les restaurateurs qui ont leur marge.

11. Il faut noter que les élus guyanais n"avaient pas non plus en 2004 récupéré la compétence des routes natio- nales, comme l"ont fait, de manière dérogatoire, les col- lectivités réunionnaises et antillaises... à leur demande !

12. Idem pour les collectivités antillaises de rang supérieur qui avaient accompagné l"Etat pour l"aug- mentation des petits salaires du secteur privé de 200 euros nets par mois...

13. A travers un fonds de solidarité intercommunal de l"Ile de France doté de 350 millions d"euros et financé principalement par la ville de Paris.

14. 1.7 milliards d"euros, c"est le prix des allègement de charges sociale pour les entreprises ultramarines chaque année. (Les contrats aidés sont subventionnés pendant 5 ans et coûtent moins de 200 millions d"euros à l"Etat).

15. Selon l"Insee, la part du tourisme dans le PIB des Antilles représente environ 4% (contre 25% pour les RUP espagnoles et portugaises) et ses effets structu- rants dans l"économie ultramarine sont limités.

16. On a presque l"impression que l"on promeut le tou- risme uniquement pour les touristes... «l"image» des Antilles semblant primer sur le vécu des populations...

17. En général, les plans d"urgence et autres plans de relance, à coup de milliards d"euros, ne sont pas opérants pour les communes en raison de la faiblesse de leurs recettes de fonctionnement.. D"où le fait que les médias se font souvent l"écho de «crédits qui repartent». Par ail- leurs, les crédits d"investissement, ciblés de plus en plus sur les priorités nationales ou européennes, en mobili- sant les ressources propres des collectivités, pour com- pléter les plans de financement, préfinancer les opéra- tions et ensuite pour en assurer le fonctionnement (!), obèrent toutes les capacités d"intervention des collecti- vités sur des enjeux des territoires et besoins des popu- lations qui ne sont pas éligibles à ces programmes. D"où ce développement à deux vitesses.

18. En effet, le touriste s"installant vivre d"un tourisme affinitaire : les communes touristiques sont-elles à cet égard l"avant garde de la Martinique de demain ? (Y’a t- il une identité à préserver ?).

19. Or, en l"absence de grandes entreprises privées dans les Dom, les collectivites locales sont le principal employeur des ultramarins diplômés.