Comment l’Etat a contribuéà transformer les Antilles en dynamiteUn regard sur les finances des communes Dom à la lumière de la révolte antillaise (Fin)

Mireille Pierre-Louis, ingénieure agronome de formation, spécia- lisée en économie de développe- ment a travaillé au Tchad et à Madagascar. De retour en Guyane d’où elle est originaire, elle a travaillé sur les fonds euro- péens et a été chef de la Cellule Europe de Guyane à la fin des années 90. Depuis une dizaine d’année elle se consacre surtout aux finances locales des collecti- vités des Dom, car, elle s’est ren- due compte que c’était le fac- teur limitant du «développe- ment» des Dom.

DES «PRÉJUGÉS OFFICIELS»EN GUISE DE DIAGNOSTIC

Les communes d"outremer sont souvent présentées comme étant «mal gérées», à cause de l"Octroi de mer qui leur apporte «trop de recettes de fonctionnement», une taxe qui serait «exceptionnellement dynamique» et qui «discrimine les communes de l"Hexagone».

D"une façon générale, les repré- sentations sont mises en mouve- ment par deux leviers : la volonté de celui qui les élabore et l"utilité qui les réclame et les justifie. Dans le cas présent, elles visent à reporter toutes les difficultés financières des Dom sur la «ges- tion locale». Cela devient une affaire «locale», où l"Etat n"a pas intérêt à injecter des fonds.

Les préjugés officiels remplacent souvent un manque de connais- sances des dispositifs ultramarins qui sont complexes, mais il s"agit aussi d"une opacité entretenue.

Et, seule reste, comme point d"an- crage, la face visible de l"iceberg : la «mauvaise gestion» 20 , qui devient l"alpha et l"oméga des politiques publiques à l"égard des communes des Dom, avec les effets (y compris collatéraux?) décrits plus avant.... Pour se sortir de cette spirale funeste, il importe de déconstruire ces schémas.UNE CARENCE DE L"ETATÀ GARANTIR L"ÉQUITÉ SUR TOUT LE TERRITOIRE

Autre schéma à déconstruire, celui de départements d"outremer croulant sous les transferts so- ciaux, or, «contrairement à une idée reçue, le niveau moyen des trans- ferts sociaux est équivalent à la moyenne française, mais avec une structure différente (plus de revenu minimum, d’allocations familiales, d’indemnités chômage, mais moins de retraites...)»21 : qu"en est-il pour les départements les plus défavori- sés de l"Hexagone ?

En tout état de cause, l"on ne peut pas dire qu"il existe un modèle éco- nomique et social des Dom qui soit insoutenable financièrement dans la conjoncture budgétaire actuelle. En revanche, il existe bel et bien une carence de l"Etat à garantir l"équité des efforts demandés aux popula- tions sur tout le territoire afin de réduire son déficit qu"il ne cesse de creuser (!). Et ceci, afin de financer notamment sa politique macro- économique qui produit des effets positifs dans l"Hexagone, mais inverses à ceux recherchés dans les Dom, en déstabilisant les finances locales et par ricochet le secteur économique qui ne prend pas le relais du désengagement de l"Etat comme dans l"Hexagone mais qui sombre en même temps que les collectivités locales, en particulier les communes.

Enfin, il conviendrait d"inverser l"image d"un Etat providence pro- lixe à l"égard de ses ex-colonies, alors que, de tout temps, il y a toujours eu un coût social, déme- suré, supporté par les populations ultramarines, lequel, sous des formes renouvelées, ne diminuera pas, si l"on n"y prend garde.

20. Quoi qu"il en soit, tant que les Chambres régionales des Comptes n"appliqueront pas un correctif aux ratios de ges- tion des Dom avant de les comparer à ceux de l"Hexagone pour tenir compte de leurs surcoûts, l"on continuera à fabriquer de la "mauvaise gestion locale" dans les Dom. 21. Rapport Lurel 2016.ANNEXELE MOTIF DE LA «VIECHÈRE»... POUR PARACHEVER UNE MAINMISE ?

La question de la «vie chère» revient en force dans la crise actuelle. Mais sous ce terme géné- rique, c"est un certain mal-être qu"expriment les populations, pres- surées de toutes part, et de tout temps à travers l"image du Béké qui vient brouiller les pistes au plus grand intérêt de l"Etat : l"ennemi séculaire est bien trouvé.

Si les ultramarins sont obligés de passer par des révoltes populaires cycliques pour pouvoir dialoguer avec l"Etat, il est deux sujets (ou plus exactement deux objets de convoi- tise) qui retiennent constamment l"attention de ce dernier : la prime de vie chère et l"octroi de mer.

En effet, selon une logique implaca-ble de Bercy, en supprimant l"octroi de mer, le coût de la vie baisse, la prime de vie chère disparaît et l"Etat économise un milliard d"euros.

L"équation est simple. Au delà de l"enjeu de la prime de vie chère, l"Etat chercherait en réalité par dessus tout à supprimer les bar- rières douanières entre l"Hexagone et les Dom pour en faire un mar- ché d"hyperconsommation sans la moindre entrave pour les produits de la Métropole. La production locale que protège l"octroi de mer étant considérée comme un com- bat d"arrière garde, la seule solu- tion pour les Dom serait la consommation «de productions du royaume, restées sans prix».

Les franchises de douanes récem- ment supprimées sont-elles une préfiguration d"un marché unique qui se fait par étape ?

Il est paradoxal que l"Etat parle actuellement d"autonomie pour la G uadeloupe, quand son projet fiscal semble tout autre.

I l existe une variante de cette équa- tion, la plus probable présentée dans un récent rapport commandé p ar Bercy, à savoir transformer l"oc- troi de mer en une TVA à 19.5%.

Auquel cas l"objectif de réduction des prix est d"emblée plus aléatoire. Quoi qu"il en soit, la baisse de l"oc- troi de mer, après 2009, n"a pas eu d"impact sur la «vie chère» (mais des effets négatifs sur le budget des communes, et par ricochet sur les populations). Car quand les taux baissent, les entreprises augmen- tent leur marge. C"est une règle bien connue qui a été vérifiée il y a quelques années avec le passage de l a TVA de 19.5 à 5% dans la restau- ration qui s"est transformé en un cadeau fiscal de 2.6 milliards.

En cas de suppression de l"octroi de mer, les Dom perdraient une auto- n omie fiscale. Ceci ne serait pas sans risque budgétaire, car à chaque loi de finances leur budget peut être menacé par des décisions du législateur, comme la baisse des dotations. Tandis qu"actuellement tout ce qui concerne l"octroi de mer relève de la Région (en dehors d"un cadrage national, et européen). De plus, si l"octroi de mer des com- munes est transformé en dotations, leur montant sera figé quel que soit le dynamisme démographique. Ce serait un réel désastre pour la Guyane et Mayotte, mais aussi pour l es Antilles, où bien qu"essouflé, l"octroi de mer continue de pro- gresser chaque année.

S"agissant de la «vie chère», à la Corse, l"Etat accorde 500 euros par h abitant de dotation de continuité territoriale, contre 15 euros par habitant pour les Dom...

Il y a surtout la question du pou- voir d"achat des ménages : la question des minima sociaux, des pensions de retraites, des trans- ferts des compétences et baisse des dotations de l"Etat aux collec- tivités qui se soldent par une hausse des impôts (+ les visées sur la prime de vie chère ?).