«On Koud-men pou Gwadloup !»

La situation sociale, écono- mique, politique et sanitaire de la Guadeloupe interpelle et inquiète. Dans son ouvrage «On koud-men pou Gwadloup», Dunière Aglas, ancien cadre de banque et ancien élu de la ville de Sainte-Anne provoque la réflexion à travers son livre et fait des propositions pour don- ner à la Guadeloupe une autre direction. Interrogé sur le sujet il nous en dit un peu plus.

Voulez-vous indiquer à nos lecteursen quoi et pourquoi considérez- vous votre ouvrage comme une contribution pour le pays ?

Dunière Aglas :C’est d’abord par le simple fait qu’il existe. Notre pays est dans une situation telle, que tout écrit, tout discours politique, tout texte politique, toute manifestation politique, col- loque ou autres, quelle que soit l’idéologie ou la philosophie qui le sous-tend est une contribution au nécessaire débat sur l’avenir du pays, dès lors qu’il est empreint de sincérité et de sériosité. C’est ensuite à cause de son contenu. Une analyse, géopolitique, écono- mique, sociale et politique du passé de la Guadeloupe, qui explique son présent. Avec en sus, des proposi- tions visant à engendrer un meil- leur sort pour les générations futures. Enfin, c’est un «koud- men», parce qu’à titre personnel je n’attends rien en retour, si ce n’est d’avoir peut-être un jour, le senti- ment du devoir accompli, en constatant avec plaisir, une prise de conscience salutaire de notre peu- ple. Même si je ne suis pas le seul Guadeloupéen à oeuvrer pour cela.

Vous insistez sur la responsabilitédes partis et organisations poli- tiques du pays ainsi que celle des élus mais vous mettez en exergue la nécessité de l’engagement du citoyen-électeur. Comment concrè- tement voyez-vous l’évolution comportementale de celui-ci ?

Nous vivons dans un monde de plus en plus égoïste. Un monde dans lequel le «moi» laisse peu de place au «nous». En Guadeloupe, ce phé- nomène d’égoïsme explique pour beaucoup la lente érosion voire la déliquescence de l’ensemble des partis politiques. Je ne parle pas ici de ce qu’on appelle des «mouve- ments» qui en réalité sont des machines de guerre électoralistes au service des ambitions d’un indi- vidu, mais de véritables partis poli- tiques qui ont une vision de la société et qui assurent la formation de leurs membres. Dans ces condi- tions, le citoyens-électeurs sont plus ou moins livré à eux-mêmes, et quand il s’agit de faire des choix véritablement politiques, une forte proportion d’entre eux, font en réa- lité des choix «dirigonflistes», fami- liaux, amicaux, «fann’tchou» ou autres.Par ailleurs, ils désignent les élus comme seuls responsa- bles de tous les malheurs du pays. Ils oublient un peu vite qu’ils for- ment le premier maillon de la chaîne démocratique, et respon- sables à ce titre du casting des élus. De mon point de vue, le peu- ple est d’autant plus responsable qu’il est souverain. Il s’ensuit que notre pays ne pourra sortir de sa situation sans un rehaussement du niveau des débats politiques et si les citoyens-électeurs ne jouent pas pleinement son rôle.

Dans votre livre vous considérezque l’agriculture doit être un puis- sant levier pour le développement de la production dans notre pays ? Rappelez-nous les pistes et objec- tifs que vous proposez.D’abord une plus grande sévérité à l’égard de ceux qui bétonnent illéga- lement les terres agricoles. Ensuite, réalisation d’une opération de «remembrement» visant à recons- tituer des exploitations à taille suffi- sante pour être viable économique- ment. Mise en place d’une politique agricole qui définirait les priorités en fonction des besoins du pays et des possibilités d’exportation, avec en sus un volet formation visant à favo- riser l’émergence d’une classe d’agriculteur, capables d’appréhen- der les données techniques de leur métier ainsi que les aspects écono- miques. Création un environne- ment sanitaire, hydrique et doua- nier qui soit favorable à son déve- loppement. Enfin, tout mettre en oeuvre pour que la formule «con- sommons local» ne soit pas qu’un slogan à visée mercantile mais un réflexe de consommation guidé par une conscience citoyenne inébran- lable. L’objectif final étant de moins dépendre de l’extérieur.

Une des particularités de votrepublication c’est qu’il contient un nombre important de documents annexes. Cela a dû vous conduire à un patient travail de recherche n’est-ce pas ?

Oui ! Un énorme travail de recher- che qui a duré près de 10 ans et qui m’a emmené aux archives des outre-mer à Aix en Provence, à la bibliothèque nationale de France à Paris, aux archives départementales à Bisdary Gourbeyre, les archives du Centre technique de la canne et du sucre, les archives de la Safer etc. J’ai pu ainsi m’imprégner de la teneur de nombreux d’ouvrages et docu- ments, concernant de près ou de loin la Guadeloupe. Ces recherches ont été complétées par des entre- tiens avec quelques ainés, en parti- culier ceux qui ont connu «temps Sorin», ainsi que des anciens et nou- veaux élus de Guadeloupe. Tout ceci m’a aidé à rédiger ce livre qui pour moi est un cri du coeur, un appel à la raison.

Votre position sur la question sta- tutaire semble similaire à celle de large autonomie proposée par notre Parti. Vous confirmez ?

Je suis un militant patriotique parce que je suis convaincu que nous sommes un peuple et que comme t out peuple, nous avons vocation à avoir la responsabilité pleine et entière de nos affaires. Pour y par- v enir, il est indubitable qu’il faudra mettre fin au statut départemental qui n’est rien d’autre que le cheval de Troie du néocolonialisme à la française. L’autonomie est un statut h ybride qui ne permet pas d’attein- dre, in fine, cette noble ambition. Seul l’indépendance l’autorise. Néanmoins, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui et compte tenu l’ex- trême gravité de la situation écono- mique, sociale et politique de la Guadeloupe ; le passage au préala- ble par un statut d’autonomie n’est pas à mon sens contre-nature poli- tiquement, dès lors qu’il est compris et vécu comme statut transitoire, un moment d’apprentissage, de préparation, avant la pleine respon- sabilité. C’est la thèse défendue par votre Parti dès son neuvième congrès en 1988 et que je partage. Le temps de la guéguerre entre autonomistes et indépendantistes est révolu. En tout cas je l’espère.

On entend souvent, parlant denotre communauté, de la nécessité de faire peuple. Notre peuple, de peuple en soi au lendemain de l’es- clavage, n’est-il pas depuis long- temps, devenu peuple pour soi ?

Cette question me paraît incongrue dans la mesure où elle induit l’hypo- thèse qu’il n’existerait pas de peuple guadeloupéen. Ce ne serait qu’une vue de l’esprit. En réalité, chacun sait qu’il existe bel et bien un peuple guadeloupéen qui remplit toutes les conditions requises. C’est-à-dire : un territoire, une langue, une histoire, une culture, des moeurs et des habi- tudes qui lui sont propres et surtout le sentiment des diverses ethnies qui le composent, d’être liées par une communauté de destin. Dans notre for intérieur, nous Guadelou- péens nous savons que la thèse de la Guadeloupe française est une supercherie au service des intérêts géopolitiques de la France. C’est sous-jacent dans notre langage cou- rant et dans le comportement à notre égard, des français qu’on pré- tend être nos compatriotes. Le pro- blème c’est que, pour l’instant, hor- mis les convaincus et déterminés qui sont prêt au combat pour la reconnaissance effective de l’iden- tité guadeloupéenne, mais qui constituent une minorité, la majo- rité des Guadeloupéens n’affirment cette vérité cachée au fond de leur conscience qu’épisodiquement et subrepticement, parce qu’ils crai- gnent les fâcheuses conséquences économiques et sociales qui pour- raient (je dis bien pourrait) décou- ler d’une éventuelle rupture avec la puissance tutélaire. Alors oui, nous sommes peuple pour nous-mêmes, mais pour l’ins- t ant, engluée dans l’assistanat qui inhibe, la majorité d’entre nous n’ose pas l’affirmer, haut, fort et s ans ambages à la face du monde.

Comment analysez-vous la pro- blématique résultant du départ des jeunes et du vieillissement de l a population guadeloupéenne ?

La Guadeloupe est en train de se vider de son sang : sa jeunesse. Cela à commencer avec le Bumidom. Entre 1962 et 1981 c’est 42 689 hommes, femmes et enfant qui ont quitté notre pays par ce biais, sans compter ceux qui sont parti via l’armée ou les concours des PTT. Toute cette population a procréé en France et n’a pu participer au remplacement des générations aujourd’hui dispa- rues. A cette époque, ceux qui partaient étaient généralement les moins formés, les moins diplô- més. Aujourd’hui, se sont princi- palement les plus diplômés qui s’en vont, en France ou ailleurs, faute de trouver leur place dans une Guadeloupe gangrénée par le chômage. La conséquence c’est que si rien n’est fait pour enrayer ce phénomène, bientôt notre pays ne sera plus qu’une terre de retraité avec de plus en plus de populations allogènes, ce qui menacerait son équilibre sociologique, économique, so- ciale et politique. Pour arrêter l’hémorragie, il est urgent de mettre en place une politique de formation en adéquation avec les possibilités du pays, couplée avec une politique de dévelop- pement économique dont nous aurions la maitrise.