L'actualité de Bandoeng : quelles alternatives à l'ordre mondial libéral ? (FIN)

LES NON ALIGNÉS ET LES EFFETS DE LA CONFÉRENCE DE BANDOENG

Le mouvement des Non Alignés en tant que force a été officiellement créé en 1961 à Belgrade sous l'impulsion conju guée de Tito, de Nehru et de Nasser. Finalement à partir du début des années 60, ils sont plusieurs dizaines et détiennent la majorité des voix à l'Assemblée Générale de l'ONU. L'esprit de Bandoeng crée un souf fle nouveau dans les relations internationales : pour la première fois, une grande conférence a lieu sans la présence des Etats-Unis, de l'URSS ou des pays européens. Les pays du T iers-Monde affir- ment leur volonté d'obtenir une voix indépendante dans les affaires internationales, sans s'aligner sur les deux grandes puissances. Jusque là, à Bandoeng notamment, le Tiers- Monde émergeant avait af fir - mé sa spécificité mais ne dispo- sait que de peu de moyens.

Les Non-Alignés ont été un facteur décisif de lutte pour la liberté des peules opprimés, de leur indépendance et pour la formation de nouveaux Etats souverains. Ils ont égale - ment été un facteur d'équilibre entre les deux blocs optant en faveur d'un développement politique indépendant tout en refusant la logique de polarisation des zones hégémoniques.

En 1960, l'Assemblée générale de l'ONU, dominée par les pays du Sud numériquement les plus nombreux, adopta une déclaration ouvertement anticolonialiste qui reconnaît la légitimité des luttes émanci - patrices comme un droit fon- damental. Si la légalisation de la loi du plus fort a été l'un des traits caractéristiques du droit international classique, pour la première fois, dans l'histoire des relations inter-étatiques contemporaines et dans le cor- pus juridique international, la violence des opprimés reçoit ses titres de noblesse.

L'ONU va jouer un rôle décisif dans l'af firmation du T iers- Monde. Rassemblés dans un groupe politiquement très actif, le Groupe des 77 - qui rassemble aujourd'hui 135 pays- les Etats du Tiers-Monde conduisent une stratégie de révision du système international. Ils firent d'abord des Nations Unies une tribune “anti-impérialiste” et contribuèrent à faire admettre, comme observateurs de l'ONU, des organisations de libération nationale telles que l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), la S.W.A.P.O...). Cette “puissance des faibles” contribuera de manière décisive à l'évolution du droit international : c'est le début de la fin du camouflage des contradictio ns de la société internationale.

En 1962, l'Assemblée géné- rale proclame la souveraineté permanente sur les ressources naturelles par le biais de la Résolution 1803 qui constitue une interprétation du principe de l'éga - lité souveraine des Etats ; celaest confirmé en 1968 en tant que réponse juridicopolitique collective à la pré - tention des Etats occidentaux de donner un statut de règle coutumier à l'idéologie néocoloniale des “droits acquis”. La Résolution 1803 proclame, entre autre que “les capitaux importés et les revenus qui en proviennent seront régis... par la loi nationale et par le droit international...” Les Etats duT iers-Monde proclament éga - lement le droit à la nationali- sation, à l'expropriation et à la réquisition. De même il est dit, sans ambiguïté, que les accords relatifs aux investissements étrangers doivent être basés sur le respect intégral de la souveraineté des peuples sur leurs richesses et leurs ressources.

Les contradictions entre ces revendications et l'état actuel du droit international est frappant. Par exemple, les actuels traités de Promotion et de Protection des Investissements (TPPI), règles de droit qui se trouvent directement liés à celles de l'Organisation Mondiale du commerce et aux politiques des institutions de Bretton Woods, remettent radicale- ment en question ces revendications de base qui sont, en plus, des éléments substantiels de la participation citoyenne et du fonctionne - ment démocratique des pouvoirs publics. En ef fet, les TPPI sont entièrement basés sur la primauté du droit des investisseurs et sur l'obligation des pouvoirs publics de veiller étroitement à leurs intérêts et à leurs profits. De plus, les investisseurs possèdent le droit de recours direct contrairement aux citoyensauprès des tribunaux, tel le Centre International des règlements des différends relatifs aux investissements, partie prenante, puisqu'il fait partie de la Banque Mondiale. Ce centre applique la lex mer - catoria et les lois du marché sous couvert du droit international. Ainsi, les investisseurs étrangers, par la voix des TPPI, ne sont plus soumis aux tribu - naux nationaux et aux lois internationales, échappant à tout contrôle démocratique. En revanche, ce sont les peu - ples qui sont soumis aux lois des marchés et au droit marchand et mercantiliste. Ce type de traité conduit, en fait et en droit, à la négation du droit à la nationalisation, à l'interdiction implicite de toute politique nationale de développement économique, écologique et social qui pourrait mettre en cause les inté - rêts des sociétés transnationa- les. Plus grave encore, ils ont comme ef fet, dans la pratique et suivant les règles qu'y sont consacrées, la négation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et de disposer librement de leurs ressources naturelles en choisissant souverainement leur propre système économique et politique.

Dans la poussée générale des pays du Tiers-Monde, la remise en question de l'ordre international est également passée par la consécration juridique des droits économiques,, sociaux et culturels qui sont devenus des règles de droit international suite à leur inclusion dans le Pacte de 1966, ce qui a signifié, à cette période, une défaite politicoidéologique des pays alignés sur la politique nord-américaine, uniquement attachée aux droits à portée individuelle sur le plan civil et politique. En outre, les deux pactes de 1966 (Pacte sur les droits économiques sociaux et culturels et le Pacte sur les droits civils et politiques) ont matérialisé en tant que règle juridique internationale :

a) le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en tant que droit humain collectif.

b) le droit des peuples de choi- sir leur propre modèle politique, économique, social etidéologique.

C'est au milieu de ce change- ment des rapports de force que le racisme traditionnel des pays européens envers les peuples africains noirs est considéré comme un crime contre l'humanité”.

L'Assemblée Générale, avec la majorité des Etats du Tiers- Monde, condamne ferme- ment le régime criminel de l'apartheid et les Etats occiden - taux qui le soutiennent, ce qui est considéré, encore par la doctrine occidentale, comme une “perte de temps.” Les pays occidentaux et leurs doc - trinaires acculés au mur et en minorité à l'Assemblée géné - rale de l'ONU, se penchent soudain avec une approche “objective” et “scientifique” sur la valeur juridique des résolutions de l'AG -résolutions qui n'ont jamais été mises en question lorsqu'ils lacontrôlaient-.

LES MÉRITES ET LES LEÇONS DE BANDOENG

Bandoeng a changé le visage des relations internationales contemporaines. La Conférence a été l'élément qui a contribué au regroupe- ment des peuples du Tiers- Monde et donné un appui inconditionnel aux luttes de libération des peuples. Elle a aussi pesé dans les relations internationales en les com- plexifiant notamment, élargis- sant la lutte contre le colonia- lisme vers le néo-colonialisme. Ses effets se sont faits sentir sur le plan juridique en reje - tant le droit international classique, en formulant de nou - velles règles telles le droit des peuples sur leurs ressources naturelles, le droit des peules en tant que droit humain col- lectif, le droit de nationaliser, de contrôler les investisse- ments... tous remis en ques- tion par l'offensive libérale.

Le droit, qui n'est pas à négliger , est avant tout un instru - ment de lutte, de matérialisa- tion des revendications des droits des peuples en instru - ment fixant les rapports de force dans une période histo - rique conjoncturelle. Quand le droit devient instrument dans les mains des peuples, il est l'un des moyens de contesta - tion de l'ordre établi vers des changements sociaux.

Pour en finir avec cette pre- mière partie, la remise en question de l'ordre international essentiellement d'ordre libéral, se matérialisera dans les années 70/80 par le biais de la proclamation d'un nouvel ordre économique international dotée d'un programme et du droit au développement en tant que modèle alternatif de développement économique, social et culturel.