Que veulent les «Awtis an Rezistans» ?

Voilà six mois que les «Awtis an Rezistans», comme un essaim d’abeilles, se sont réfu- giés dans le bâtiment en répa- ration du Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre. Par souci de respect du prin- cipe contradictoire après avoir interrogé l’élu responsable à la Commission culturelle au Conseil régional, Nouvelles- Etincelles est allé à la rencon- tre des «Awtis an Rezistans» pour mesurer leurs attentes. Pour l’occasion, c’est l’artiste Florence Naprix, une des responsables du squatte de l’immeuble, et membre du collectif «Awtis an Rézistans» qui porte l’estocade sur la pro- blématique de la culture.

Comment définissez-vous les«Awtis an Rézistans» ?Florence Naprix : C’est un collectif d’artistes qui s’est monté aux alen- tours du 5 juillet 2021 dans l’op- tique de bousculer les politiques. Le constat est fait et cela n’est pas nouveau, en Guadeloupe, il n’y a pas de politique culturelle. Il n’y a pas une direction qui est prise par tout un ensemble d’acteurs concernés par la question et qui permettrait aux artistes de sortir de la précarité dans laquelle ils sont. Certains artistes ont un métier à côté pour survivre et pouvoir don- ner cours à sa passion. Nous aime- rions bien sûr que nos passions soient nos métiers et que nous n’ayons pas à nous poser la ques- tion des lendemains. Certains pen- sent que cela exacerbe la créativité, pour ma part, au contraire, je crois que cela peut la tuer.

Nous avons des problématiques de précarité, de manque de salles dédiées à toutes les disciplines qu’on peut trouver en Guadeloupe. Il n’y a pas un seul endroit où un plasticien puisse exposer véritable- ment ses oeuvres

. Il y a des initia- tives privées mais pas véritable- ment de galeries capables de les accueillir et encore moins d’ac- cueillir des plasticiens qui vien- draient de la Caraïbe ou d’ailleurs. C’est dommage, vu tout ce qu’on a à offrir et à proposer.

Il y a des problématiques qui concernent la formation. Pour- tant, nous avons de très belles filières jusqu’au Baccalauréat, ensuite on a plus rien. Nous sommes obligés de partir et nous n’avons rien pour revenir ici en toute sérénité.

J’ai mis 20 ans à me dire que je dois rentrer en Guadeloupe. Je suis ren- trée parce que j’ai une âme mili- t ante qui me fait dire eh bien tant pis, si ça ne marche pas et si je ne peux pas vivre de ce que je fais, je v ais rentrer et me battre pour que ce soit différent pour les suivants.

Il y a 40 ans déjà, on a des traces de séminaires, de colloques, des Etats- g énéraux de la culture, qui disent exactement les mêmes choses que ce qu’on nous répète encore aujourd’hui. Nous continuons de le vivre. Nous ne voulions pas entrer dans ce même schéma. De rede- mander gentiment, de refaire des propositions de projets qui se per- dent sur les bureaux des politiques, qu’ils ne lisent même pas. Donc, nous avons décidé que nous allions faire autrement, en squattant le Centre des Arts. C’est à la fois une façon de remettre la lumière sur ce lieu mythique qui a accueilli telle- ment de grands artistes. Le Centre des Arts, c’est quand même une consécration, qui a reçu tous ces artistes de l’extérieur. Je pense qu’on peut très bien comparer le Centre des Arts à l’Olympia en terme de notoriété et de stature. Et puis, depuis 12 ans, ce lieu est fermé parce qu’on le reconstruit. Nous nous sommes emparés des lieux, sans demander la per- mission parce que nous voulions mettre un grand coup de pied dans la fourmilière.

C’est une façon de dire à la fois, aux artistes de retrouver un espace destiné, et de dire à la population que les artistes sont en souffrance, qu’ils sont importants pas unique- ment pour l’économie du pays m ais pour sa stabilité.Qu’attendez-vous den os politiques ?

On attend d’eux qu’ils mettent aussi les mains dans le cambouis, qu’ils fassent preuve de courage en osant d emander aux artistes ce dont ils ont besoin, avant de leurs promet- tre monts et merveilles et de passer complètement à côté des réalités qui sont les leurs.

Ce dont on a besoin, c’est d’une vision globale qui donne la direction et dans laquelle les artistes et les acteurs culturels sont inclus. Au bout de 6 mois que nous sommes ici, nous n’avons toujours pas reçu la moindre discussion tous ensemble.

Ce que nous demandons à chacun des acteurs, c’est-à-dire des artistes certes, des acteurs culturels, des représentants de chacune des insti- tutions politiques (Région, Dépar- tement, EPCI et municipalité), c’estqu’on puisse se retrouver dans un même organe, une sorte de pôle c ulturel, à l’image du CTIG, dans lequel chacun d’entre nous aurait son mot à dire pour construire ensemble cette politique culturelle pour que tout soit plus clair. Nous p ourrions élaborer quelque chose en cohérence et en cohésion.Quel sera l’avenir de la«Rézistans» ?

La «Rézistans» ne meurt pas tant qu’elle n’aura pas reçu ce qu’elle demande, quoiqu’il arrive, même si nous devons nous déplacer. L’idée n’est pas le lieu, nous nous sommes posés au Centre des Arts parce que c’est symbolique de la déliques- cence de tout ce qui se passe, de cette espèce d’indifférence des uns et des autres, de cette faci- lité pour certains de se dédoua- ner sur le dos des autres.

Un peuple sans culture est un peu- ple qui n’existe pas, c’est un peuple mort et à la dérive. Il ne faut pas que ce soit le cas de la Guadeloupe.