Dialogue syndical, dialogue politique, dialogue social

Il est incontestable que, depuis une trentaine d’années environ, les grèves, en Guadeloupe singu- lièrement, se caractérisent par leurs fréquences, leurs exi- gences, leur agressivité, leur durée. Tous les milieux profes- sionnels sont concernés.

«Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfac- tion a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compro- mis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles revendications», avait proclamé le communiste Maurice Thorez, le 11 juin 1936.

C’était, sans doute, l’époque où il n’était pas question d’ultimatum préliminaire pour s’asseoir à la table de négociation. C’est, malheureu- sement de cette posture que découle le blocage du dialogue que vit actuellement la Guadeloupe. Les appels à retrouver la table de négo- ciation, d’où qu’ils viennent, ne font plus recette, surtout quand ils affi- chent un parti pris par des person- nalités ou des organisations poli- tiques. Les médias qui se sont déve- loppés depuis 1936, auxquels s’ajoutent librement et très dange- reusement les réseaux sociaux per- mettent, à qui voudrait faire éta- lage de son «érudition» innée, de verser au débat : carburants, com- burants, combustibles, cataly- seurs, briquets pour provoquer, volontairement ou non les incen- dies destructeurs, réels ou méta- phoriques. Ainsi le légendaire «Michel Morin» manuel a laisséplace au «Michel Morin» intellec- tuel, au «sachant tout».

Des dérives que n’ont pas connu les luttes héroïques des Guadelou- péens, qui ont été bien plus vic- times de l’époque post-esclava- giste, n’ayant pas eu autant de pos- sibilités institutionnelles pour se faire entendre au niveau de l’Etat, d es organismes publics ou des patrons !

I l est urgent que le dialogue social soit revisité sérieusement dans ses modalités. Une certaine forme de « démocratie participative» est à inventer, pour échanger avec le peuple guadeloupéen dont tous les antagonistes se réclament comme un postulat, par auto-proclamation, sur les problèmes susceptibles d’im- pacter le vivre ensemble. La lutte contre une injustice ou une mala- dresse de l’Etat français ne doit pas se traduire en une guerre civile entre les Guadeloupéens, condam- nés à lutter ensemble sur cette terre pour sortir leur pays de la domination, d’autant plus que cette volonté pénètre de plus en plus toutes les couches sociales.LA CONCERTATION DES RAVAILLEURS AU NIVEAU SYNDICAL DES TRAVAILLEURS

Il faut le reconnaître, c’est de celle-ci que découle la force de négociation des représentants syndicaux. Leur retour vers leur base, toujours pré- sente sur le terrain, autant de fois que nécessaire, avant toute signa- ture, leur permet d’établir et d’en- tretenir un rapport de force dans la négociation, avec des revendica- tions pouvant même se situer en dehors du droit, surtout quand celui-ci n’est pas favorable à leurs mandants. De la surenchère d’insa- nités, d’injures, de mépris, par une non-maîtrise du langage, jusqu’aux agressions physiques, envers les parties adverses, tout leur est per- mis, comme si les deux concepts négocier et respecter étaient incompatibles. Autant de faits qui distillent la haine, la rancoeur, lais- sant des traces indélébiles, soumet- tant l’orgueil à rude épreuve, alors que la sérénité rétablie, on est bien condamné au vivre, sinon ensem- ble, du moins sur le même territoire d’appartenance. La lutte syndicale est aussi un aspect de la vie sociale qui prépare la jeunesse, avec la famille et l’école, à la responsabilité citoyenne. Certains dirigeants syn- dicaux actuels devraient avoir à coeur cet aspect de l’Education et de la formation.LA CONCERTATION AU NIVEAUPOLITIQUE ET PATRONAL

Contrairement aux organisations syndicales des travailleurs, au sens Marxiste du terme, on peut, sans ambages, avancer que cette concertation n’existe pas. Forts de la relative légitimité citoyenne, elle se limite à quelques individus ou responsables qui sont toujours per- s uadés qu’ils détiennent la bonne solution. Ils s’abstiennent d’interro- ger leur base élective lors de déli- c ats conflits sociaux, pour parvenir à des solutions plus pertinentes.

- C’est le cas des organisations patronales

- C’est le cas des organisations poli- tiques qui, au mieux, se contentent de la vision de leurs principaux res- ponsables ou de leurs instances diri- geantes, quand elles existent - C’est le cas des Institutions char- gées de l’administration du pays qui se contentent de l’appréciation de leurs cadres ou autres conseillers appelés à la rescousse.

- Quant à l’Etat, fort des décisions parlementaires, de celles arrêtées par la Constitution française et le Conseil d’Etat, son plus grand souci sera toujours de faire admettre que«La République est indivisible»et que «Force doit rester à la loi», le peuple guadeloupéen ayant choisi d’appartenir à cette République. POUR UN DIALOGUE SOCIALRESPONSABLE ET APAISÉ

En tout cas, la stratégie tradition- nelle qui consiste à «ne pas se mouil- ler»mais à appeler à négocier, n’a plus d’impact, d’autant plus qu’elle s’apparente de plus en plus à de la démagogie, pour essayer de rétablir la santé politique d’une personna- lité ou d’une organisation, à l’initia- tive de cet appel.

En conséquence, il est urgent de changer de paradigme pour ren- dre le dialogue social plus sain, plus loyal, plus responsable. Sans s’ériger en procureur ou juge de paix, tous ceux qui estiment d evoir intervenir, y compris les personnalités qui constituent, par un abus de langage «la société c ivile», doivent avoir le courage de dire, au risque de se tromper, mais en leur âme et conscience, ce qui r elève de la vérité et du droit, dans une société démocratiquement organisée. Sous réserve cepen- dant d’emprunter avec le peuple, s’il y a lieu, le chemin pour abolir ou transformer le droit quand il est estimé oppressant. Oui, «la résistance à l’oppression est un droit naturel». On ne peut pas faire fi de ces paramètres.LIBERTÉ ET LIBERTÉS

Mais, sous aucun régime poli- tique, on ne peut prétendre avoir la «Liberté», avec «L majuscule», ni se passer d’une force de police pour assurer l’ordre et la sécurité des personnes et des biens. Par contre, dans tous régimes poli- tiques se mettent constitution- nellement en place, des libertés à tous dont chaque citoyen est amené à jouir mais jusqu’à la limite de celles de l’autre. Dialo- gue social et vivre-ensemble pas- sent par cette bonne compréhen- sion. En matière de règlement d’un conflit social difficile, organi- sations politiques, organisations patronales, collectivités seraient bien inspirées d’exploiter utile- ment les moyens de communica- tion modernes, si performants, pour connaître, statistiquement parlant, l’avis de ceux qui leur a conféré leur légitimité : adhé- rents, élus à tous les niveaux, sim- ples citoyens. L’heure ne doit plus être au faux-semblant, à l’hypo- crisie, à la démagogie, ou à la poli- tique de l’autruche.