«Syndicat, syndicat, syndicat»

Les soleils de ses yeux s’étaient couchés derrière les lourds nuages de ses paupières Les poiriers gémissaient Les filaos hurlaient sous l’invisible fouet du vent fou de la mer Il y avait dans la clameur des chiens efflanqués

La lugubre tristesse La poignante tristesse de son arrêt de mort Qui déchirait la chair rouge de sang chaud Des coeurs lourds Lourds à en éclater, lourds à en déborder. La nappe d’espoir des champs de canne à sucre Frissonnait, frissonnait, frissonnait… Et dans ces tremblements, ces sanglots électriques Mille voix répétaient l’affreuse nouvelle Les soleils de ses yeux s’étaient couchés derrière les lourds nuages de ses paupières Et la vie comme un soldat fatigué par sa garde s’était laissée surprendre par le vieux capitaine Dans un sommeil d’enfant

La vie qui desserrait le corps paralysé La vie qui s’en allait à pas feutrés tout bas La vie qui se faufilait entre les dents serrés Du sombre moribond en soupirant tout bas: «Syndicat, syndicat, syndicat…»

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Dans les tremblements, les sanglots élec- triques de la nappe d’espoir des champs de canne à sucre Mille voix répétaient : «Syndicat, syndicat, syndicat…». Par delà le vieux lit Par delà la maison Par delà le jardin, la mairie, le clocher, Par delà le Pérou Par delà Capesterre, Pointe-à-Pitre, Gosier, Saint-François, Basse-Terre, la Guadeloupe entière recueillait dans son coeur ce dernier mot d’amour, ce dernier mot d’union Lancé sur un vieux lit à tous les travailleurs A tous ses frères las, opprimés, brimés, mal payés, mal peignés, battus Mal vêtus, malheureux et vaincus. Il avait tant lutté pour eux Il avait tant souffert Pour eux, par eux et avec eux Il avait sacrifié pour eux Tous ses instants, toute sa vie Syndicat, Sécurité sociale, Retraite des vieux travailleurs Lui l’illettré L’homme du peuple, le cul-terreux, le sans-le-sou Les soleils de ses yeux s’étaient couchés derrière les lourds nuages de ses paupières La mort seule avait vaincu sa résistance Et la paralysie n’a pas pu empêcher qu’il prononce Cet acte de foi, cet idéal, ce sacrifice de sa vie, «Syndicat, syndicat, syndicat…»